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"Quinze années passées aux côtés du père"

Dominique et Sibylle Martin, 35 et 36 ans, ont pris le 1er juillet la succession de Jean et Odette Martin, hôteliers et surtout restaurateurs à l'impeccable réputation, étoilés depuis dix ans. Dominique a patienté quinze ans auprès de son père.

Alain Simoneau

 

Jean Martin, 60 ans, patron de l'Hostellerie de la Rivière, à Pont-de-Briques près de Boulogne-sur-mer, a pris sa retraite avec son épouse, maîtresse de maison et sommelière, Odette, 59 ans, fin juin dernier. Sans arrière-pensée. Il faut dire que son fils Dominique, 35 ans, est aux fourneaux depuis 15 ans à ses côtés, une durée inhabituelle de cohabitation père-fils pour une petite maison. "Je suis absolument certain que Dominique a la classe pour garder l'étoile. Depuis longtemps, il tient la maison quand nous nous absentons." Il a attendu que sa femme Sibylle accepte de quitter un commerce de vêtements pour se lancer avec lui. Le transfert s'est effectué de la manière la plus simple. Jean et Odette exploitaient en indépendants le fonds sans les murs. Dominique et Sibylle ont créé une société d'exploitation, qui achète le fonds "à un prix convenable", dit Jean prudemment. Ni éloigné du marché, ni trop élevé pour son fils... Père et fils ont suivi des itinéraires de leurs temps, un peu plus original pour le père qui n'est pas fils de restaurateur.

Une formation "maison"
Jean est normand. Il vient du milieu de la mer à Fécamp. Après un apprentissage de boulanger-pâtisser, il a embarqué à la pêche au long cours pendant cinq voyages comme boulanger de bord. Il débarque et entre en cuisine avant de passer plus de deux ans sous les drapeaux. A son retour d'Algérie, il rencontre Odette, institutrice, qu'il parvient à convaincre de quitter son métier pour celui de patronne de restaurant ; pas facile au début, quand ils s'installent en 1967, à Lumbres près de Saint-Omer (62), la patrie d'Odette, dans une modeste maison le Trou Normand. En 1973, ils déménagent près de la rivière à Pont-de-Briques. Une maison ordinaire près de l'ancienne gare, sans charme particulier, mais avec un agréable jardin et le bruit de l'eau vive (un risque exceptionnel d'inondations aussi). On y faisait jusqu'alors de la petite restauration, des plats comme à la maison. Le loyer était et est resté intéressant. Jean n'a jamais fait le tour des grandes maisons. Mais, résume-t-il, "nous avons progressé à force de chercher, de lire, de créer et de tester. Je sentais qu'en améliorant notre prestation, la clientèle allait changer. A Lumbres, les possibilités étaient trop restreintes, des petits repas d'affaires ne me convenaient pas. Les progrès sont venus petit à petit". L'Hostellerie de la Rivière est à présent une adresse incontournable de la côte, et une étape recherchée avec ses 8 chambres. Après une période d'adaptation difficile, Odette Martin s'intéresse vite au vin. Le président créateur du club des Sommeliers Nord-Picardie, Jean-Luc Paris, a débuté chez les Martin avant de prendre la direction de la salle au Westminster du Touquet. Il a entraîné Odette Martin dans cette aventure de compagnonnage.
"Nous nous formons les uns les autres", explique Odette, qui va continuer de s'intéresser à la cave en conseil des successeurs. Quand l'étoile vient au bout de seize ans, la clientèle est déjà belle et fidèle. "L'affaire est bonne. Elle a toujours été en progression, même si pendant la crise il a fallu réfléchir encore plus. L'an dernier, nous avons très bien travaillé, nous progressons encore cette année. Il y a vingt ans, je n'aurais jamais cru en arriver là. Il faut supporter pas mal de choses, aimer le métier et les clients. Je suis très satisfait. Mais je travaille depuis l'âge de 14 ans, et ce métier est fatigant. C'est bien de s'arrêter", commente Jean Martin. Un conseil à son fils ? "Faut taper dedans !"
Dominique Martin, quant à lui, fait l'école hôtelière d'Amiens, embrayé aussitôt chez son père qui "m'a fichu dehors avec raison pour aller apprendre ailleurs", raconte-t-il. Il fait alors ses classes deux ans à Paris chez Hubert, puis tout près, à Montreuil-sur-mer chez Christian Germain. "Hubert m'a inicié, Christian Germain m'a fait progresser", se souvient-il. Depuis quinze ans, il est revenu dans le giron paternel.

Patience et rigueur
Quinze ans dans l'ombre des parents, est-ce bien raisonnable ? En tout cas, si problème il peut y avoir (il y en a forcément), les avantages semblent l'emporter. Dans cette petite maison, deux compétences de chef, c'est beaucoup pour les clients. "Nous faisons chacun notre travail", confiait Jean Martin la veille de sa retraite, parlant encore au présent. "Je fais plutôt la pâtisserie, ma spécialité, les poissons et les entrées. Dominique est plutôt au chaud. Il est très fort en sauces. Mais nous pouvons faire le contraire. Quand le restaurant est complet, celui qui est au chaud ne bouge pas du piano. Quand nous formons des apprentis, nous les faisons tourner une semaine avec l'un, une semaine avec l'autre. C'est un avantage." La créativité fait aussi plus que s'additionner. "Dominique n'arrête pas de chercher. Il note toutes les idées. Nous avons beaucoup avancé ainsi." Cela dit, Jean Martin va "vraiment" s'arrêter. Odette gardera un moment un œil sur les achats de vins et la gestion de la cave en tant que conseil, c'est tout. Mais les parents s'installent à proximité. En cas d'urgence, ils peuvent intervenir. Mais encore faut-il remplacer l'un des deux chefs.
Restent au personnel le premier maître d'hôtel Jean-Luc (21 ans de maison) et son adjoint Guillaume (10 ans). Une femme de chambre est là depuis 19 ans, une plongeuse depuis 12 ans. On ne quitte pas facilement cette maison, il y a une raison. Deux jeunes formés dans la maison, détectés par le père comme prometteurs, vont y rester. L'un a été apprenti et l'autre en stage ne veut pas reprendre l'école et aime la maison. Difficile de faire plus permanent dans la continuité. Dominique ne va rien bouleverser dans l'immédiat et va d'abord veiller à rembourser ses emprunts, garder la réputation de la maison et l'étoile. Son premier acte d'investissement est le rafraîchissement des chambres, effectué dès cet été. *


De gauche à droite, Odette,
Jean, Sibylle et Dominique Martin. Une succession pensée de longue date.

En chiffres

Capacité
L'hôtel compte 8 chambres et offre 40 à 45 places de restaurant, ainsi qu'un jardin.
Fréquentation
La clientèle est à plus de 50 % Britannique, avec un apport récent accru de Belges et Néerlandais.
Ticket moyen
Entre 400 et 500 francs.
Carte/Menu
Menu 4 services à 320 francs nets. Dans cette région, il reste difficile de dépasser 500 francs. Beaucoup de turbot, beau succès cette dernière saison pour le Filet de barbue cuit à l'étuvée au tartare de cèpes. Pâtissier, Jean faisait courir ses clients avec ses spécialités comme le sablé tiède à la rhubarbe, parfait à la cassonade blonde.
Chiffre d'affaires
Environ 6 MF
Personnel
4 professionnels en plus du couple de patrons, 2 chevronnés en salle et 2 jeunes en cuisine.


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L'HÔTELLERIE n° 2683 Magazine 14 Septembre 2000

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