A La Côte Saint-Jacques, aux portes de la Bourgogne, Jean-Michel s'est bâti un prénom. Grâce à un style très personnel qui allie tradition familiale et créativité.
Claire Cosson
Le fils a su trouver son style et bientôt sa maison.
Il y a quelque
chose de l'adolescent, à la fois pudique et réservé, chez Jean-Michel Lorain. Une
timidité manifeste, un romantisme aveuglant, des moues boudeuses accompagnées de
quelques silences en réponse aux questions (certes pas toujours pertinentes) des
journalistes. Pourtant, il faut savoir aller au-delà de ces premières impressions, un
tantinet caricaturales. Car l'homme, aujourd'hui âgé de 41 ans, qui se cache derrière
ces "apparences", est réellement épanoui et digne d'intérêt. Ses petits
Filets de rougets et sardines, poêlés en tartines croustillantes, ou bien encore son
Pigeon rôti, crème de petits pois au lard et côtes de bettes truffées, arrosé au jus
de veau à l'arabica, témoignent d'une personnalité unique en son genre, difficile à
oublier.
Celle d'un cuisinier, ultrasensible, mais aussi engagé, à l'écart des stéréotypes
définis par le petit cercle des chroniqueurs gastronomiques, qui figure désormais parmi
les plus grandes pointures de l'art culinaire français. Celle aussi d'un fils, accompli,
qui n'a plus besoin de gravir les échelons, ni même de grandir aux yeux de son père,
Michel.
Ce jeune quadragénaire, patron d'entreprise et père de deux filles, qui, sous un soleil
de plomb en plein mois d'août, déborde d'énergie durant la visite du chantier de sa
future maison, n'a pourtant pas choisi une voie facile. Reprendre l'affaire fondée
après-guerre par Marie, sa grand-mère (une couturière qui confectionnait de bons petits
plats pour ses pensionnaires), puis développée avec talent par ses parents, n'a rien,
bien sûr, d'un "long fleuve tranquille".
Apprentissage
Et ce, même si à La Côte Saint-Jacques, aux portes de la Bourgogne, à Joigny, l'Yonne
coule à première vue paisiblement. Tandis que la relève familiale s'est, elle, au dire
de nombreux clients, réalisée dans un véritable climat de douceur.
A dix-huit ans, le jeune Jean-Michel, ne sait toutefois pas trop à quel sein se vouer.
"Je n'étais pas à 100 % décidé", confie le chef. Elevé par sa
grand-mère, l'adolescent, plutôt brillant à l'école (baccalauréat C en poche),
assiste néanmoins, aux premières loges, à l'ascension de son père. Au piano depuis le
début des années 50, Michel, boulanger-pâtissier de formation, se débat comme un beau
diable pour sortir sa maison du lot et de son enclavement géographique (l'ouverture de
l'autoroute en 1966 nuit à la clientèle de passage). En 1971, "ce travail porte
enfin ses fruits" : il décroche sa première étoile au guide Michelin.
Cinq ans plus tard, voici venir la seconde. Et puis il adhère en 1977 à la chaîne des
Relais & Châteaux.
Au grand bonheur des parents, le fils finit en outre par choper le virus. Il y aura donc
un héritier pour cette demeure bourgeoise, invendable, dont la réputation repose sur le
seul nom du maître des lieux. Comme tout bon capricorne qui se respecte, Jean-Michel
entend toutefois prouver de quoi il est capable en se construisant échelon par échelon.
"Je ne suis jamais arrivé en terrain conquis", précise l'intéressé,
le sourire aux lèvres. C'est ainsi, après quelques années d'apprentissage chez Pierre
et Jean Troisgros, Fredy Girardet et Taillevent, période qu'il estime "déterminante"
pour son avenir, que le fils rentre au bercail et rejoint papa aux fourneaux en 1983.
Un devoir
"Il y a bien eu quelques heurts au début", raconte Jean-Michel. Et
d'ajouter, "mais ils étaient sains". Assez vite en effet, le père et le
fils jouent du piano à quatre mains, avec brio. A tel point d'ailleurs qu'en 1986 Bernard
Naegellen, nouveau directeur du guide Michelin, décerne la troisième étoile à
La Côte Saint-Jacques pour le travail réalisé en cuisine par le père et le fils.
"Une récompense dont nous avons pris connaissance chacun de notre côté. Moi à
l'île Maurice, lui au Sénégal", se souvient Jean-Michel, la voix chargée
d'émotion. Et d'ajouter, "mais obtenir la troisième étoile n'est pas une fin en
soi. C'est aussi un devoir !"
Celui de ne jamais faillir et toujours donner ce que l'on a de meilleur à la clientèle.
A ce propos, les Lorain saisissent très vite l'importance du gîte pour recevoir comme il
se doit tous les gourmets du monde à leur table. Dès 1985, 15 vastes chambres sont ainsi
érigées au bord de l'Yonne, reliées à la maison mère par un passage souterrain, sous
la nationale 6. La nouvelle demeure, fraîche et confortable, fait un tabac (actuellement
80 à 90 % de taux d'occupation en haute saison et aux environs de 50 % en basse saison).
D'autant plus que le fils se fait, peu à peu, un véritable prénom.
L'adolescent hésitant d'autrefois n'est plus qu'un vieux souvenir. Si sur la façade de
l'établissement ou la carte du restaurant, les deux prénoms figurent certes encore à
présent à égalité, Jean-Michel affirme son identité. Bien que certains critiques le
disent classique, lui définit sa cuisine comme traditionnelle et créative à la fois.
Autrement dit "respectueuse du produit", mais aussi ouverte aux
nouveautés. "Ce n'est pas important d'être moderne ou ancien. Le principal est
de se faire plaisir tout en faisant plaisir aux autres", souligne le jeune chef
qui aime à retrouver "ses petits dans une assiette".
A La Côte Saint-Jacques, le bonheur est certes dans "le pré", mais le plaisir
est aussi à déguster : par exemple, les Huîtres spéciales en petite terrine océane.
Et Jean-Michel touchera probablement le "nirvana" quand il aura enfin quitté la
maison de papa et maman. Une certaine façon de couper le cordon qui verra le jour dès le
prochain printemps. Après d'importants travaux (23 millions de francs), le restaurant, la
cuisine, les salons, le bar et la réception vont effectivement prendre place, de l'autre
côté de la route, au bord de l'eau. zzz18p zzz22i
La Côte Saint-Jacques
BP 197
89304 Joigny CEDEX
Tél. : 03 86 62 09 70
E-mail : jm.lorain@wanadoo.fr
Parlons chiffresChiffre d'affaires 30 MF
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Ingrédients
(pour 4 personnes)
40 à 50 huîtres creuses spéciales (G2)
200 g d'échalotes
100 g d'épinards
3 dl de vin rouge
1 endive
1 tête de brocoli
8 feuilles de mâche
4 fleurs de capucine (facultatif)
6 g de gélatine
1 citron
5 cl d'huile de noisette
Sel, poivre, sucre
Préparation
- Ouvrir les huîtres. Récupérer l'eau de mer. Réserver au frais dans
leur eau.
- Eplucher les échalotes, les couper en 2 dans la longueur et détacher chaque
feuille. Les cuire ensuite à l'eau bouillante salée jusqu'à ce qu'elles ne soient plus
que très légèrement croquantes. Rafraîchir et les remettre dans la casserole avec le
vin rouge et une pincée de sucre. Cuire jusqu'à ce qu'elles soient moelleuses, puis
égoutter dans une passoire. Réduire le vin rouge jusqu'à obtention d'un décilitre.
- Equeuter les épinards, les laver, et les cuire à l'eau bouillante.
- Laisser la gélatine dans l'eau froide jusqu'à utilisation pour la ramollir.
- Mettre les huîtres dans une casserole avec l'eau de mer. Chauffer doucement
jusqu'à 80 °C. Egoutter dans une passoire.
- Mélanger le vin rouge réduit avec 1 dl de jus de cuisson des huîtres et
porter à ébullition. Ecumer et ajouter la feuille de gélatine. Assaisonner si
nécessaire, passer au chinois fin et laisser refroidir.
Montage de la terrine
- Prendre une terrine de 12 cm de long, 7 cm de large et 5 cm de hauteur environ
et placer un film alimentaire à l'intérieur.
- Couler une cuillère à soupe de gelée légèrement tiède, puis disposer
quelques feuilles d'épinards de manière à couvrir le fond. Ajouter une cuillère de
gelée, puis une couche d'échalotes confites au vin rouge et à nouveau une cuillère de
gelée.
- Disposer 15 à 20 huîtres dans la terrine en les chevauchant légèrement.
- Recommencer la même opération de superposition avec une cuillère de gelée,
une couche d'épinards, une cuillère de gelée, une cuillère d'échalotes... Refermer le
film alimentaire et laisser au réfrigérateur 12 h.
Finition
- Cuire la tête de brocoli à l'eau bouillante salée pendant 5 minutes.
- Former 4 bouquets de brocoli ronds de 2 cm de diamètre.
- Démouler la terrine et la couper en 8 tranches à l'aide d'un couteau
électrique.
- Essuyer l'endive avec une éponge humide. L'écourter du talon et la couper en
2 dans le sens de la longueur. Emincer en fines lamelles.
- Assaisonner endive et bouquets de brocoli de sel, poivre, filet de citron et
huile de noisette. Dresser.
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L'HÔTELLERIE n° 2686 Magazine 05 Octobre 2000