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Le Petit Crêpier à Saint-Malo
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Quand la crêpe est de la cuisine

A Saint-Malo intra-muros, Michel Batteux et Anne Mingeau réinventent la crêperie. Les recettes sont toutes plus originales les unes que les autres, les produits de qualité... Une réelle démarche de professionnel que l'on aimerait rencontrer plus souvent. Au Petit Crêpier, la crêperie touche à la gastronomie.

Olivier Marie


Sur la vitrine, Anne Mingeau et Michel Batteux ont volontairement effacé le mot crêperie pour laisser tout simplement place au nom de l'établissement : Le Petit Crêpier. "Le mot crêperie renferme tout et n'importe quoi", précisent-ils. Et ici, à Saint-Malo, ville touristique bretonne s'il en faut, on croise beaucoup de "n'importe quoi". Les touristes viennent par millier, les crêperies poussent comme des champignons. On en compte une soixantaine ! "Tous les ans, des bruits courent à propos de l'ouverture d'une crêperie." Alors disons-le tout de suite, cette appellation est aujourd'hui malheureusement trop utilisée. "Il y a trop d'ambiguïté dans ce que renferme le mot crêperie. Il faudrait faire un peu le ménage. Je crois qu'il existe un gros malaise dans la profession à ce niveau." Pourtant, cette profession, lorsqu'elle est pratiquée avec sérieux et imagination, fleurte avec la belle et bonne cuisine. Qualité du produit, originalité des recettes, effort de présentation... des bases que l'on retrouve dans tout restaurant digne de ce nom. Anne et Michel, propriétaires du Petit Crêpier, travaillent dans cette optique. Leur démarche côtoie celle des chefs. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un œil sur la carte : Galette filet de carrelet aux algues bretonnes, sauce muscadet, Galette foie gras de la mer (foie de lotte) et langoustine sur lit de salade, Croustillant de crêpe aux trois chocolats, sauce anglaise au cognac... le reste de la carte est à l'avenant. La crêperie retrouve ici ses lettres de noblesse.
Pourtant, cette histoire débute à des lieux de la crêpe et de la Bretagne. "En fait, je suis originaire de l'Oise, et avant de travailler ici j'étais dans une société d'informatique", explique Michel. Quant à Anne, elle arrive tout droit de Lyon et occupait un poste de professeur d'anglais dans l'Education nationale. "Nous avions néanmoins un point commun, à savoir que nous ne ferions pas ça toute notre vie, souligne Anne. Je voulais avoir un véritable contact avec le monde extérieur, rencontrer des gens, faire du commerce. L'Education nationale est quand même une institution un peu cloisonnée !" On s'approche tout doucement de la crêperie... L'idée de départ est d'ouvrir un hôtel bureau mais, confronté à l'importance de l'investissement, ils abandonnent. Michel trouve alors dans le journal L'Hôtellerie "une annonce pour faire un stage à l'école de maître crêpier Treblec de Maure-de-Bretagne", organisme de formation aujourd'hui géré par l'Eshor à Rennes. Michel effectue les deux stages (initiation et perfectionnement) et se met à la recherche d'un petit établissement. "Nous nous étions fixés au nord de la Bretagne, à Royan, sur la côte Atlantique. Nous n'avons pas trouvé et de mon côté, se souvient Michel, j'étais plombé dans mon entreprise. Vous imaginez, faire un stage professionnel qui ne correspond pas du tout à mon domaine d'activité !" Michel quitte alors IBM fin 1991 et les deux futurs crêpiers se trouvent dans l'obligation de "chercher plus sérieusement". Une opportunité se dévoile et ils débarquent à Saint-Malo.

Des produits de qualité

Dotés d'un enthousiasme sans faille, Anne et Michel se mettent au travail dans une optique bien précise. "Pour nous, il n'était pas question de faire de la crêpe pour de la crêpe, de ressembler aux autres." Exit donc la crêperie-snack n'hésitant pas à servir des frites, "dont j'ai horreur", précise Michel au passage. Pas question non plus de réaliser uniquement la sacro-sainte galette œuf-jambon-fromage. Non, "nous souhaitions travailler des produits plus nobles, c'était la condition". Alors les deux professionnels se mettent à imaginer des recettes, des associations sucré-salé... Ils pensent au goût bien sûr, mais aussi à la beauté de l'assiette en réalisant des reliefs, en mêlant les couleurs... Un travail de chef ? "Nous nous inspirons, c'est vrai, des recettes réalisées par les chefs et publiées dans des magazines spécialisés. Elles nous donnent des idées que nous adaptons ensuite à notre support. La galette et la crêpe peuvent être de fabuleux supports quand on s'en donne la peine. Il faut simplement avoir envie de le faire. C'est vrai que l'on se complique un peu plus la vie en cuisine, mais lorsque l'on voit la satisfaction du client, ça fait plaisir", expliquent Anne et Michel. Mais les associations viennent également en voyant les produits issus de producteurs artisanaux, à l'image des chèvres ou cidres proposés. "Et là, précisons une fois pour toutes qu'il n'y a pas du cidre mais des cidres ! Pour le miel c'est pareil." Sur la carte se succèdent ainsi sous l'intitulé "cidres bouchés artisanaux" deux cidres : Coat Albret (fournisseur, au passage, de nombreux chefs dans la région), le cidre de la ferme fruitière de la vallée de la Claie dans le Morbihan ou celui de la ferme des Landes à Saint-Cast-le-Guildo. Il en est de même pour les bières bretonnes artisanales (Lancelot, Sainte-Colombe, Coreff, Morbraz) et pour cet original et délicieux ratafia de cidre, produit par Louis Boucheny, basé dans l'Yonne. Pour les moules, par exemple, Michel avoue ne pas en faire "toute l'année puisque je travaille les moules de bouchot". Et toujours dans cette logique d'honnêteté, "nous travaillons uniquement des produits frais à l'exception des saint-jacques et des langoustines", précise Anne. "Pour les saint-jacques, on ne peut pas se permettre d'acheter des fraîches lorsque l'on met 6 noix par galette." Mais le client est averti. Il n'est pas roi non plus car Michel refuse parfois "des associations que l'on me demande. Je ne veux pas faire du sucré dans les galettes et inversement du salé dans mes crêpes car je les fais assez sucrées." Pour les crêpes au miel (au choix sarrasin, tilleul, thym, lavande ou oranger), Anne et Michel refusent également d'y adjoindre du citron "comme certains nous le demandent. Mais en général, il suffit d'expliquer au client notre démarche et cela passe. Mais certains sont partis..."

Les inconvénients de la saison

A quelques exceptions près, le client apprécie la démarche et revient. Les prix, quant à eux, ne sont pas si élevés que ça (de 34 F par exemple pour la Galette aiguillettes de poulet sauce au cidre à 50 F pour la Galette foie gras de la mer) "et nous avons même remarqué que le ticket moyen a tendance à grimper d'années en années." Pour autant, Anne et Michel avouent leur lassitude quant à Saint-Malo, "une ville principalement axée sur le tourisme. Difficile dans ces conditions de sortir du lot, surtout dans une petite rue comme la nôtre". Et les contraintes de la saison ne s'accordent pas facilement avec l'activité du Petit Crêpier. "On ne peut pas réaliser certaines choses que nous aimerions faire, par exemple, des aumônières ou des mignardises car cela freinerait le service." Sans compter les problèmes de recrutement, essentiel pendant les deux mois. "Dans ce cas, nous sommes tous les deux en cuisine et confions la salle à quelqu'un. Ce n'est pas toujours évident. Ici nous sommes trop dépendants de la saison." Aujourd'hui, Anne et Michel pensent régulièrement à s'installer ailleurs. "Mais il faudrait repartir de zéro." Un gros pari comme chacun le sait. *  


 

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L'HÔTELLERIE n° 2668 Magazine1er Juin 2000

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