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La Ferme de mon Père à Megève
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La dernière folie de Marc Veyrat

Marc Veyrat s'est installé le 15 décembre à Megève où La Ferme de mon Père fermera ses portes le 12 mars au soir... jusqu'à la prochaine saison hivernale. A l'heure du bilan de sa première saison en altitude, il évoque son nouveau choix de vie.

m Propos recueillis parJean-François Mesplède

L'Hôtellerie : Vos amis Olivier Rœllinger et Michel Bras éprouvent le besoin de souffler durant l'hiver. N'avez-vous pas été tenté de faire de même ?
Marc Veyrat : Souffler ? Non, pour une bonne et simple raison : la montagne me manque de plus en plus. Il est important de faire les deux saisons et, de toute façon, les nouvelles mesures sociales vont nous l'imposer. C'est vrai pourtant qu'avec mon équipe nous n'avons pas beaucoup soufflé puisque à peine étions-nous partis de l'Eridan que nous étions déjà à Megève.

L'H. : On a vraiment le sentiment qu'ici vous êtes dans votre élément. On sent une sorte d'exaltation...
M. V. : C'est vrai qu'au bord du lac je n'étais pas tout à fait en paix avec moi-même. Megève représente une sorte de passage obligé, de reconnaissance vis-à-vis de mon père, de la philosophie que l'on me prête. Là, avec mon chapeau et mes brodequins, j'ai vraiment retrouvé mes racines paysannes avec une ferme telle que je l'ai connue dans mon enfance.

L'H. : Il y a un brin de nostalgie dans tout cela...
M. V. : De la nostalgie ? Sans doute, mais sans conservatisme. J'ai besoin de mes racines, de rendre hommage à ceux qui ont vécu avant nous. Ici, au-delà d'un chalet de montagne tel qu'on en trouve dans la chaîne des Aravis, j'ai voulu faire un lieu de culture populaire avec les chambres de devant que l'on réservait au curé ou au patriarche de la famille, les chambres de derrière ; la "séchée" où l'on fabriquait le reblochon ; la bourne, cette gigantesque cheminée froide où l'on fume le jambon et les cochonnailles ; l'étable avec les vaches et les chèvres ; le sous-sol avec la cave à cidre et la resserre des fruits et des légumes ; le four à pain et aussi le grenier où l'on gardait les papiers de famille et la ligne du dimanche pour les mettre à l'abri, au cas où la maison avec sa grange brûlerait. Pour ne rien cacher aux clients, nous avons imaginé de placer au sol du restaurant des vitres qui permettent de tout voir...

L'H. : Votre père s'inquiétait un jour de savoir si vous pourriez profiter de tout ça. Y a-t-il du changement ?
M. V. : C'est vrai que lui, qui n'a profité de rien, avait cette réaction. Né pauvre, il est resté paysan, n'a pris sa retraite qu'à 80 ans... mais a travaillé pour donner le maximum à ses enfants et leur léguer un peu de ce patrimoine et de cet amour du travail.

L'H. : Revenons à la Ferme de mon Père. N'est-ce qu'un clin d'œil au paternel ou une nécessité économique ?
M. V. : Je crois que c'est avant tout une envie folle de créer ce patrimoine, en pensant aussi un peu à mes enfants. Je ne crois pas qu'il y ait d'impératif économique, mais davantage un retour à mes terres d'alpage. Lorsqu'il y a une dizaine d'années, j'ai construit Veyrier-du-Lac je pensais qu'en homme de la montagne, j'y retournerais un jour. Au bord du lac, je reste un expatrié alors que là je suis chez moi, en face du mont Charvin. A Manigod, c'est l'autre côté et il n'y a que ça qui nous sépare.

L'H. : Comment vous et votre équipe partagez-vous votre temps entre Veyrier-du-Lac et Megève ?

M. V. : Avant tout, la notion d'équipe est très importante. Sans elle, je ne me serais pas engagé dans cette... folie. Nous sommes à Megève depuis le 15 décembre jusqu'au 12 mars. Nous serons à Veyrier du 15 avril au 15 novembre avec des équipes sensiblement identiques de 55 personnes. Pour la saison 2000, j'envisage de créer une dizaine de suites. Je déposerai le permis de construire dès que j'aurai terminé d'étudier le dossier.

L'H. : Visez-vous la même clientèle qu'à l'Auberge de l'Eridan ?
M. V. : Oui et, comme à Veyrier l'été, nous avons un carnet de réservations de deux mois... ce qui est assez extraordinaire. Je mise entre 100 et 120 clients par jour, avec un ticket moyen oscillant entre 1 000 et 1 800 francs. En fait, la seule inconnue ici était pour le déjeuner : s'il fait beau, les clients auront-ils envie de venir ou préféreront-ils le ski ? J'ai eu la réponse avec une saison formidable, un taux de remplissage total.
Mais je constate un comportement un peu différent. Ici, c'est plus convivial et l'on sent tout le monde heureux de vivre dans cette maison. Je n'ai jamais connu un tel climat de sérénité, un peu comme si le chalet existait depuis un siècle. Je crois que le plus bel hommage qui m'ait été rendu est celui des Megévans qui m'ont adopté et m'ont permis de m'intégrer.

L'H. : C'était un sacré pari. Au terme de ce premier hiver, pensez-vous l'avoir gagné ?
M. V. : Je sais simplement que mon équipe a trouvé ses marques et que nous avons fait la même cuisine. C'est vrai pourtant que j'ai toujours peur... mais je suis un angoissé perpétuel. On n'est jamais sûr de rien et surtout pas d'une réussite définitive ici. Il peut y avoir des chutes de neige nous coupant du monde et nous faisant rater une partie de la saison. Je n'ai pas de souci de viabilité sur les quatre mois d'ouverture et je fais le maximum pour mes clients. Le reste...

L'H. : On imagine facilement qu'avec la même équipe et des prestations identiques, une idée germe dans votre esprit. Espérez-vous retrouver ici les trois étoiles du bord du lac ?
M. V. : Alain Ducasse a gagné deux fois trois étoiles et je ne peux pas croire qu'il pourrait en être autrement pour nous. Le Michelin est d'une très grande crédibilité, c'est à lui qu'il appartient de juger et de nous attribuer les étoiles qu'il veut. Je sais que Pierre Gagnaire à Paris ou Alain Ducasse à Monte-Carlo avaient dû patienter un an. Avec la même équipe et en ayant fermé l'Auberge de l'Eridan pour me concentrer sur Megève, j'ai tout misé pour avoir trois étoiles, même si je sais que notre ouverture très fraîche (sic) peut-être un handicap. Si ce n'est pas en l'an 2000, j'ose croire que ce sera pour 2001 ou je serais très déçu. n

© Della Corte/Gambero Rosso

"J'ai besoin de mes racines, de rendre hommage à ceux qui ont vécu avant nous." © Della Corte/Gambero Rosso


"Ici, j'ai voulu faire un lieu de culture populaire."


"Je mise entre 100 et 120 clients par jour."

© Della Corte/Gambero Rosso

Un détail : un vitrage au sol du restaurant, pour que les clients n'ignorent rien de ce qui se passe dessous...

 

Veyrat et les banquiers

Vaste sujet abordé sans pratique de la langue de bois.
Suivez le guide !

A Megève, l'investissement (de l'ordre de 16 MF pour l'achat du terrain, la démolition et la reconstruction) est signé Sapé International, la société de conseil de Marc Veyrat qui en est actionnaire à 100 %. Marc Veyrat n'a rencontré aucune réticence des banquiers qui sont les mêmes qu'à Veyrier-du-Lac le Crédit Agricole à Annecy et la Savoisienne de Crédit à La Roche-sur-Foron. Depuis 1996, tout est entre les mains de ces deux banques, Marc Veyrat affirmant qu'il n'y a jamais eu "réduction de capital, mais simple renégociation des prêts. Ces directeurs sont des gens exceptionnels qui me font confiance et qui ont repris seuls le flambeau de l'Eridan. Je n'ai désormais que deux partenaires puisque les "banques rebelles" ont été remerciées. Si j'avais un conseil à donner à mes collègues, ce serait de miser sur la proximité et de faire confiance à des gens qui les connaissent. J'ai été obligé de faire un bras de fer avec une banque nationale qui ne voulait pas renégocier mes taux d'intérêt, alors que l'on renégociait partout ailleurs ! Je n'ai jamais déposé le bilan et n'ai jamais été en redressement judiciaire et ce banquier qui voulait me détruire m'a, indirectement, apporté de très beaux contrats de conseil puisque le débat a été largement médiatisé."

 

Une équipe solide

C'est la même équipe de 35 personnes qu'à Veyrier-du-Lac qui s'est transportée à Megève et qui a participé au déménagement et à l'installation : autour d'Hervé Audibert, directeur de salle, et Bruno Bosser le sommelier, Vincent Labarsouque, Pascal Drouet et Mathieu Fortin (maîtres d'hôtel) ; Stéphane Froidevaux et Arnaud Quemeneur (cuisine) mais aussi Carine Veyrat, fille de son père et chef-pâtissière depuis 1997.
Marc Veyrat envisage de créer une nouvelle société où il intégrera ses bras droits, fidèles depuis des années et les intéressera à l'affaire.
Une partie des cuisines (fours à pâtisserie, salamandre, fours à vapeur, plonge) et du mobilier a été démontée à l'Eridan et remontée à Megève. Toutes les antiquités stockées par Marc Veyrat depuis des années ont également "fait le voyage" pour le choix final. Les bois proviennent de chalets d'alpage rachetés et démontés (une partie a été cédée par Pierre Carrier à Chamonix). La poutre maîtresse (la bédane) et beaucoup de bois ont été achetés aux moines de l'Abbaye de Tamié, entre le bout du lac et Faverges.


Autour du... chapeau de Marc Veyrat, Bruno Bosser et Hervé Audibert, les fidèles du patron.

 

Vu de l'intérieur...

Il est arrivé chez Marc Veyrat le 6 mars 1993, le même jour qu'Hervé Audibert, le directeur de salle. Bruno Bosser, le sommelier, est un témoin privilégié de cette nouvelle aventure Veyrat.
"Je crois que ce n'est pas le dernier projet de folie qu'il ait, mais c'est la maison où il se sent le mieux. Ici, c'est le lieu ancestral, le retour aux sources.
A ses côtés, nous en apprenons tous les jours. Personne n'a l'autorisation de s'occuper des bêtes (trois génisses, trois chèvres, un bouc, une jument, quatre brebis, quatre agneaux, une demi-douzaine de poules et de lapins), c'est vraiment le domaine du chef.
Il n'a pas créé la Ferme de mon Père pour la photo ou pour le folklore, mais pour le plaisir de le faire. Il retrouve quelque chose et retombe en enfance.
Il nous a parlé de son projet il y a trois ou quatre ans, mais chez lui ça germait depuis beaucoup plus longtemps. Nous attendions le premier coup de pioche, en avril 1999, pour y croire vraiment. Ensuite ? Ce fut une adhésion immédiate de tous, même si nous pensons toujours à une folie et que nous avons des doutes, comme chaque fois que monsieur Veyrat part sur une idée... mais il résout tous les problèmes.
Avant la fermeture à Veyrier, nous avons vécu une période difficile parce qu'il fallait déjà se transporter à Megève et il y a vraiment eu 20 jours de folie entre le 1er et le 19 novembre où nous devions tout monter !
Le succès est là, depuis le premier jour et c'est sans doute ce qui fait la force de Marc Veyrat et donne à tous l'envie de le suivre... même si nous ne prenons pas beaucoup de jours de repos..."


Bruno Bosser, témoin privilégié des ""coups de folie" du chef.


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L'HÔTELLERIE n° 2655 Magazine 2 Mars 2000

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