Bernadette Gutel
Passionné et novateur, simple et généreux,
droit et rigoureux, gai et malicieux, Gaston Lenôtre a toujours su
rassembler autour de lui des hommes et des femmes qui le respectent et l'admirent. Il a
toujours su enchanter les gourmets par la grande qualité et l'originalité de ses
pâtisseries et de ses prestations traiteur. Pour lui rendre hommage, le 25 mai dernier à
l'occasion de ses quatre-vingts ans, Marcel Derrien, directeur de l'Ecole Lenôtre, toute
son équipe et plus de quatre-vingts apprentis, se sont mobilisés pendant des semaines
pour réaliser à son attention le plus beau et le plus grand gâteau d'anniversaire
jamais réalisé. Sa famille, ses amis de toujours, MOF ou non, étoilés ou non, maîtres
ou apprentis, parisiens et touristes sont venus nombreux dans les jardins du Trocadero à
Paris pour fêter avec lui cet événement et lui souhaiter un joyeux anniversaire. "Après
mon apprentissage à Paris et à cause de la seconde Guerre Mondiale, confie-t-il,
je suis revenu en Normandie, la région dont je suis originaire. Durant ces années
difficiles, j'ai travaillé à Bernay avec mon frère Marcel. J'étais chef pâtissier
dans une boulangerie-pâtisserie. C'est là que j'ai rencontré une Parisienne, Colette,
que j'ai épousée en 1943." En 1947, le jeune couple ouvre une pâtisserie à
Pont-Audemer, une halte pittoresque entre Paris et Deauville. Le beurre frais, la crème
et les ufs viennent de la ferme familiale dont s'occupe son frère. Les années
d'après guerre font peu à peu réapparaître le goût des bonnes choses et des douceurs.
En Normandie, les riches fermiers propriétaires ont renoué avec les grandes fêtes à
l'occasion des mariages, baptêmes et communions. "Tout jeune patron, poursuit-il,
je pouvais alors prouver ce que je savais réaliser. Pont-Audemer fut pour moi un
véritable tremplin pour exprimer tout ce que j'avais envie de faire." Au-delà
des traditions normandes, des tartes et tourtes aux pommes, des brioches, des chaussons et
des mirlitons, Gaston Lenôtre avait en effet des idées plein la tête. C'est à cette
époque qu'il mit au point le Macaron Lenôtre et la Feuille d'automne, une délicate
meringue garnie de mousse au chocolat et chapeautée d'un fin plissé de chocolat noir.
Gaston Lenôtre réinvente aussi le Succès à partir d'une ancienne recette locale, le
Saint-Eve, métarmophosé dès lors en gâteau vedette avec ses deux ronds de pâte
meringuée aux amandes.
En 1957, Gaston Lenôtre a fait de la boutique d'Auteuil, la plus élégante de Paris.
Innovation et créativité, pour séduire les Parisiens
Gaston Lenôtre aurait pu passer le reste de sa vie à Pont-Audemer pour régaler les riches habitants de la Normandie et les Parisiens qui s'y rendaient en week-end ou en vacances. Non, en 1957, plein d'ambition et sûr de son savoir-faire, il décide avec Colette de partir à la conquête de la clientèle parisienne. "Je dois beaucoup, explique-t-il, à Gaston Allain, installateur de magasin, qui m'a conseillé de reprendre la boutique du 44 rue d'Auteuil que cherchait à vendre la Maison Dalloyau. C'était un bon emplacement, avec une bonne clientèle, et surtout pas trop loin du bois de Boulogne et de la route qui mène en Normandie. J'ai besoin d'être proche de la nature. Je n'avais pas de maison de campagne à l'époque." Gaston Allain a lui aussi été fort utile en lui faisant découvrir les vitrines réfrigérées lors d'un salon en Italie. A cette époque, la France ne connaissait pas encore ce type d'équipement. Seule l'Italie en fabriquait. "J'ai tout de suite compris, explique-t-il, que pour faire une opération de prestige, il fallait que j'installe ces vitrines réfrigérées dans ma boutique de la rue d'Auteuil. J'en ai fait la pâtisserie la plus élégante de la capitale." Par ailleurs, en arrivant à Paris, Gaston Lenôtre s'est vite rendu compte que les pâtissiers travaillaient encore comme au temps des années difficiles, avec de la poudre d'uf et beaucoup de farine pour lier les crèmes. Il n'a pas cherché à les imiter, bien au contraire. Voulant séduire les Parisiens par la qualité de ses pâtisseries, son savoir-faire et sa créativité, il a continué à travailler avec des ufs frais mais aussi du beurre et de la crème fraîche de Normandie, et il a créé une nouvelle recette de crème au beurre, une recette légère et mousseuse. "Il faut savoir, précise Gaston Lenôtre, que jusque vers la moitié des années 50, les crèmes au beurre étaient excessivement lourdes et grasses, confectionnées à l'avance et stockées dans des chambres froides pour être utilisées en fonction de la demande et du parfum souhaité. C'est alors que j'ai eu l'idée de créer des bases mousseuses beaucoup plus légères. J'ai imaginé ma propre Crème au beurre, une crème à base de pâte à bombe et de meringue, parfumée au tout dernier moment en fonction de la recette. J'ai aussi lancé à cette époque la Mousse aux fruits et les bavarois." Gaston Lenôtre est véritablement le précurseur de la pâtisserie moderne.
" La véritable raison du succès de la Boutique Lenôtre, c'est l'amitiée qui régnait dans l'équipe."
Amitié et exigence, pour motiver son équipe
Très rapidement, la pâtisserie Lenôtre rencontre un vif succès. Heureusement, surpris
par la qualité et la variété des créations de Gaston Lenôtre, les Parisiens affluent.
"Pour leur donner envie d'acheter mes gâteaux, confie-t-il, plein de malice, j'ai
eu l'idée de faire installer un tuyau d'aération entre le laboratoire et le trottoir
afin de diffuser les parfums alléchants produits lors de la cuisson de la nougatine et
des macarons." Certes, la recherche minutieuse de matières premières de
qualité, le respect rigoureux des recettes telles qu'il les a mises au point, son
savoir-faire, son charisme sont des composantes importantes de l'engouement des Parisiens
pour Lenôtre. "Mais la véritable raison de ce succès, livre avec enthousiasme
Gaston Lenôtre, c'est l'amitié qui régnait dans mon équipe. Nous travaillions dans des
conditions très difficiles. Les métiers de pâtissier et de traiteur sont des métiers
exigeants. Il faut parfois travailler 15 heures de suite. A Auteuil, nous n'avions pas de
place pour nous reposer. Nous ne disposions que d'un lit de camp, que nous allions occuper
une heure à tour de rôle pour récupérer un peu. Le dimanche, il fallait commencer à 2
heures du matin afin de pouvoir alimenter en pâtisseries fraîches le magasin jusqu'à
midi. Il y avait la queue jusqu'à la boutique Nicolas." A 9 heures du matin,
toute l'équipe faisait une petite pause d'une demi-heure, le temps de manger une omelette
au jambon bien baveuse préparée par Gaston Lenôtre lui-même, et de boire un verre de
vin d'Alsace. Mais travailler ainsi, c'était la seule façon de servir des pâtisseries
très fraîches, des saint-honorés et savarins garnis au dernier moment. "Je
pouvais tout leur demander, ajoute-t-il. Grâce à leur fidélité et à leur sens des
responsabilités, ils ont su créer un climat favorable au succès. Nous n'avons jamais eu
de problèmes car nous avions tous le même esprit pour aller dans le même le sens."
A côté de son épouse, ses enfants et petits-enfants, Gaston Lenôtre a une deuxième
famille, celle de l'amitié. "Elle se compose de tous ceux qui ont fait
Lenôtre avec moi, poursuit-il, ceux qui sont à la base de ma réussite, Colette,
mon épouse pendant 25 ans, Alain Bromet, Robert Dessertenne, Marcel Derrien, ancien
directeur de production à Plaisir, Philippe Rousselet, Francis Guincetre, le Roi de la
Brioche, Marc Léger, le Roi du Foie gras, Christian Lacour... mais aussi André et Alain
qui sont aujourd'hui à la retraite à la campagne et auxquels je fais parvenir chaque
année un camion de bois pour qu'ils se chauffent l'hiver." C'est grâce à tous
ceux-là et à tous les autres, que nous ne pouvons pas citer ici faute de place, que la
Maison Lenôtre a commencé en 1964 à organiser de grandes réceptions. Elle est devenue
le "traiteur capa-
ble de dire oui à tout et de répondre à toutes les exigences". Elle le prouve
chaque jour et l'a bien démontré, notamment à l'occasion de la Coupe du Monde de
Football, durant laquelle elle a servi un million de couverts assis et en buffets pendant
trois semaines sur dix sites différents. "Ils ont tous travaillé comme des dieux",
explique Gaston Lenôtre, avec beaucoup d'émotion et d'admiration.
La maison Lenôtre est devenue le traiteur capable de dire oui à tout
Le partage des connaissances, pour grandir
Après quarante ans, la Maison Lenôtre est toujours sur le podium. Les derniers événements les plus remarquables sont, entre autres, l'ouverture de la 43e boutique Lenôtre en 1999, à l'hôtel-casino Paris-Las Vegas, aux Etats-Unis, ainsi que l'organisation et la restauration des athlètes, journalistes et personnalités invités par le Comité olympique du sport Français lors des jeux Olympiques de Sydney. "Ce succès dans l'espace et dans le temps, déclare Gaston Lenôtre, nous le devons à la maîtrise du savoir-faire de nos équipes. C'est pourquoi nous attachons autant d'importance à la transmission du savoir. Dans le Laboratoire de production et de recherche, installé à Plaisir dans les Yvelines depuis 1968, nous avons les meilleurs chefs et les meilleurs pâtissiers, des MOF comme Jean-Louis Clément, Bernard Neveu, et nous avons en permanence 45 apprentis." A Plaisir, ces derniers apprennent d'abord la pâtisserie pendant deux ans. En effet, Gaston Lenôtre estime que, pour être bon cuisinier "il faut passer par là, car en pâtisserie, on apprend à mesurer et à peser, deux principes fondamentaux qui ne sont pas enseignés en formation de cuisine". "En effet, en cuisine, précise-t-il, on peut tout rattraper sauf la cuisson. En pâtisserie, on ne peut pas rattraper, un manque ou un excès de sel ou de sucre. A la moindre erreur de pesée, la meringue s'écrase et la pâte à choux ramollit. Nous gardons les meilleurs d'entre eux, poursuit-il, et nous essayons de leur donner une formation la plus complète possible. Il faut dix ans de formation et de pratique pour s'installer à son compte !" Partager son savoir-faire, Gaston Lenôtre a aussi voulu le faire avec les professionnels. En 1971, il a créé la première Ecole française gastronomique de formation et de perfectionnement. "Nous avons créé cette école, poursuit-t-il, car la pâtisserie n'est pas enseignée aux chefs de cuisine. Ainsi, lorsque dans un bon restaurant, le chef pâtissier tombe malade, cela pose un réel problème." Cette école accueille des ouvriers, des seconds, des qui viennent apprendre ce qui leur manque. Sept spécialités sont enseignées par sept professeurs. Soixante-cinq chefs modules de formation, pour des stages d'une durée d'une semaine, couvrent l'ensemble du savoir-faire indispensable à chaque discipline culinaire. Et la formation est sans cesse enrichie des dernières innovations Lenôtre. En 1999, l'Ecole Lenôtre a prodigué 3 000 semaines de formation. "L'Ecole Lenôtre est la meilleure du monde", assure avec fierté Gaston Lenôtre.
L'Ecole Lenôtre reçoit 3000 stagiaires par an.
La confiance partagée, pour le bonheur
En 1985, pour permettre à la Maison Lenôtre de poursuivre son développement à l'international (alors qu'une première boutique ouvrait ses portes à l'étranger, en Allemagne en 1975, ainsi qu'une autre au Japon trois ans plus tard), le groupe Accor entre dans son capital. Dix ans plus tard, Patrick Scicard devient directeur général de cette division d'Accor. En avril 1999, à l'initiative de Jean-Marc Espalioux, président du directoire d'Accor, Lenôtre adopte le statut de société de directoire et conseil de surveillance. Cette nouvelle organisation consacre la réussite de la Maison Lenôtre et lui donne les moyens d'accroître son essor. Gaston Lenôtre, président d'honneur de Lenôtre, est membre du conseil de surveillance présidé par Jean-Marc Simon, et Patrick Scicard est nommé président du directoire. Aujourd'hui, à quatre-vingts ans, Gaston Lenôtre savoure avec bonheur le succès de la Maison Lenôtre qui ne cesse de progresser. "A Pâques, annonce-t-il, nous avons fait 27 % de chiffre d'affaires en plus. Ce succès, la Maison Lenôtre le doit à Patrick Scicard. C'est le successeur que j'ai choisi. C'est celui que j'espérais : fils de pâtissier, travailleur acharné qui aime la qualité et le beau, qui comprend les hommes et qui sait dialoguer avec eux, et qui est plein de rigueur et d'ambition. Il a un esprit de battant, de gagneur." Et quand Gaston Lenôtre félicite Patrick Scicard des derniers succès de la Maison Lenôtre, celui-ci lui répond : "C'est grâce aux hommes que vous avez formé." "Nous sommes complémentaires, confie Gaston Lenôtre, et nous travaillons en étroite intelligence. Quand Patrick me fait tester des recettes, je suis ravi car je me dis qu'à quatre-vingts ans, je reste encore quelqu'un qui par son goût apporte encore quelque chose à la qualité." En fait Monsieur Lenôtre, à quatre-vingts ans, vous apportez encore bien des choses, notamment celles du cur et de la passion, au millier d'hommes et de femmes qui sont heureux de travailler dans une maison aussi prestigieuse et aussi soucieuse de leur avenir. *
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: les secrets d
Réussir les secrets de Gaston
Lenôtre : Pour tous ceux qui rêvent de réussir dans les métiers de pâtissier, traiteur, cuisinier. Gaston Lenôtre révèle ses secrets : 1. Bien maîtriser la technique, le savoir-faire. Pour
cela, inutile de fréquenter les écoles hôtelières les plus prestigieuses. Le mieux est
d'apprendre "à mettre la main à la pâte" en apprentissage, chez les
professionnels les plus renommés et auprès des MOF. |
ston
La Maison Lenôtre, c'est :h Des laboratoires de production et de
recherche à Plaisir, dans les Yvelines (1968) : |
Quelques dates de la Normandie à Las Vegas 1920 Naissance de Gaston Lenôtre à
Saint-Nicolas-du-Bosc, dans l'Eure, d'une mère ayant un temps servi
Le Pré Catelan |
La Maison Lenôtre en quelques chiffres--Aux laboratoires de production et de recherche de Plaisir : |
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L'HÔTELLERIE n° 2668 Magazine 1er Juin 2000