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Christian Picart

L'offensive de Buffalo Grill

Grâce à son introduction en Bourse prévue d'ici quelques mois, Buffalo Grill compte donner un nouvel élan à son expansion. Avec ses trois enseignes, le leader de la restauration à thème en France, part à la conquête du centre-ville et de nos voisins européens. Christian Picart, p.-d.g. et propriétaire du groupe, donne quelques clefs.

Par Nadine Lemoine

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« Je ne suis pas une multinationale. Je suis un indépendant qui s'est développé. »

Christian Picart pourrait s'enorgueillir aujourd'hui des 187 restaurants qu'il a ouverts en l'espace de 18 ans. Ce n'est pas le cas. L'homme est modeste. Lorsqu'on lui parle de success-story (chaque article qui lui est consacré évoque au choix - et à juste titre - une réussite exemplaire ou une ascension fulgurante), il confie que sa véritable satisfaction, c'est d'avoir créé 3 000 emplois.
Christian Picart, c'est aussi un homme que l'on connaît peu. Son empire, il l'a bâti sans publicité et sans jamais se mettre en avant. Aujourd'hui, l'entrée en Bourse de son groupe change les données : il doit communiquer, mettre cartes sur table et expliquer par le menu la stratégie qu'il compte mettre en œuvre pour garantir la pérennité et le développement de son affaire. Les médias l'assaillent. Il s'y plie de bonne grâce, acceptant même les reportages à la télévision. "Il est parti de rien et il crée Buffalo Grill", c'est le titre du dernier reportage en date, diffusé par TF1, dans sa nouvelle émission baptisée "Succès".


Buffalo Grill 159 restaurants en France pour l'instant, 30 unités supplémentaires prévues pour 1999.

Parti de rien

Parti de rien ? "Pas de diplôme particulier", dès l'âge de 16 ans, il part en Angleterre. Serveur, maître d'hôtel, il gagne ensuite le Canada puis les Etats-Unis au début des années 60. "J'ai beaucoup travaillé et économisé, c'est ce qui m'a permis de rentrer en France et d'ouvrir ma première affaire." Nous sommes en 1965 et c'est un pressing qu'il ouvre pour sa mère. Quant à lui, on le retrouve au Hilton Suffren officiant au room service. Un second pressing, puis, en 1974, il vend tout pour monter son premier restaurant Le Relais des Chartreux à Longjumeau, au sud de Paris.
Ce n'est qu'en 1980, à Avrainville, sur la nationale 20, à l'entrée de la Beauce, qu'il inaugure son premier Buffalo Grill, un steack-house à la française largement inspiré de son expérience américaine. "On m'a pris pour un fou. Et ça n'a pas été si facile que ça. Ça n'a pas marché tout de suite. Je prenais les commandes, je servais. Il m'a fallu quatre ans pour en faire un deuxième". En 1983, pour accélérer son développement, le p.-d.g. de Buffalo Grill cède 45 % de son capital au pétrolier Total. Une participation rachetée par Christian Picart en 1998 pour 300 MF. "Ces dix dernières années, on a ouvert en moyenne 15 restaurants par an."

Les clés du succès

Son enseigne majeure, Buffalo Grill, compte aujourd'hui en France 159 restaurants (dont 52 en franchise) et 18 millions de clients par an. C'est le numéro un incontesté du segment viande-grill avec 52,2 % de parts de marché, devant Hippopotamus (18,8 %) et Courte Paille (17,5 %). Un créneau très dynamique avec une croissance annuelle moyenne de 13,4 % entre 1992 et 1997.
Lent au début, le développement de la chaîne s'accélère vers la fin des années 80 pour couvrir aujourd'hui quasiment tout le territoire. Les toits rouges aux cornes blanches accompagnés du fameux totem jalonnent les sorties d'autoroutes et fleurissent près des centres commerciaux. C'est le premier secret de sa réussite : investir la périphérie pour répondre à "une demande insatisfaite" où "le potentiel est énorme et la clientèle captive", explique le groupe. Deuxième ingrédient : un thème fédérateur, le western avec un décor de saloon et une grande variété de grillades et de spécialités américaines (terrine de bison, chili con carne, T-bone steack...) pour le dépaysement. A cela s'ajoute un troisième atout, un rapport qualité/prix très performant puisque le ticket moyen s'élève à 94 F.
Et il ne faut pas oublier la logistique implacable dont bénéficient les restaurants.
En 1994, Buffalo Grill a racheté Districoupe. La chaîne dispose ainsi d'un atelier de découpe de viande, d'une plate-forme de distribution et d'une logistique intégrée. Sur 4000 m2, à Morangis en région parisienne, plus de 15 tonnes de viande sont traitées chaque jour pour les 49 000 clients servis quotidiennement. Calibrage, piéçage, codes- barres, gestion unitaire des stocks, contrôle qualité... Tout est centralisé sur un même site, comme les commandes de tous les fournisseurs. Deux fois par semaine, une flotte de 10 camions bi-température approvisionne les restaurants. Ce système donne évidemment au groupe une puissance d'achat incomparable et permet de substantielles économies d'échelle. Personne ne s'y trompe, tous les franchisés (libres bien sûr de choisir leurs fournisseurs) passent par Districoupe.

Les restaurateurs et la Bourse

5 questions à Christian Picart

Quelles sont vos motivations pour entrer en Bourse ?
Christian Picart : D'abord, c'est notre développement sur l'Europe qui sera facilité par le fait même d'être coté en Bourse. A deux niveaux : d'une part, pour lever des capitaux. D'autre part, quand on est coté et qu'on va à l'étranger, c'est plus facile pour obtenir des crédits des banques. Les circuits financiers s'ouvrent plus facilement, parce que là, on sait ce que l'on vaut au jour le jour. On va totaliser 2 milliards TTC en volume de vente, c'est naturel et c'est un must pour nous d'aller en Bourse. Et puis, s'il y a des opportunités de rachat, on peut toujours faire appel au marché.

Quelles sont les modalités ?
C. P. : Ce sera 10 % du capital plus une augmentation de capital de 5 %. Ça fera 15 % en tout qui seront mis sur le marché cette année. En fait, cela fait deux ans que j'y pensais, mais j'avais un partenaire qui n'était pas de cet avis. Il a fallu attendre que je rachète la participation de mon partenaire, le groupe Total. Maintenant, il faut que je rembourse l'emprunt qui m'a permis de racheter les actions détenues par Total, c'est une des raisons aussi pour lesquelles je rentre en Bourse. Je vends 10 % du capital, cet argent me revient, mais il ne fait que passer pour rembourser cet emprunt. Quant aux Batifol, Buffalo Grill les a rachetés sur la trésorerie. L'augmentation de capital refait la trésorerie, le trésor de guerre et s'il y a une opportunité, on la saisira.

A partir de quel seuil, de quelle taille, conseilleriez-vous à un restaurateur d'envisager une entrée en Bourse ?
C. P. : On peut très bien avoir peu de restaurants et entrer en Bourse. Le nouveau marché permet aux gens qui démarrent de présenter leur produit et s'ils sont suivis, cela leur donne un sacré coup de main. C'est quand même formidable la Bourse ! Cela permet, quand on a fait ses preuves avec deux ou trois restaurants, d'aller plus loin. Déjà, le fait que certains restaurateurs soient allés en Bourse, cela ouvre bien le marché. Flo ou Léon de Bruxelles ont connu un grand succès. Le seul conseil que je peux donner à quelqu'un, s'il a l'intention de développer sa chaîne : la Bourse est une opportunité qu'il ne faut pas laisser passer.

En Bourse, quels sont les risques potentiels ?
C. P. : Ils sont quand même importants. On peut avoir un bon produit et en Bourse, ne pas être compris. Il y a des raisons qui vous dépassent, un petit incident... Par exemple, un coup de vache folle. Nous, on n'était pas cotés. Mais c'est sûr que cela nous aurait fait chuter énormément, alors qu'en fait, il n'y avait pas de raison de s'alarmer. Ce sont les aléas de la Bourse et on les maîtrise mal. On peut corriger cela avec des informations qu'on fait passer. Il faut savoir communiquer, c'est essentiel et bien sûr, il y a le respect des engagements. La Bourse nous demande des prévisions à trois ans. A un an, on maîtrise bien, à deux ans, cela devient plus délicat et à trois ans... il faut comprendre qu'en restauration, on est des prestataires de services avec tous les aléas que cela peut comporter.

Considérez-vous votre entrée en Bourse comme une consécration ?
C. P. : Oui, quelque part, c'est une consécration pour un chef d'entreprise. Il y a un côté honorifique. Si vous arrivez à présenter votre société à la Bourse et qu'elle est acceptée, ça veut dire que vous avez quand même quelque chose que vous pouvez partager avec le public, dans lequel les gens croient. C'est l'aboutissement d'une carrière.

Enfin en centre-ville

Avec de tels atouts, Christian Picart veut aller encore plus loin. Il a fait le plein autour des villes de 50 000 habitants, il vise maintenant la périphérie des villes moyennes (30 000 habitants). Pour lui, elles recèlent un "fort potentiel de croissance". Mais la grande nouveauté, c'est son intention d'affronter cette fois la rude concurrence qui fait rage dans les centres-villes. Mêmes prestations, même concept, seule la taille des restaurants sera inévitablement réduite. La première étape, c'est Paris. Le 31 décembre dernier à minuit, les 10 Batifol parisiens de Gérard Joulie sont tombés dans son escarcelle. "Ils sont maintenant en transformation et on va ouvrir le premier à la mi-février", précise Christian Picart. Le 15 mars, ils seront tous ouverts arborant l'enseigne rouge et blanche de Buffalo Grill. Une première que le p.-d.g. de Buffalo Grill envisage avec sérénité : "A Paris, il n'y a pas de problème. Les Batifol, c'est un premier pas. Quand il y aura des opportunités, c'est sûr, on y donnera suite." Mais ce premier pas dans la capitale ne doit pas cacher les ambitions nationales de Christian Picart. Ce sont tous les centres-villes des grandes villes de France qui sont en ligne de mire.
Pour 1999, Christian Picart annonce 30 nouveaux Buffalo Grill (dont les 10 Batifol) rien que pour la France. D'ici 2001, plus de 50 ouvertures... Une expansion qui va continuer à s'appuyer sur la franchise tout en respectant le ratio 1/3 de franchisés pour 2/3 en propre. "Ce sont les employés qui m'ont aidé à développer la chaîne qui doivent être les premiers bénéficiaires de leur travail", tient à préciser Christian Picart qui choisit exclusivement les franchisés parmi les collaborateurs qui "ont fait la route avec moi pendant 5 ou 6 ans au moins". La franchise passera aussi les frontières.
Pour le moment, Buffalo Grill possède 4 unités à l'étranger. Toutes en Espagne parce que "dans les pays voisins les plus proches, il m'a semblé que c'était le marché le plus facile à exploiter. Les gens sortent et dépensent au restaurant", explique Christian Picart. En 1999, il inaugurera au moins deux restaurants en Belgique (Liège et Charleroi). Quant à la Suisse, c'est à Lausanne que la première tête de pont sera installée. D'autres pays européens sont en vue mais rien n'est officiellement annoncé. Si ce n'est que pour son développement à l'export, Christian Picart mise aussi sur deux autres enseignes : Victoria Pub et Bistro d'Augustin.

Diversification

C'est en 1996 que Buffalo Grill initie sa diversification en créant une nouvelle chaîne : Victoria Pub. Un cran en dessous pour le ticket moyen (85 F), une ambiance pub pour la décoration sans oublier des écrans vidéo visibles à chaque table et le drive-in, le concept vise les jeunes. Au menu, pizzas et hamburgers sont arrosés de "bières du monde". Il existe à ce jour 7 Victoria Pub (en fonds propre), implantés en région parisienne. Pour cette enseigne, le groupe prévoit "un grand succès en Europe du Nord".
Avec l'acquisition, en 1997, des quinze restaurants Quai des Halles (ex-Chez Margot), Christian Picart se lance dans un troisième créneau : la cuisine traditionnelle sur le modèle du bistro à la française. Toujours implantée en périphérie, la nouvelle enseigne est baptisée Bistro d'Augustin. Dans un cadre convivial, elle propose une cuisine du terroir (coq au vin, souris d'agneau...) avec une formule bar à vins. Le ticket moyen, bien que modéré, 130 F, est nettement plus élevé que celui des deux autres concepts du groupe. Aujourd'hui, on dénombre en France 17 Bistro d'Augustin (en fonds propre).
Si Christian Picart compte développer en France les Victoria Pub et les Bistro d'Augustin "On prospecte beaucoup", l'essentiel n'est pas là. "Les Victoria Pub et les Bistro d'Augustin, c'est surtout pour l'export. Ce sont des produits que j'espère utiliser, dans le cadre de notre développement européen, en fonction des pays et des opportunités. Si Buffalo Grill n'est pas le meilleur choix, alors je mets un Victoria Pub ou un Bistro d'Augustin. J'ai toujours deux autres possibilités."
Avec le steack-house, le pub et la restauration traditionnelle, Christian Picart a désormais à sa disposition une palette d'offres très complètes. Tout est fin prêt pour partir à l'assaut de l'Europe. Une introduction en Bourse réussie devrait lui permettre de passer à l'attaque.


Buffalo Grill 15 ouvertures en moyenne par an ces dix dernières années


Pour se diversifier, Christian Picart a d'abord misé sur Victoria Pub un concept visant une clientèle plus jeune : écrans vidéo, hamburgers et pizzas...


Plus haut de gamme Bistro d'Augustin se positionne sur un nouveau créneau : la cuisine de terroir.

Le taux de TVA en restauration

Christian Picart : il serait vraiment logique qu'il y ait une harmonisation européenne. Mais moi, j'ai une autre philosophie : que ce soit vis-à-vis des impôts ou des charges sociales, à partir du moment où tout le monde est à la même sauce, la concurrence est identique. Seulement si on est tous contraints aux mêmes obligations.

Ce qui paraît injuste, c'est que certains secteurs de la restauration paient une TVA à 5,5 et d'autres à 20. C'est une aberration. On met tout le monde à 15 et on n'en parle plus.

 

Le passage aux 39 heures ?

Christian Picart : Ce qui me désole, c'est que ce soit une obligation. Que l'on dise que les horaires légaux sont de 39 heures d'accord, mais qu'on laisse les gens qui veulent travailler. Auquel cas, ils sont payés en heures supplémentaires. Qu'on laisse un peu de flexibilité aux professions qui sont prestataires de services. Que les gens travaillent moins, c'est normal, ça va dans le sens de la modernisation. Mais il faut qu'ils aient un salaire décent. Or, le problème, c'est qu'on touche directement leurs revenus et là ça ne va plus. Nos serveurs et serveuses ont déjà du mal à gagner ce qu'ils gagnaient il y a quelques années. C'est dramatique ! Mais, il ne faut pas s'affoler. D'ici 2001, tout le monde va être mis d'accord. L'Europe se fait, ça va régulariser tout ça et on va trouver une solution raisonnable.

 

Chiffres clés

w Chiffre d'affaires HT 1998 : 1,3 milliard de francs (1)
w Résultat net 1998 : 41,3 millions de francs
w Nombre de restaurants au 31.12.98 : 187
w Buffalo Grill : 163
- France : 159 (dont 52 en franchise)
- Espagne : 4
w Victoria Pub : 7
w Bistro d'Augustin : 17

(1) Buffalo Grill France (hors franchisés), Buffalo Grill Espagne, Bistro d'Augustin et Victoria Pub (consolidés à partir de juillet 1998). Ne comprend pas les 10 Batifol.


L'HÔTELLERIE n° 2599 Magazine 4 Février 1999

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