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Guy Savoy
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Un homme qui sait faire confiance

Métamorphose complète du restaurant doublement étoilé, deux bistrots qui vont être repris par ses collaborateurs, des envies, des projets... Guy Savoy opère un sérieux tournant cette année.

m Nadine Lemoine

Enthousiaste, d'une bonne humeur communicative, on comprend vite la passion de Guy Savoy pour le rugby. Capitaine-entraîneur, c'est le titre qu'il se choisit avant de vous donner sa vision de la profession : "Il n'y a pas de métier plus proche du rugby que le nôtre. Les avants - ceux qui se battent dans la mêlée pour le ballon - sont en cuisine. Les trois quarts - les serveurs - sont dans la salle et chaque table est une action de jeu. Il n'y en a pas deux de semblables et on se remet en cause à chaque fois." Cuisine ou rugby, même combat ! Le dirigeant-partenaire du club de rugby de Bourgoin-Jallieu cultive l'amitié et comme un juste retour des choses, on le lui rend bien. "Chez Guy, il y a le talent exceptionnel des grands capables de renouveler au quotidien des choses uniques. Et puis il y a l'homme, le compagnon qui fait que sa cuisine a le goût de l'amitié", dit le navigateur Olivier de Kersauson, un habitué de la rue Troyon. "C'est l'un des chefs qui aura le plus marqué sa génération par son talent. Entre nous, c'est une amitié de 25 ans et une association de 12 ans, et après tout ce temps, il m'impressionne toujours professionnellement", confie l'ami de toujours et associé Bruno Gensdarmes. "Il est bon et généreux. Sur le plan professionnel, c'est un vrai passionné, un bosseur qui adore son métier. L'une de ses grandes qualités, c'est de faire confiance", ajoute Alain Pras qui dirige aujourd'hui La Butte Chaillot et Version Sud, deux bistrots de Guy Savoy. "C'est un homme qui sait transmettre son métier. A chaque fois qu'un jeune vient de chez Guy Savoy, on le prend tout de suite parce qu'on sait, par expérience, qu'il est bien formé." Un bel hommage de la part de Paul Bocuse.

Le parcours éclair d'un passionné
Guy Savoy est très attaché à ses racines. Sa fidélité à Bourgoin-Jallieu, dans l'Isère où il a grandi, ne s'illustre pas que dans le rugby. Sa maison, son potager et ses volailles sont là-bas pour un retour aux sources salutaire. C'est toujours à Bourgoin-Jallieu qu'il tombe dans la marmite très jeune en aidant sa mère qui tient un petit restaurant sans prétention. A 16 ans, il est sûr de sa vocation et souhaite entrer au plus vite en apprentissage. Sa conseillère d'orientation émet un verdict d'une grande clairvoyance : "N'est pas fait pour un métier manuel et encore moins dans l'alimentation." Le jeune Guy tient bon et commence comme apprenti pâtissier chez M. Marchand à Bourgoin-Jallieu. L'année suivante, le tout jeune apprenti cuisinier fait son entrée chez les frères Troisgros. "C'était un bon employé que l'on ne prend jamais en défaut, se souvient Pierre Troisgros. Et il a évolué d'une manière extraordinaire. Sa cuisine est comme lui, franche et loyale, sans fioritures. On l'adore." Et son fils Michel Troisgros d'ajouter : "J'aime sa cuisine sobre, pleine de bon sens, sans artifices où l'on sent un grand respect pour la nature." Suivra sa première incursion parisienne, une année chez Lasserre avant l'armée. Puis, ce sera Genève comme chef saucier au Lion d'Or. Au restaurant L'Oasis à La Napoule, il est à la fois pâtissier et cuisinier. En 1977, Claude Verger lui confie La Barrière de Clichy où il fait ses armes de patron en attendant d'ouvrir sa propre maison.

Un premier restaurant à 27 ans

Guy Savoy n'a que 27 ans lorsqu'il ouvre son premier restaurant à Paris. "Il faisait déjà une cuisine de perfection dans son petit restaurant de la rue Duret", se souvient Paul Bocuse. Très rapidement d'ailleurs, il obtient un premier macaron. En 1987, il s'installe rue Troyon, à deux pas des Champs-Elysées. C'est son fief, son rendez-vous gastronomique doublement étoilé : il y consacre tout son temps. "J'ai besoin de vivre mon restaurant comme une maison. C'est la récompense de ce métier", dit Guy Savoy. L'année suivante, une petite boutique en face du restaurant se libère : le premier Bistrot de l'Etoile est né. Quand il l'a ouvert, il a déclaré : "Ce n'est pas un restaurant mais un foyer pour les amis. Vous savez avec 20 places, ce n'est pas commercial. Dans ce métier, on travaille 15 heures par jour. Moi, ma récréation, ce sont mes tableaux et le bistrot d'en face..." L'endroit connaît un tel engouement que Guy Savoy se laisse tenter par l'aventure : les ouvertures de bistrots s'enchaînent dans la capitale (cf. tableau p. 7).

Pas de plan de carrière
"C'est une histoire simple. Je n'ai pas de plan de carrière. Je n'ai jamais pensé ouvrir un bistrot par an. Je fonctionne au feeling, aux envies..." Bien sûr, un chef étoilé qui donne dans le bistrot n'échappe pas aux critiques. C'est le lot des précurseurs ! D'autres lui rendent hommage spontanément : "C'est le premier chef qui a lancé des bistrots et ça a très bien marché", indique Paul Bocuse. Le secret de sa réussite ? "Le boulot, c'est le premier ingrédient de la recette. Je suis contre les 35 h mais j'ai une vision très moderne des relations avec les collaborateurs. Je suis pour les gens qui bossent tout simplement." Alors pas de mystère, chaque établissement a été confié à un homme de confiance. Des professionnels aguerris qu'il connaît de longue date et qui ont investi dans l'établissement. Bruno Gensdarmes, William Ledeuil, Alain Pras sont de véritables associés. "C'est un groupement d'artisans. Je ne suis pas leur patron. Ils signent leurs chèques. On se téléphone trois fois par jour. On parle des clients, des achats en commun, des produits... Avec le temps, je me suis rendu compte qu'en fait, je m'étais acheté une organisation qui m'apporte une meilleure qualité de vie dans le travail et qui me permet d'être disponible pour mon restaurant."

Je change tout
Cette année, la galaxie Savoy vit une profonde mutation. Les Bistrots de l'Etoile se préparent une nouvelle histoire : Bruno Gensdarmes, associé depuis la création du Bistrot de l'Etoile avenue Niel, devrait très rapidement en être le seul et unique propriétaire. Celui de la rue Lauriston devrait lui aussi quitter le giron Savoy. Quant au troisième Bistrot de l'Etoile (rue Troyon, à proximité du restaurant Guy Savoy **), il se métamorphose : "En face, ça devient un salon-fumoir-dégustation, un lieu totalement informel annexé au restaurant. Fermé le midi, les clients viendront le soir prendre l'apéritif dans un bon fauteuil, manger du foie gras au sel avec un verre de vin ou fumer un cigare".
Pour découvrir le nouveau fumoir et surtout le restaurant Guy Savoy version 2000, il faudra attendre le 22 août prochain. "On démarre un nouveau restaurant. Je change tout", poursuit le chef avec un enthousiasme palpable. La décoration, le mobilier, les assiettes... Il s'offre un nouvel écrin tel qu'il en rêvait. Garantie suprême, c'est Jean-Michel Wilmotte, star internationale du design, qui signe le décor "moderne mais très chaleureux". Toujours présentes, les œuvres d'art seront particulièrement mises en valeur grâce à un travail scénographique digne d'un musée. Cinq semaines de travaux et près d'un an de travail avec le designer.

Se lancer dans l'agroalimentaire ?
Entre la satellisation des deux bistrots et la "révolution rue Troyon", cette année est déjà bien chargée mais Guy Savoy ne ferme aucune porte. "Le métier de cuisinier aujourd'hui, c'est mettre son nez dans toute forme d'alimentation et on a la chance de faire un métier qui offre une multitude de possibilités dans une multitude de secteurs", dit Guy Savoy qui entend bien en profiter. Sombrer dans l'immobilisme, très peu pour lui. Les lignes de produits grand public et l'agroalimentaire sont une piste. Il note qu'à chaque fois qu'un chef a mis ses compétences au service de l'industrie alimentaire, la qualité comme les saveurs s'en sont trouvées améliorées. Alors pourquoi pas ? Mais l'homme est prudent : "Il faudrait que ce soient des produits qui me touchent et que je sente bien les choses." Des projets de bistrots ? "Est-ce que j'ai encore envie de faire des bistrots ? Je ne crois pas", confie Guy Savoy.
En mars dernier, le Guide Rouge 2000 maintient les deux macarons du restaurant Guy Savoy. La nouvelle mouture fait enfin ses commentaires : "Harmonie de tons doux, œuvres d'art contemporain et cuisine personnalisée invitent à s'attarder à l'une des tables richement dressées de cette institution parisienne." Un joli compliment. Pourtant, cette année encore, l'étonnement est au rendez-vous. "Je ne comprends pas qu'il n'ait pas encore de 3e étoile. Pour moi en tout cas, c'est un 3 étoiles en puissance", dit Paul Bocuse. Profondément positif, Guy Savoy opte pour une attitude de philosophe : "C'est la vie. C'est comme ça. Aujourd'hui, on a une équipe de cuisine et de salle solide. On travaille tous avec un immense plaisir et une véritable volonté de bien faire les choses. Si la 3e étoile doit venir, elle viendra." n


"Si la troisième étoile doit venir, elle viendra."


"Au boulot, il n'y a pas plus sérieux et plus intransigeant. Mais même si je suis un bosseur acharné, je ne me suis jamais pris au sérieux."

La galaxie Guy Savoy

Restaurants Nbre de places assises Nbre de couverts par jour Ticket moyen Effectif CA 1999 HT Hors service en MF

75

105

1 122 F

45

29,7

Guy Savoy **, rue Troyon

ouverture 1987

24

31

267 F

3

1,7

Bistrot de l'Etoile, rue Troyon

1988

90

118

254 F

12

9

Bistrot de l'Etoile, avenue Niel

1989

50

76

253 F

9

5

Bistrot de l'Etoile, rue Lauriston

1991

90

149

266 F

14

13

La Butte Chaillot, avenue Kléber

1992

70

119

278 F

11

10,7

Les Bookinistes, Quai des Grands Augustins

1994

140

177

301 F

16

16

Cap Vernet, rue Marceau

1995

80

92

248 F

12

4

Version Sud, rue Berryer

1999


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L'HÔTELLERIE n° 2660 Magzine 6 Avril 2000

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