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Pierre Wynants, vingt ans après...

En 1979, le guide Michelin décernait sa troisième étoile à Pierre Wynants. Il était le second chef belge porté au pinacle par Bibendum. Vingt ans plus tard, Pierre Wynants peut revendiquer le titre de "plus ancien" trois étoilé expatrié... ce qui justifiait bien un petit coup de projecteur...


"J'ai toujours souhaité conserver l'esprit familial de la maison", avoue Pierre Wynants.

L'Hôtellerie :
Faut-il, en ce qui vous concerne, parler de vocation ?

Pierre Wynants :
Je crois que oui. Quand on vit dans le commerce de ses parents, on fixe assez rapidement son choix et en ce qui me concerne, je me suis très vite mis à la cuisine. J'ai toujours travaillé dans cette ambiance familiale et l'on m'a raconté qu'à trois ans j'aidais déjà ma grand-mère Héléna à la plonge ! Alors je crois que je n'ai jamais pensé à faire autre chose que cuisinier.

L'H. :
Existe-t-il dans votre trajectoire une part de hasard, de chance aussi ?

P. W. :
De chance, certainement. La première est de faire un travail qui me plaît, mais je suis très conscient que même dans notre métier beaucoup de personnes peuvent se dépenser et ne pas être reconnues comme elles le souhaiteraient parce qu'elles ne rencontrent pas nécessairement le goût de la clientèle. C'est sans doute là qu'il fallait avoir du feeling et un brin de réussite.

L'H. :
La chance n'est-elle pas aussi d'avoir votre épouse, Marie-Thérèse, à vos côtés ?

P. W. :
Bien sûr ! C'est ce que je tiens à dire le plus souvent possible : je suis le porte-parole d'un groupe, mais je n'arriverais à rien si je n'étais pas secondé par une équipe. Comme j'ai en outre la chance d'avoir une épouse qui est mon parfait complément et qui a tout pour plaire à la clientèle, je considère comme un atout formidable de n'avoir à penser qu'à ma cuisine... Dans les grands restaurants d'antan, on voyait peu ou pas de femmes. Dans les restaurants traditionnels, ce sont elles qui font la différence. La cuisine peut être au top niveau, mais sans l'accueil, le sourire, la gentillesse... Et même si la cuisine assure la réputation d'une maison, ces arguments sont indispensables.


Double succès au Prosper Montagné pour les Wynants : en sommellerie pour Louis en 1963, en cuisine pour Pierre en 1964.

L'H. :
Votre chance aujourd'hui est aussi d'avoir des enfants, déjà impliqués dans l'affaire. Cela s'est-il passé sans conflit de... générations ?

P. W. :
C'est vrai qu'il existe cette chance d'avoir une succession familiale qui permettra à notre petite maison de poursuivre dans la même voie. En 1988, nous avons certes changé le décor en rendant hommage à Victor Horta, l'un des maîtres de l'Art nouveau, mais nous avons gardé l'esprit donné par mes grands-parents puis par mes parents. Ici, tout a toujours semblé couler de source. Sans que nous en ayons parlé, Laurence a voulu faire l'école hôtelière. Elle y a rencontré son mari, qui a fait quelques stages, avant de trouver sa place avec moi en cuisine. Lionel a su travailler avec intelligence, passer tous les stades jusqu'à devenir mon second, sans que cela ne pose de problème.

L'H. :
A l'occasion de l'anniversaire de vos trois étoiles, vous avez convié Michel et Marie-Pierre Troisgros. Ce n'est pas le fait du hasard puisque votre maison semble très proche de celle de Roanne...

P. W. :
C'est vrai que les points communs ne manquent pas et que nous sommes liés d'amitié depuis de longues années. En 1972, Jean et Pierre étaient venus ici faire un repas en l'honneur du roi Léopold et nous avons de nombreux clients communs. Michel travaillait ici lorsque nous avons eu la troisième étoile... et le faire revenir était comme un clin d'œil.


Deux salons au charme particulier.

L'H. :
Comment définiriez-vous la philosophie de ce Comme chez Soi créé par votre grand-père ?

P. W. :
Au départ, c'était un restaurant de fritures, très démocratique (sic) dont nous fêterons les 75 ans en 2001. Même si la clientèle a évolué, nous avons voulu garder l'esprit familial qui avait été donné. Nous avons un jour envisagé de changer d'endroit et de quitter la place Rouppe. Nous avions trouvé un bel établissement avec vue sur l'abbaye de la Cambre où nous aurions pu faire une sorte de Tour d'Argent bruxelloise... mais nous avons finalement préféré rester ici. Nous avons eu la chance de pouvoir acheter quelques maisons voisines, mais l'esprit reste identique : nous voulons une maison où nos clients se sentent bien, comme chez soi en fait !

L'H. :
En sa Villa Lorraine, Marcel Kreusch avait montré la voie. En ce qui vous concerne, comment avez-vous reçu les trois étoiles Michelin ?

P. W. :
Comme une consécration ! Le plus grand événement gastronomique en Belgique, ce sont ces trois étoiles sorties de France pour venir dans notre pays. Sans doute la décision n'était-elle pas facile pour Michelin, mais son choix a rejailli sur tout le métier et l'on a commencé à parler de la Belgique. La Villa Lorraine était une maison de grand standing, avec un grand service et un emplacement exceptionnel. Marcel Kreusch était un homme considérable qui a su montrer la voie. Il y a désormais en Belgique de bons restaurants, dont les trois étoiles (NDLR : Comme chez Soi, Bruneau, De Karmeliet) qui portent haut la gastronomie. Mais il n'y a plus de grandes maisons comme l'était Villa Lorraine. Ce restaurant reste une référence et il est vraiment dommage que la deuxième étoile soit tombée. Ce serait une bonne chose qu'elle revienne.


Pierre Wynants et Michel Troisgros.

L'H. :
Il semble qu'il existe une permanence dans votre cuisine. Est-ce à dire que la world cuisine n'a pas encore atteint la Belgique ?

P. W. :
Il existe, c'est vrai, une certaine tradition dans laquelle nous nous situons. Nous n'avons jamais épousé le courant de la Nouvelle Cuisine des années 70, ce qui ne veut pas dire qu'il y ait immobilisme. J'ai appris le métier dans la tradition (NDLR : entre autres au Grand Vefour et à la Tour d'Argent en France) et j'ai travaillé avec mes parents qui concevaient leur cuisine comme une cuisine de ménagère, très sobre et avec une mise en valeur des produits régionaux. J'ai toujours souhaité travailler ainsi, sans tomber dans l'exagération. Je pense pouvoir dire qu'il y a chez nous quatre générations de tradition et d'évolution. Classique en fait, c'est quoi ? Un plat qui a fait ses preuves ! Nous changeons de carte six fois par an, au rythme des saisons (truffe noire, houblon, morilles, asperges de Malines, primeurs, gibiers) avec toujours sept ou huit plats nouveaux.

L'H. :
Vous évoquez quatre générations et nous avons parlé de la présence de vos enfants dans l'affaire. Est-ce qu'à l'orée de la soixantaine vous pensez déjà à la retraite ?

P. W. :
Pas encore, mais de temps en temps nous pouvons nous offrir un bon week-end avec Marie-Thérèse, en sachant que la maison est en de bonnes mains. Léguer est très important. Il faut parfois savoir lâcher certaines rênes pour faire sentir aux enfants que l'on a confiance en eux, et leur donner ainsi la possibilité de prouver que nous avons raison de le faire. Laurence est ici. Véronique, mon autre fille, est à l'école hôtelière de Lausanne. Un jour, peut-être, serai-je consultant avec elle, dans une autre formule... n


Le professeur Tournesol en témoigne : Hergé appréciait l'ambiance particulière du Comme chez Soi.

Parlons chiffres

Malgré l'acquisition au fil des années de plusieurs maisons voisines, la capacité du restaurant n'a pas été multipliée. On préfère chez les Wynants se limiter à une quarantaine de places réparties dans les deux salons et à la table d'hôte placée en cuisine.
Comme chez Soi tourne à 90/100 couverts quotidiens à un prix moyen de 1 000 francs français. Avec 35 salariés, dont 15 en cuisine, le chiffre d'affaires est de l'ordre de 17 MF francais, avec une fermeture d'un mois en juillet et de quinze jours entre Noël et le nouvel an "pour être avec les enfants".
Depuis une vingtaine d'années, Pierre Wynants a fait le choix de deux jours de repos hebdomadaire (fermeture dimanche et lundi). "Je pense que nous étions des précurseurs", dit-il. Comme le fut en son temps son grand-père, le premier en Belgique à opter pour une fermeture d'un jour par semaine !
La question des 35 heures n'est pas encore d'actualité en Belgique.
"Nous allons suivre la France", déclare simplement Pierre Wynants, sans savoir comment ce dossier pourra être traité sans dommage...


Comme chez Soi, place Rouppe depuis 1937 ! - Peinture de Françoise Gérard.


L'HÔTELLERIE n° 2642 Magazine 2 Décembre 1999

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