Actualités

hôtelsgestion

Contrat de gestion d'hôtel
_______________________

Un montage risqué ?

Dans le cadre du développement hôtelier exceptionnel que l'on observe depuis quelques années en France, les chaînes hôtelières ont fréquemment recours au contrat de gestion d'hôtel. Elles le combinent souvent avec un contrat de franchise qui permet d'assurer la diffusion de la marque. Cette construction peut pourtant s'avérer périlleuse. Démonstration.

m Guillaume Chastenet de Géry, docteur en droit

Un contrat de gestion d'hôtel, encore appelé mandat de gestion ou contrat de management, est une convention par laquelle une société propriétaire (dépendant par exemple d'un fonds d'investissement1) des murs et de l'équipement d'une entreprise hôtelière, en confie la gestion à une autre société, appelée "opérateur". Cet opérateur est le plus souvent une chaîne d'hôtels, qui dispose à cet effet d'un important savoir-faire. Ainsi, la société propriétaire fait le choix de ne pas assurer elle-même directement la gestion de son bien. L'opérateur, quant à lui, cherche à ne pas assumer les charges liées à la propriété, notamment l'investissement initial. Il vise avant tout à multiplier le nombre d'unités exploitées sous sa marque, ce qui serait particulièrement lourd s'il le faisait systématiquement en pleine propriété2.
Le principe de fonctionnement du contrat de gestion est simple. Pour gérer l'établissement, la chaîne hôtelière est investie du pouvoir de prendre la plupart des décisions d'exploitation, ainsi que celles d'ordre administratif ; seules les lignes stratégiques doivent être arrêtées chaque année, en concertation avec le propriétaire. En contrepartie, l'opérateur perçoit une rémunération, appelée redevance ou honoraires, qui se décompose en deux parties : d'une part, une redevance de base, fondée sur un pourcentage du chiffre d'affaires et, d'autre part une redevance, dite "incitative", alignée sur les performances (pourcentage du résultat brut d'exploitation).

Choisir un responsable d'exploitation
En pratique et afin que l'opérateur puisse exercer au mieux sa fonction de direction, le contrat prévoit de placer à la tête de l'établissement un responsable d'exploitation. Choisi d'un commun accord entre la société propriétaire et la société opérateur, celui-ci ne prend ses instructions qu'auprès de cette dernière, à laquelle il rend compte de son activité. Le plus souvent d'ailleurs, ce responsable est en réalité un cadre détaché par l'opérateur auprès de l'hôtel. La Cour de cassation l'a d'ailleurs relevé dans l'arrêt Cador contre Accor du 19 décembre 1990.

Un montage simple en apparence
Ce montage, en apparence simple, ne soulève a priori aucune difficulté. Des groupes hôteliers réputés ont en grande partie fondé leur développement sur cette formule. Pourtant, cette construction est fragile et peut s'avérer dangereuse pour l'opérateur, dans deux hypothèses. Tout d'abord sa responsabilité est susceptible d'être mise en cause pour direction de fait, comme l'a d'ailleurs déjà admis la Cour de cassation. Ensuite, lorsque le contrat de gestion se cumule avec un contrat de franchise signé entre les deux mêmes parties, le contrat de franchise risque d'être annulé, avec les effets rétroactifs qui sont attachés à cette annulation c'est-à-dire, notamment, la restitution des sommes perçues.

Contrat de gestion d'hôtel et direction de fait : pas de pouvoir sans responsabilité
Le principe du contrat de gestion d'entreprise consiste à réaliser une dissociation entre le capital et la gestion. La société propriétaire de l'établissement hôtelier accepte de se dessaisir temporairement - pour la durée du contrat - de ses prérogatives de propriétaire pour les transférer à un professionnel de la gestion hôtelière, en l'occurrence l'opérateur. Les contrats mettent ainsi expressément à la charge de la société propriétaire une obligation de non-immixtion, allant même jusqu'à restreindre l'accès à l'hôtel des dirigeants de la société propriétaire. On assiste en d'autres termes à un véritable transfert de pouvoirs, depuis la société propriétaire vers la société opérateur, cette dernière étant toutefois tenue de présenter des comptes rendus périodiques de comptabilité et de gestion. Grâce à cette dissociation entre la détention du capital et sa gestion, l'opérateur élude, quant à lui, les risques et responsabilités inhérents à la qualité de propriétaire, au premier rang desquels figure le risque d'exploitation.
Mais d'un point de vue juridique, un principe constant veut qu'on ne puisse exercer des pouvoirs indépendamment de toute responsabilité. Le contrat de gestion d'hôtel tend à s'affranchir de ce principe. En effet, lorsqu'il administre et exploite l'établissement, l'opérateur entend agir au nom et pour le compte du seul propriétaire. Les contrats insistent sur ce point en précisant que l'opérateur ne saurait être en aucun cas "tenu à l'égard des tiers de réparer les dommages survenus à la suite d'une décision ou d'un acte exécutés par la société opérateur, au nom et pour le compte de la société propriétaire". A cet égard, il n'est pas surprenant que la plupart des contrats de gestion stipulent que les polices d'assurance de la société propriétaire seront négociées par, ou avec, l'assistance de l'opérateur : ce dernier peut ainsi s'assurer que les risques seront bien supportés par la société propriétaire...

Le risque d'être qualifié de "dirigeant de fait"
En droit des sociétés, ce principe selon lequel il ne peut y avoir de pouvoir sans responsabilité s'exprime à travers la notion de dirigeant de fait. Est dirigeant de fait, la personne, physique ou morale qui n'est ni gérant, ni président de la société, mais qui, en réalité, exerce la fonction de direction. La révélation d'une telle situation entraîne des conséquences graves : le dirigeant de fait subira la même responsabilité (pénale, civile, fiscale...) que le dirigeant de droit, sans pouvoir se prévaloir des prérogatives de ce dernier.
Ce raisonnement a déjà été tenu par la Cour de cassation, aux dépens d'un groupe hôtelier, dans une décision du 19 décembre 1995 - Accor contre Mahieux et Mouradeau. Les juges ont considéré que la gestion de fait était caractérisée puisque l'opérateur se réservait le domaine des embauches et des licenciements, la mise en place de l'organisation administrative et financière de l'hôtel, la définition de la politique des prix, la négociation des contrats et la conduite de la politique commerciale. Pour la Cour de cassation, "en réalité la direction effective de l'hôtel était assurée sans partage par [l'opérateur], le propriétaire des lieux n'ayant le rôle que d'un simple bailleur de fonds". L'opérateur, c'est-à-dire le groupe hôtelier, a par conséquent été condamné à payer les deux tiers du passif - soit environ 12,5 millions de francs - de la société propriétaire mise en redressement judiciaire. La direction de fait constitue donc aujourd'hui une menace grave pour l'opérateur, alors que, paradoxalement, ce montage tendait précisément à l'exonérer de responsabilité !
Autre fragilité du contrat de gestion d'hôtel : l'existence d'un contrat de franchise conclu entre les mêmes parties.

Contrat de gestion d'hôtel et contrat de franchise : un cumul dangereux
Fréquemment, un contrat de franchise est superposé au contrat de gestion d'entreprise. Cet ajout d'un contrat de franchise permet de faire entrer l'hôtel dans la chaîne proprement dite en lui attribuant ses signes de ralliement : marque, enseigne... Bien entendu, le caractère rémunérateur de ce montage n'est pas négligeable. En effet, la société opérateur peut alors cumuler d'une part ses honoraires au titre du contrat de gestion et, d'autre part, en sa qualité de franchiseur de la société propriétaire, une redevance qui aura été précédée, le cas échéant, d'un droit d'entrée dans le réseau. Il est vrai que parfois, les contrats ne prévoient pas une rémunération spécifique pour la franchise : ils la prennent en compte en stipulant des redevances de gestion accrues.
Le contrat de franchise est une convention par laquelle le franchiseur, en contrepartie d'une redevance de franchise, met à la disposition d'un commerçant indépendant trois éléments essentiels : son savoir-faire, sa marque et ses autres signes de ralliement, ainsi que son assistance commerciale. Dans cette logique, on comprend que si l'un de ces trois éléments est absent dès le jour de la signature du contrat de franchise, le contrat n'a plus aucune contrepartie. Il est alors susceptible d'être annulé par les juges qui exercent, sur ce point, un contrôle très sévère.
Or, lorsque l'opérateur et le franchiseur ne font qu'un, comme c'est le cas dans le contrat de gestion d'hôtel combiné à un contrat de franchise, la coexistence d'un contrat de gestion d'entreprise et d'un contrat de franchise aboutit à la création d'obligations qui font double emploi, voire se contredisent.

La double utilisation du savoir-faire
Concrètement, l'opérateur est, conformément au contrat de gestion d'hôtel, supposé appliquer lui-même à l'exploitation hôtelière son savoir-faire en matière de gestion hôtelière. Il met ainsi ce savoir-faire à la disposition du propriétaire. En échange de quoi une rémunération lui est versée. Or, ce qu'on lui demande au titre du contrat de franchise, c'est de mettre, une seconde fois, ce savoir-faire à la disposition de son cocontractant. Il perçoit pour cela une seconde rémunération.
Dans la mesure où le savoir-faire, élément essentiel du contrat de franchise, fait déjà l'objet du contrat de gestion d'hôtel, on voit mal quelle est l'utilité du contrat de franchise sur ce point ! En termes juridiques, on dit que le cumul prive de contrepartie le contrat de franchise. Finalement, seule la mise à disposition des marques de ralliement (marque et enseigne) et l'assistance commerciale constituent des prestations que le contrat de gestion n'assure pas déjà : dans ces conditions, les parties auraient pu se contenter de conclure des concessions de licence de marque, de location d'enseigne, voire d'assistance commerciale, plutôt qu'un contrat de franchise. Mais, bien entendu, l'opérateur n'aurait alors pas bénéficié d'une rémunération aussi élevée que celle prévue par la franchise...

Conséquences de la nullité absolue
Il est donc légitime de craindre que des sociétés propriétaires ne soient tentées de demander la nullité du contrat de franchise conclu avec l'opérateur. Or, puisqu'il s'agit d'une nullité absolue, cette décision produirait alors de graves effets : restitution du droit d'entrée dans le réseau et restitution des redevances versées depuis l'origine du contrat. Plutôt que de prononcer la nullité, le juge pourrait, et ce serait un moindre mal, requalifier le franchisage en concession de licence de marque et en location d'enseigne. Mais, en toute hypothèse, le franchiseur serait dans l'obligation de restituer le droit d'entrée payé par le franchisé.
Si l'on en juge par le nombre élevé de nouveaux contrats de gestion d'hôtels signés chaque année, les chaînes hôtelières n'ont peut-être pas suffisamment mesuré l'ampleur de ce risque ? Cela étant, l'analyse juridique des contrats de gestion d'hôtel devrait davantage conduire les dirigeants de chaînes hôtelières à s'interroger sur les moyens de sécuriser leurs accords. Car le principe de dissociation du capital et de la gestion n'est pas illégitime en soi et différentes voies contractuelles peuvent être mises en œuvre pour parvenir à un contrat équilibré. n

1. Par exemple les fonds Colony ou Blackstone (L'Hôtellerie n° 2616 du 3 juin 1999).
2. Cf. L'Hôtellerie du 3 juillet 1997 : "Accor cède des murs de Motel 6 pour 2,7 milliards"

Cet article expose certaines conclusions de la thèse de doctorat en droit soutenue par l'auteur : La nature juridique du contrat de gestion d'entreprise hôtelière - Contribution à une étude de la dissociation du capital et de la gestion, Paris, décembre 1998.


L'HÔTELLERIE n° 2642 Magazine 2 Décembre 1999

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
Articles les plus lus...
 1.
 2.
 3.
 4.
 5.
Le journal L'Hôtellerie Restauration

Le magazine L'Hôtellerie Restauration