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A l'auberge de Saint-Vidou dans les Landes
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Passion de femmes

Depuis 1836, l'Auberge de Saint-Vidou au Frêche, à quelques encablures de Villeneuve-de-Marsan, a vu passer quatre générations de femmes dont trois professionnelles de la restauration. Une gageure dans ce village de 430 habitants ! Aline, actuellement aux commandes, a pourtant su faire prospérer l'affaire.

m Brigitte Ducasse

Si le plantureux magnolia planté il y a 163 ans dans la cour de l'ancestrale demeure de Saint-Vidou était doué de parole, il évoquerait Angélique qui, la première, a fait construire cette maison dans ce quartier du village du Frêche, commune rurale prospère à l'époque. Puis il expliquerait pourquoi sa fille, Eugénie, a décidé d'accrocher sur la façade l'enseigne Auberge de Saint-Vidou, transformant le lieu en bistrot de campagne, plus par nécessité que par choix. Il évoquerait encore Odette, la fille d'Eugénie qui, à la perte de son époux, a repris à son tour l'héritage maternel, ne laissant guère le choix plus tard à sa propre fille Aline, l'aînée, avec qui elle vit aujourd'hui. Bref, Saint-Vidou c'est avant tout une affaire de femmes. Jamais aucun homme n'y a été admis en cuisine ! "A mes 18 ans, maman m'a dit : tu vas reprendre l'affaire. Elle nous avait élevées avec ma sœur toute seule. Je lui devais du respect." Mariée à 20 ans, Aline aurait pu rendre son tablier, mais là encore le destin veillait : "Mon mari, qui avait un excellent travail par ailleurs, a souhaité que je poursuive la tradition familiale." Aujourd'hui, dans la plénitude de l'âge, celle qui n'avait pas eu le choix ne regrette absolument pas sa vie ici, au cœur de cette maison qui l'a vu naître et qui a vu grandir ses deux filles, Sophie et Mathilde. Pourtant rien n'était gagné d'avance. La cuisine est devenue une passion tardivement... En effet, c'est seulement à 30 ans qu'Aline s'est vue confier la responsabilité des fourneaux. "Jusque-là, j'assurais le service et m'investissais totalement dans la décoration. J'aurais voulu en faire mon métier."


De gauche à droite : Léa, fille de Sophie, sur les genoux d'Odette, Sophie et Aline.

Une reprise délicate
Le cadre d'origine, qui s'est agrandi au fil des transformations jusqu'à proposer aujourd'hui trois salles de restauration de 20 à 80 couverts, reflète la personnalité de sa propriétaire. Il est naturel et chaleureux avec ses meubles patinés, ses nappes à carreaux rouge et blanc et ses tableaux chinés dans les brocantes.
"A 30 ans donc, je fais la part à ma sœur. Il a fallu emprunter et les premières difficultés ont commencé. J'ai dû revoir totalement le mode de fonctionnement. Jusque-là on ne connaissait pas les bulletins de salai-
res...
" Les additions augmentent et la cuisine d'Aline n'est pas aussi bien accueillie que celle de sa maman qui pourtant épaule sa fille en conservant les sauces, un domaine où elle excelle. "J'entendais des réflexions. Très vite j'ai compris qu'il me fallait faire autre chose. Je suis partie au courage." Levée aux aurores, jamais couchée avant deux heures du matin sans avoir préparé son planning pour le lendemain, Aline, seule aux fourneaux par choix, travaille d'arrache-pied, aidée seulement par une salariée et quelques stagiaires envoyés par les écoles hôtelières. Elle reproduit avec les mêmes gestes les recettes de ses aïeules : ris de veau, salmis de palombes, sauces, œufs au lait et trouve ses marques en dévorant les livres de cuisine ou en inventant au gré de son inspiration (elle n'en manque pas) des plats succulents à partir des produits du terroir.


En rase campagne, l'Auberge de Saint-Vidou où l'on travaille à la demande.

"Ça marche tout seul"
Elle le dit clairement : "Je ne cours pas après la clientèle. Pour cela, il faudrait faire de la publicité, je n'en ai pas les moyens. Et puis, vu le passé de la maison, ça marche tout seul." La preuve : travaillant pour des autocaristes, son plus gros challenge fut un service pour 230 personnes. "Mais je n'en tire aucune gloire, mon idéal, c'est un service de 25 à 30 couverts", dit-elle, réalisant environ 120 couverts par semaine pour une addition moyenne de 230 F. Dans un rayon de 150 km, tout le monde connaît cette adresse transmise de génération en génération ou par le bouche à oreille. Les notables de la région, notamment les banquiers, n'hésitent pas le midi à emprunter les chemins tortueux de campagne, quitte à faire cinquante kilomètres pour déguster le menu à 63 F, qui comprend chaque jour une entrée, un plat et un dessert, le tout à base de produits extra frais y compris pour les pâtisseries maison. Car Aline ne fait "que du frais", légumes du jardin ou du marché, viandes et volailles d'éleveurs artisans. Les menus à 115 et 210 F ne sont là que pour les touristes. "Les gens savent que je travaille à la demande. On me donne un prix et je fais des propositions."

La famille avant tout
Malgré une vie consacrée à la cuisine, Aline a du mal a se considérer comme une professionnelle de la restauration. "Mes enfants ont toujours eu la priorité, au point que si pour des raisons familiales je ne pouvais assurer un service, je fermais la porte tout simplement. C'est sans doute ce qui nous différencie des hommes." Logique jusqu'au bout, elle comprend que les cuisiniers soient quelque peu machos vis-à-vis des femmes. D'où son étonnement lorsqu'en 1994 ses pairs lui ont demandé de rejoindre l'Association des restaurateurs landais. "C'est vrai, c'est un métier très physique, très dur, mais une femme, par sa sensibilité, peut certainement apporter autre chose. Et plus j'avance, plus j'ai l'impression de donner le meilleur de moi-même." Pourtant l'heure de la retraite approche et se pose le problème de la transmission : "Je veux laisser faire le destin, ne rien imposer. Mes filles ont fait des études supérieures sans rapport avec la restauration." Mais le challenge ne semble pas effrayer Sophie qui, avec la fougue de ses 32 ans, affirme : "Pouvoir vivre ici, élever mes enfants et reprendre l'affaire avec ma sœur, ce serait formidable ! Pour la cuisine, maman nous apprendra..." n


Des nappes à carreaux rouge et blanc pour l'ambiance.


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L'HÔTELLERIE n° 2655 Magazine 2 Mars 2000

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