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La Fiesta des Suds à Marseille
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Quand un restaurateur prend des risques pour faire la fête

A Marseille, le festival la Fiesta des Suds a fait vibrer, pendant tout le mois d'octobre, les noctambules de la ville. A cette occasion, Jacques Pennazo, patron des Innocents, un petit restaurant du quartier, a fait le pari d'installer une salle de 180 places assises... Rencontre avec un amateur de fêtes... et de challenges un peu fous.

m Lisa Casagrande

Des rives méditerranéennes à l'Amérique du Sud, en passant par l'Afrique et le Cap Vert, la Fiesta des Suds mélange les genres musicaux. Elle mélange aussi les publics et les ambiances. Depuis neuf ans, fidèle à elle-même, elle fait ainsi le pari de donner à Marseille une grande fête à son image : cosmopolite, haute en couleur, ancrée au sud. Le résultat est un festival déambulatoire et jubilatoire où 5 000 m2 d'entrepôts, situés à proximité des quais d'Arenc, sont recomposés autour de deux salles de spectacle, de lieux d'exposition d'arts plastiques et d'une dizaine de bars ou bodegas - du cabanon marseillais à la rhumerie antillaise, en passant par le cabaret feutré, le cyber- café branché ou le salon de thé oriental...
Toutes les fins de semaines du mois d'octobre, les Docks des Suds deviennent ainsi le rendez-vous du Tout-Marseille. Et contribuent à faire de Marseille une ville à la mode, car les médias couvrent largement la manifestation.

Servir 200 à 250 repas par nuit...
Dans le quartier le plus calme de ce village de fête, à côté du bar VIP, s'ouvre le Restaurant des Suds, à l'entrée duquel trône un gigantesque Bacchus. Tous les soirs de spectacle, du jeudi au samedi soir en général, Jacques Pennazo, 35 ans, le patron des Innocents, un petit restaurant d'une cinquantaine de couverts du centre-ville, est venu diriger une équipe de dix personnes et servir 220 à 250 repas, de 20 heures à une heure, deux heures ou trois heures du matin. "On sert tant qu'il y a du monde, même si c'est seulement pour deux ou trois personnes et même si on a commencé à ranger la cuisine. Nous faisons en effet partie intégrante de l'ambiance Fiesta et nous jouons le jeu", commente Jacques.
Pendant toute la durée de la Fiesta, son épouse continuait, elle, de faire tourner les Innocents. Les organisateurs du festival ont rencontré Jacques Pennazo en 1995, alors qu'ils dînaient dans son restaurant de la rue Crudère, à côté du Cours Julien, où se déroulaient régulièrement des soirées flamenco. "Ils ont été surpris par l'ambiance et par la convivialité de mon établissement, se souvient Jacques. Et m'ont proposé de m'occuper de la restauration à la Fiesta. J'ai dit oui."
L'expérience le séduit et, après deux ans d'interruption dus à des problèmes pratiques, il rempile, et vient d'achever avec succès la troisième édition de ce partenariat original. "Je prends en charge toute l'installation de la cuisine, loue le matériel et rémunère l'équipe composée d'anciens du métier aujourd'hui reconvertis, mais qui aiment l'ambiance Fiesta et ont envie de se faire plaisir. Je ne reverse rien sur ma recette mais je paye une participation aux frais d'aménagement de l'espace restauration." Le cadre du Restaurant des Suds ne le dépayse pas vraiment. Ray Lubrano, l'artiste marseillais qui a conçu l'ensemble de la décoration de la Fiesta, mélange baroque et flamboyant d'influences orientalo-méditerranéennes, a également décoré les Innocents. Le seul restaurant marseillais à avoir de tels habits de fête.

Diversifier les activités
Entré en cuisine à l'âge de 13 ans, puis formé au lycée hôtelier de Marseille-Bonneveine, Jacques, après avoir officié devant des fourneaux en tous genres, du snack au restaurant deux étoiles, a repris les Innocents en 1988. "C'était alors une sorte de grosse cantine qui tournait bien à midi car beaucoup de petites entreprises étaient installées dans le quartier. Je l'ai d'abord pris en gérance pour voir si j'étais capable d'être patron. Puis j'ai acheté le fonds et j'ai réaménagé l'ensemble", raconte-t-il. Au total, un investissement de l'ordre de 2 MF, réparti sur plusieurs années. Pour faire tourner son restaurant le soir, Jacques organise rapidement soirées à thème et petits spectacles-cabaret. Mais en 1995, les conséquences de la crise due notamment à la guerre du Golfe se font cruellement sentir : les petites entreprises disparaissent du quartier. De 60 couverts à midi, les Innocents passent à une vingtaine, pour un ticket moyen de 60 F. Le soir, la salle est encore plus vide. Jacques doit trouver une solution. Désormais, les Innocents ne seront ouverts que du jeudi au samedi soir, sauf sur réservations. Quatre personnes, dont le patron et son épouse, suffisent à faire tourner l'établissement. L'équipe propose une cuisine traditionnelle, composée de plats marseillais et de créations maison, pour un
ticket moyen de 140 à 160 F. Parallèlement, Jacques ouvre, dans l'immeuble mitoyen, un bar à tapas, ouvert cinq jours par semaine, de 19 heures à 2 heures du matin. Sa cible : une clientèle plus jeune et aux moyens plus modestes. Au menu : tapas, petits plats conviviaux, style chili, paella, et bientôt grillades de viandes exotiques, de l'autruche au kangourou pour un ticket moyen de 60 à 80 F.

Toujours se remettre en cause
Le reste du temps, Jacques "se vend à l'extérieur", développant un service traiteur pour banquets, soirées de gala, et événements divers. C'est d'ailleurs cette partie de son travail qui, aujourd'hui, lui plaît le plus. "Après douze ans passés à faire tourner le même restaurant, j'avais du coup l'impression de tourner en rond. Maintenant, je rencontre du monde ; je me mets en cause ; ça me fait avancer. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai dit oui à la Fiesta. C'est un challenge motivant, même si financièrement ce n'est pas toujours très rentable. Le niveau d'affluence du restaurant dépend en effet beaucoup de la programmation. Lorsqu'il y a des têtes d'affiches grand public comme Luz Casal ou Cesaria Evora, je fais un malheur. Mais lorsque la programmation s'adresse à un public plus jeune, je ne tourne pas très bien. Mais cela ne fait rien ; il faut jouer le jeu ! Y compris en proposant, outre quelques plats de base qui peuvent être réchauffés sans pâtir, tels les pieds-paquets, de la paella ou des grillades de viande, des recettes adaptées à la soirée, du tajine pour la soirée marocaine, du yassa pour la soirée africaine, par exemple. Le tout, en restant dans une fourchette de prix raisonnable, puisque le ticket moyen est de l'ordre de 120 F par personne, vin compris."
Et il conclut dans un grand sourire : "Sortir de ses habits professionnels habituels et prendre des risques, c'est un grand bol d'air. Et être en mouvement, c'est tout simplement la vie !" L'an prochain, il sera à nouveau partant ! n


Jacques Pennazo, patron des Innocents.


Le bar marseillais et son esprit cabanon aux senteurs anisées.


Entrée du Restaurant des Suds.


La salle du Restaurant des Suds et ses 180 places assises.

 

Des bars à thème

En contrepartie, leurs boissons sont mises en valeur dans des bars à thème. La Fiesta a par exemple créé cette année, pour valoriser le rhum Saint-James, une Rhumerie avec musique zouk et ambiance antillaise (400 bouteilles vendues) ; un bar-club à ambiance feutrée, tout de rouge vêtu, où l'on pouvait déguster du champagne (600 bouteilles vendues) en fumant de gros cigares ; un Bar des givrés dans la salle discothèque où Orangina, qui aimerait conquérir une clientèle de nuit, faisait justement la promotion de ses "givrés", la gamme de ses nouveaux produits. La boisson la plus vendue reste cependant la bière avec 10 000 litres écoulés. "Pour toutes ces marques, la Fiesta est une sorte de laboratoire, car nous avons un public très large et très diversifié, des jeunes "relax" aux quinquagénaires chic, en passant par les Marseillais branchés, les employés et les cadres moyens. Chaque soir, nous savons ce que chaque comptoir a vendu et nous pouvons donc savoir quels sont les produits qui marchent", estime Florence Chastanier, l'une des responsables de la Fiesta.

 

Bilan du festival

L'édition 1999 de la Fiesta des Suds a drainé 50 000 spectateurs, au cours de 13 soirées rassemblant 250 artistes à l'occasion de 35 concerts différents (deux à trois groupes différents par soir), têtes d'affiches connues et reconnues ou jeunes groupes à découvrir.
Son budget s'élève à 5,50 MF, dont un tiers de subventions, 40 % de recettes-billeteries, le reste provenant du sponsoring.
L'hébergement des artistes et de leurs accompagnateurs, ainsi que celui des médias extérieurs à la ville (25 journalistes) a généré environ 400 nuitées d'hôtels. Parmi les hôtels concernés : le New Hotel Sélect avant tout, ainsi que le New Hotel Bompart et le New Hotel Vieux Port, l'hôtel Hermès, l'hôtel Peron...
La Fiesta, c'est aussi 2 500 repas servis au personnel travaillant dans les Docks des Suds ainsi qu'aux artistes et musiciens.
Outre le restaurant des Innocents, la Fiesta travaille, côté petite restauration rapide, avec l'équipe du bar à vins marseillais le Pressing, qui propose un comptoir à tapas.


L'HÔTELLERIE n° 2642 Magazine 2 Décembre 1999

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