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Restauration

Jean Richard

"Le grand luxe aujourd'hui, ce n'est pas l'argent mais la liberté et l'indépendance"

Heureux propriétaire de six restaurants parisiens et d'un hôtel, Jean Richard reste néanmoins restaurateur indépendant. Qu'il s'agisse de son attachement à sa liberté ou de sa réactivité face aux attentes de la clientèle, il est incontestablement l'un des représentants de cette nouvelle race de restaurateurs. Et en dépit de sa réussite, il affiche décontraction et humilité.

Propos recueillis par Marie Fournier

L'Hôtellerie :
Votre réussite vous a permis de développer avec succès plusieurs affaires mais ne vous empêche visiblement pas de revendiquer votre statut de restaurateur indépendant ?
Jean Richard :
Nous défendons une autonomie et une indépendance complète entre les affaires : Chez Francis, Marius et Janette, deux Bistrots de Marius, le Café Indigo, le Bar au Sel et l'Hôtel Montaigne. Au niveau juridique, chaque société est différente et toutes les affaires sont séparées les unes des autres. Il faut qu'elles soient autonomes. Nous ne voulons pas les rattacher et nous les gérons en leur laissant leur autonomie. Nous nous contentons de faire un contrôle global sur le plan de la gestion. A chaque fois, le produit est différent, les moyennes de couverts sont différentes. La seule unité est une unité de lieu : il y a très peu de distance entre mes bureaux et mes différentes affaires.

L'H. :
Avec un tel succès, vous pouvez apparaître comme un modèle de réussite pour les restaurateurs indépendants ?
J. R. :
Il ne faut pas avoir la grosse tête avec ce qu'on fait. Cela reste du travail artisanal, du petit commerce. Mes affaires ne sont pas autres choses : elles sont entièrement familiales ; je n'ai pas de sponsor derrière moi. Je reste très pragmatique dans ma manière d'agir. Ce métier est un métier très difficile où il faut rester vigilant, ne pas dériver et ne pas tout révolutionner. Les principes de base sont très simples : il s'agit de travailler un produit de qualité, principalement le poisson, sauf pour le Café Indigo. Il faut un rapport qualité/prix intéressant, un cadre impeccable, des prestations de qualité.

L'H. :
Envisagez-vous de nouveaux développements dans un avenir proche ?
J. R. :
Beaucoup d'opportunités vont se présenter dans les deux ans à venir. Ça bouge beaucoup. Dans les affaires que j'ai en vue, je souhaite simplement adapter le concept que je veux à la clientèle potentielle. Nous pensons également à d'autres hôtels trois ou quatre étoiles. Quant à savoir si c'est pour bientôt... Je ne suis pas une chaîne avec des projets de développement à telle ou telle échéance. Je reste très pragmatique dans ma manière de voir les choses. Je suis heureux car je fais les choses comme je les sens. Les entreprises qui emploient 2 000 ou 3 000 personnes ne contrôlent plus rien. Ça ne m'intéresse pas de travailler comme ça. Je n'ai besoin de personne. Je fais ce que je veux. Je recherche des affaires qui me plaisent, qui sont à mon image, et non pas du chiffre. Le grand luxe aujourd'hui, ce n'est pas l'argent mais la liberté et l'indépendance.

L'H. :
Avez-vous le sentiment d'être un restaurateur à la mode ?
J. R. :
Je n'ai pas les qualités nécessaires pour faire travailler des affaires dans des endroits où il ne se passe rien. Je préfère surpayer des lieux et avoir des affaires dans des quartiers recherchés. Ceci dit, beaucoup d'établissements marchent bien un temps parce qu'ils sont à la mode. Moi, je veux aussi faire des affaires qui restent. La clientèle dite "mode" est assez versatile et va toujours dans le dernier endroit branché. C'est très dangereux. Cependant dans la restauration, certaines personnes ont des idées originales mais sont confrontées par la suite à un phénomène de plagiat ou de copie qui s'exerce à travers des décorateurs qui refont ce qui marche déjà. Heureusement, récemment sont apparus d'autres décorateurs qui ne sont pas spécialistes de la restauration et qui ont apporté de nouveaux concepts de restaurants. Pour le Café Indigo, j'ai fait appel à un décorateur extérieur à la profession mais c'est moi qui ai décidé de tout, qui ai apporté le concept.

L'H. :
Pensez-vous que la restauration indépendante a encore de l'avenir ?
J R. :
Tout le monde a de l'avenir à l'heure actuelle. A chaque endroit, on peut avoir de la place pour tout le monde dans la mesure où chacun est devenu très professionnel. Il y a eu un écrémage. Il faut rester très sérieux et très humble, ne pas croire qu'on détient la vérité. Nous sommes au service du consommateur, nous sommes là pour traduire ses aspirations. Les gens qui font leur métier d'une façon honnête et rigoureuse auront toujours leur place. Aujourd'hui, beaucoup de consommateurs considèrent le restaurant comme un divertissement, une sortie. Il faut qu'ils puissent avoir un maximum de satisfaction à partir du moment où ils consacrent un budget à cette sortie. Notre métier est devenu très complexe. Il faut s'attacher à la qualité du produit et donc aujourd'hui, à l'origine du produit. Si les gens veulent des produits très travaillés, ils vont dans des deux ou trois étoiles. Moi, j'essaye simplement de restituer le produit dans son originalité. Il faut aussi savoir calculer ses ratios, ses frais de gestion.

L'H. :
Quels sont, selon vous, les principaux problèmes qui vont toucher les restaurateurs indépendants demain ?
J R. :
En France, le personnel coûte très cher et les prestataires de services sont super imposés ! Nous avons un taux de TVA prohibitif. Ce n'est pas normal que des métiers qui emploient une main-d'œuvre nombreuse soient aussi imposés ! Dans l'avenir, les problèmes de recrutement de professionnels compétents vont se faire de plus en plus sentir. Il faut trouver des gens qui puissent avancer, s'exprimer. Si les gens sont motivés, un deal peut se faire, malgré des horaires difficiles. Nous avons peut-être du retard en ce qui concerne les heures de travail, mais cela pose des problèmes de coût. Si vous voulez trouver des produits de qualité, ne pas tromper le client et faire face au coût de la main-d'œuvre en restauration, votre marge de manœuvre est très limitée. Je ne suis pas contre le fait que les gens travaillent 35 heures, mais si nous sommes obligés de répercuter ce côté supplémentaire de main-d'œuvre, nous n'aurons plus de clients.

L'H :
Et quelles sont les qualités indispensables d'un restaurateur indépendant ?
J. R. :
A l'heure actuelle, c'est difficile de se lancer dans la restauration indépendante, même si la baisse des taux a facilité les choses. Il faut être très courageux, très pugnace, très volontaire. Si on a des idées, on peut les mettre en pratique, à condition de savoir où on s'implante et de faire une petite étude marketing pour connaître ses chances de succès. Il faut savoir s'adapter. Mais il n'y a pas de règle, à proprement parler. C'est un métier très artisanal. Si j'avais des conseils à donner à un jeune, je le ferais tourner un peu partout ; travailler chez les meilleurs et partir à l'étranger pour voir ce qui se passe ailleurs. Il y a forcément des choses à ramener, des expériences à avoir. Après, il pourra sentir les choses. Parce que, à mon avis, les gens vont penser de plus en plus à leurs loisirs, et les vacances et la restauration en font partie. C'est pour cela que je pense que ce sont des secteurs qui seront porteurs au début du XXIe siècle.


"Je reste très pragmatique dans ma manière de voir les choses. Je suis heureux car je fais les choses comme je les sens."


"Je recherche des affaires qui me plaisent, qui sont à mon image, et non pas du chiffre", avoue le propriétaire de Chez Francis.


L'HÔTELLERIE n° 2607 Magazine 1er Avril 1999

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