"Insérer dans le monde du travail des personnes handicapées, c'est leur donner la possibilité d'assumer leur vie. Et pour l'entreprise, ce n'est sûrement pas un handicap", clament de concert Maryse et Gilles Blondet, Franck et Jocelyne Le Torrec qui souhaitent nous faire partager leurs expériences et nous inciter à réviser certains de nos préjugés. Témoignages.
Cécile Junod zzz22v
Un matin pluvieux du mois de mai 1998, la voiture de Lionel Pauly, second de cuisine au Sainte Marthe, à Foix, glisse sur une flaque d'eau et s'écrase en contrebas de la route. Maryse et Gilles Blondet, les propriétaires du Sainte Marthe, venaient de reprendre quelques mois plus tôt cet établissement. Elle en salle, lui en cuisine. Pour le seconder, il avait embauché le jeune Lionel, à peine âgé de 23 ans, plein de fougue et d'allant pour son métier de cuisinier. Mais une flaque d'eau... Un accident bête, comme tous les accidents... Ambulance, pompiers, hôpital, nombreuses opérations. Un jour, le verdict implacable tombe : paraplégie et chaise roulante à vie. Fin de tous les espoirs. C'était sans compter la volonté de Gilles Blondel qui se refusait à admettre que la vie d'un jeune puisse s'arrêter là. Dans un élan de générosité et avec une énergie incroyable, il promet à son second qu'un jour il retravaillerait avec lui, en cuisine. Lionel Pauly n'osait y croire. Et pourtant dans ses rêves les plus fous, il espérait pouvoir retourner derrière son piano... Il y eut des hauts et des bas... De grands moments de doute et de désespoir. La rééducation fut longue et douloureuse. Deux ans après la date fatidique, il put revenir au restaurant. Il en profita pour vérifier que son fauteuil roulant passait partout. Ensemble, Lionel Pauly et Gilles Blondet ont parlé recettes, nouveaux menus et matériel récemment acheté. Aujourd'hui, Lionel, son inséparable fauteuil et sa fière toque, sont de nouveau en cuisine. Bien sûr, pas à temps complet. Il s'arrête quand il se sent trop fatigué. Mais sa nouvelle vie, sa seconde vie prend forme. Et pour retrouver une autonomie de déplacement, il a appris à conduire une voiture spécialement adaptée à son handicap.
Sa joie et son courage stimulent l'équipe
En cuisine, quelques aménagements de poste s'avèrent nécessaires. Le fourneau doit
être modifié et une rampe d'accès aux chambres froides doit être créée. Une
subvention de l'Agefiph (Association gestionnaire du fonds pour l'insertion des personnes
handicapées) devrait être débloquée après une étude de poste confirmée par un
ergonome. Tous espèrent que le dossier sera traité sans délai inutile.
"Nous souhaitons surtout, raconte Gilles Blondet, témoigner qu'il est
possible, même avec un handicap lourd, de travailler quand la volonté est là. Tous les
jours, nous avons sous nos yeux le courage de Lionel et sa joie de pouvoir reprendre les
commandes de son fourneau. C'est pour nous très stimulant. Cependant, on ne peut nier que
la vision d'un handicap est dérangeante, voire douloureuse. De plus, ce n'est pas facile
d'aborder les personnes handicapées et de leur parler. On ne sait jamais très bien
quelle attitude adopter. Nous, nous avons opté pour ne pas assister Lionel afin qu'il
trouve le plus rapidement possible la solution à tous les obstacles qu'il rencontre (et
ils sont nombreux en fauteuil roulant). Et comme il y aura un 'après moi', nous avons
projeté de lui faire passer un brevet professionnel afin de lui ouvrir la voie du
professorat. Mais surtout, que chacun se persuade que de nombreux handicapés attendent de
pouvoir travailler. N'hésitez donc pas à leur donner cette chance. Vous ne le
regretterez pas."
Même appréciation de la part de Jocelyne Le Torrec qui dirige le Château du Doux, un
atelier protégé à vocation hôtelière.
"Certes, le plus souvent les personnes handicapées sont moins productives, mais
elles apportent réellement quelque chose à l'entreprise. Elles ont une telle envie de
s'insérer dans le monde actif qu'elles donnent le meilleur d'elles-mêmes et font
beaucoup d'effort pour être à la hauteur de leur tâche. Sans oublier que les insérer
dans le monde du travail, c'est leur donner une chance de pouvoir assumer leur vie. C'est
leur droit à la vie. Et puis, il n'y a pas que la rentabilité dans la vie. La richesse
des rapports humains, ça compte aussi. Différentes, sensibles, mais volontaristes et
dynamiques, les personnes handicapées nous obligent à nous repositionner par rapport aux
priorités de la vie, à l'importance relative des choses."
Il faut bien réfléchir aux consignes transmises
Le Château du Doux, à Altillac en Corrèze, est le dernier centre ouvert par L'Adapt
(Association pour l'insertion des handicapés). Inauguré en 1998, il abrite un hôtel pas
comme les autres. Il s'agit en réalité d'un atelier protégé accueillant des
vacanciers. Ici, le staff de l'encadrement est composé de 6 personnes valides, et les
autres postes sont occupés par 9 personnes handicapées (15 en haute saison), dont les
handicaps sont classés B et C à la Cotorep (seul organisme habilité à délivrer une
RQTH - reconnaissance de qualité de travailleur handicapé). A noter que le Château du
Doux abrite également un atelier protégé de fabrication de foie gras et produits
régionaux. "Mais attention, reprend Jocelyne Le Torrec, tous les handicaps
ne sont pas conciliables avec les métiers de l'hôtellerie et de la restauration. Les
handicaps physiques lourds ne sont guère compatibles avec des postes en cuisine où il
faut être debout et porter des charges. Dans les métiers de service, les problèmes
psychiatriques sont à exclure également. Ils génèrent des troubles du comportement et
des réactions imprévisibles, parfois agressives qu'il est difficile de gérer devant les
clients. En revanche, tous les handicaps type diabète, problèmes cardio-vasculaires,
lombalgies, surdité ou cécité sont parfaitement intégrables, bien que nécessitant,
pour certains, la mise en place d'outils adaptés." Mais, en réalité, en
matière d'embauche de personnes handicapées, il n'existe pas de généralités. Chaque
individu est un cas unique et l'attribution de poste ne peut se faire qu'après une
évaluation précise de ses possibilités et de ses limites. Forte de son expérience en
matière d'insertion des personnes handicapées, Jocelyne Le Torrec prodigue quelques
précieux conseils. "Pour une intégration réussie, il est plus important de bien
évaluer la capacité de la personne plutôt que de prendre purement et simplement en
compte son handicap. Il faut également bien se souvenir de quelques points-clés. Avant
tout, il est important de bien réfléchir aux consignes à donner pour l'exécution d'une
tâche et sur l'attitude précise que l'on attend de la personne handicapée. Chaque
tâche du poste doit être décomposée et les actions de concentration trop longues sont
à bannir. Pour certains, il peut être nécessaire de créer des supports visuels
explicites et ludiques du type bande dessinée, par exemple. Par ailleurs, il ne faut
faire évoluer la connaissance du poste que lorsque les messages précédents ont été
bien assimilés (une étape qui peut prendre des semaines voire des années pour
certains), et il faut accepter le fait que quelques-uns ne puissent intégrer que peu de
consignes mais qui réussiront parfaitement à les respecter. Enfin, énoncer clairement
les consignes disciplinaires et les faire respecter, tant auprès des personnes
handicapées que des personnes valides. Une distorsion peut totalement dérouter les
personnes handicapées."
Beaucoup préfèrent s'acquitter de la contribution volontaire
"Et puis, intervient Jacques Michot, directeur de la communication de L'Adapt,
on se trompe souvent sur la notion même de personne handicapée. On devrait plutôt
parler, comme les Anglo-Saxons, de personnes à handicap. Ce ne sont jamais toutes les
fonctions de la personne qui sont diminuées. Un individu se déplaçant en fauteuil
roulant peut très bien être un as de l'informatique ou de la gestion. Certes, un
handicap est limitatif pour l'exécution de certaines actions, mais il en autorise
d'autres. De plus, les personnes handicapées ont vécu et surmonté une grande brisure de
vie. En général, elles repartent dans une seconde existence avec beaucoup plus de force
et de volonté. Nous devons donc lutter contre certaines idées reçues à propos des
personnes handicapées." D'ailleurs, pour faire évoluer les mentalités et
banaliser le handicap, Décathlon, le spécialiste des accessoires de sport, ouvre
maintenant des rayons où sont vendus fauteuils roulants et accessoires pour handicapés.
Le fauteuil roulant n'est plus alors considéré comme un matériel médical, mais comme
un accessoire de marche, au même titre qu'un vélo ou des chaussures de sport. "Il
faut absolument sortir le handicap de son contexte honteux, insiste Jacques Michot.
D'autant plus que, dans notre société, 3 types de handicap se développent de façon
alarmante : les traumatismes crâniens dus aux accidents de la route (surtout chez les
jeunes), les lombalgies et les maladies allergiques (allergies liées aux produits
utilisés dans un contexte professionnel, dans la coiffure par exemple). Tous ces
handicaps sont contraignants dans certaines activités, mais pas du tout dans d'autres."
Dans les forums organisés par L'Adapt, au cours de la Semaine pour l'emploi des personnes
handicapées (semaine qui se déroule chaque année au mois de novembre), les employeurs
avouent aisément que leur choix de cotiser au fonds Agefiph tient pour l'essentiel à sa
facilité. Ils reconnaissent également que leurs réticences vis-à-vis des handicapés
reposent plus sur des idées reçues que sur des convictions. "En réalité, explique
Jacques Michot, les freins évoqués par les chefs d'entreprise sont liés aux
problèmes de formation, d'aménagement de poste éventuel, et les moindres performances
de ce type de personnel. Mais aujourd'hui, L'Adapt aide très largement les employeurs
dans toutes les démarches, tant sur un plan d'organisation et de formation que financier.
Et puis, il serait temps que chacun prenne conscience qu'il est certainement plus
intéressant pour l'entreprise de recruter une personne handicapée que de payer une
contribution à l'Agefiph. Un handicapé a forcément des compétences qui vous seront
très utiles dans votre activité." "Cependant, reprend encore pour
conclure Jacques Michot, on observe qu'en hôtellerie-restauration bon nombre des
offres d'emploi ne trouvent pas preneurs. Cela est dommageable et tient principalement au
fait que la Cotorep considère a priori ces métiers comme difficiles d'accès aux
personnes handicapées. Et pourtant, de nombreux postes pourraient leur être attribués."
N'oublions pas qu'aujourd'hui, grâce aux nouvelles technologies, à la reconnaissance
vocale, aux imprimantes en braille, aux systèmes de visioconférence, au boîtier
dialogue permettant la transformation de la parole en communication écrite,
l'intégration professionnelle des personnes handicapées est largement facilitée. *
* Toute entreprise de plus de 20 salariés doit compter 6 % de son effectif en travailleurs handicapés ou assimilés. A défaut, l'entreprise doit s'acquitter d'une contribution volontaire à l'Agefiph.
Après de longs mois de souffrance et de rééducation, et grâce à son courage
et son obstination, Lionel Pauly retrouve son piano dans les cuisines du Sainte Marthe, à
Foix, aux côtés de Maryse et Gilles Blondet, les propriétaires. On attend avec
impatience les subventions de l'Agefiph afin de pouvoir réaliser au plus vite les
aménagements nécessaires.
Le nouvel élan d'Agefiph Issue de la loi de juillet 1987, l'Agefiph est l'organisme qui gère le fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Elle a pour objet de favoriser l'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire. Au service des entreprises et des personnes handicapées, l'Agefiph se trouve au cur du partenariat qu'elle suscite entre les acteurs économiques, sociaux et associatifs. En 10 ans d'activité, l'Agefiph a financé 750 000 interventions, représentant 400 000 personnes insérées ou maintenues au travail, 200 000 personnes formées ou remises à niveau, et 200 000 personnes ayant bénéficié d'autres aides, en particulier dans le domaine du soutien et du suivi individuel à l'embauche, soit environ 800 000 bénéficiaires. Cependant, le taux d'emploi des personnes handicapées stagnant à 4 % depuis 1993, l'Agefiph décide de donner une nouvelle impulsion, notamment en mobilisant 1,5 milliard de francs en complément du programme d'action ordinaire. |
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Appui à l'embauche- Autorisation d'abattement de salaire |
Depuis 1992, la société de restauration collective Avenance s'est engagée dans un processus d'insertion de travailleurs handicapés afin de concilier politique sociale et enjeux économiques. Les actions menées ont déjà permis de répondre à ces deux objectifs, d'une part en transformant la contribution Agefiph en une ressource directement utilisable par l'entreprise, et d'autre part, en développant les moyens d'une politique sociale et l'image d'une entreprise citoyenne. "Lors de la réflexion engagée, une étude des postes et des handicaps compatibles a été menée, explique Marie-Josèphe Henry, ergonome chez Avenance. Ainsi, compte tenu des actions physiques et de l'environnement à risques que représente une cuisine, c'est à des personnes malentendantes et sourdes que nous avons proposé des postes d'employés de restauration. Les autres types de handicaps (problèmes de dos, de port de charge, fatigabilité, problèmes visuels, handicaps psychiques, etc.) ne sont pas compatibles avec un travail en cuisine collective." Une procédure de recrutement prenant en compte le handicap a donc été instaurée. Ainsi, l'hygiène, la capacité à suivre les consignes (lire, écrire, compter), le goût du travail, la ponctualité et le sens du travail en équipe sont des points primordiaux entrant dans les critères de recrutement. Et avant toute intégration, les employés handicapés suivent une formation. "Cependant, reprend Marie-Josèphe Henry, si l'ensemble des collaborateurs sont favorables au maintien dans l'emploi des personnes touchées par une aptitude restreinte, ainsi qu'à de nouvelles intégrations de travailleurs handicapés, il n'empêche que cette volonté est mise à rude épreuve lorsque cela remet en cause l'organisation du travail ou entraîne un surcroît de travail pour les autres salariés. En cela, la nouvelle disposition de l'Agefiph, prévoyant de verser un complément de salaire à l'employeur lorsque le handicap diminue notoirement le rendement de l'employé, est une mesure particulièrement intéressante."
L'AdaptPasser de l'état d'exclusion à celui d'intégration, telle est la mission que
s'est assignée L'Adapt, principale association française pour la réinsertion
professionnelle des personnes handicapées. Elle permet aux individus frappés par la
maladie, le handicap ou l'exclusion, de retrouver une activité professionnelle, et
par-là même, dignité et place dans la société. L'intégration en milieu professionnel
est aux adultes handicapés ce que l'intégration scolaire est aux enfants et aux
adolescents. |
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L'HÔTELLERIE n° 2673 Magazine 6 Juillet 2000