Sa précédente affaire, le restaurant Le Diable
des Lombards également à Paris, à laquelle il a consacré plus de vingt ans de sa vie
(1973-1995), il l'a perdue : trop de dettes, un bon chiffre d'affaires mais insuffisant
pour faire face aux remboursements des emprunts, la banque qui refuse de renégocier les
prêts et c'est la fin dans le déchirement. Cependant, Alain Eclache est décidé à
rebondir tout de suite. Mais comment faire quand on n'a plus d'argent ? Comment se passer
des banques qui désormais vous tournent le dos ? Alain Eclache n'a pas la solution. Cette
fois-ci, il a eu de la chance et une détermination hors du commun.
La chance ? C'est un ami qui lui propose de reprendre un fonds dans un immeuble
abandonné, muré et squatté depuis des lustres et qui, bien sûr, n'intéresse personne.
De plus, le vendeur est pressé de vendre. "Il ne trouvait personne pour le rachat
et était lui-même pris à la gorge. Il prenait un risque avec moi, mais il était en
position de tout perdre. Il n'avait pas vraiment le choix. Il m'a fait crédit à 100 %,
car il me faisait confiance. C'est une belle histoire, non ?» Une histoire d'autant
plus belle que le fonds lui est cédé pour 350 000 F (prix exceptionnel) et
qu'aujourd'hui, le patron d'Eclache & Cie a remboursé la somme jusqu'au dernier
centime, en moins de trois ans. Un premier soulagement.
Peu de moyens mais beaucoup de courage
Son projet : créer un restaurant sans prétention, une cuisine simple, un lieu
convivial ouvert jusqu'à 1 heure du matin. Alain Eclache voit tout de suite dans cette
adresse de la rue Saint-Merri, toujours dans le Marais à Paris, le lieu idéal et le
potentiel à exploiter. Potentiel est le mot juste, car les lieux sont dans un piteux
état. Tout est à refaire. Et comme chacun sait, les travaux, l'équipement et la
décoration réclament eux aussi un investissement de taille. Notre patron est un battant
et décide de faire marcher le système D à fond en faisant tout lui-même ou presque. La
famille, les amis, il a aussi la chance de pouvoir compter sur un entourage prêt à
mettre la main à la pâte.
La salle du futur restaurant, au niveau de la rue, représente une surface de 80 m2. Même
superficie, un étage plus bas pour la cuisine, la buanderie et bientôt un bar, sans
oublier le second sous-sol qui accueille, entre autres, la réserve et les vestiaires.
Mais voilà, les lieux sont remplis de gravats. "On a fait des travaux de titans.
On a enlevé 600 tonnes de gravats nous-mêmes." Puis nettoyer, colmater,
arranger... un dur labeur dans l'urgence puisque Alain Eclache veut ouvrir au plus tôt.
Direction les brocantes
De plus, il n'est pas question faute de moyens de faire appel à un architecte d'intérieur et d'acheter à grands frais le mobilier ou la décoration. Il sait ce qu'il veut, un établissement type brasserie parisienne avec du cachet, à l'ancienne, à l'image de sa devanture. Direction les brocantes, où il déniche pour une bouchée de pain des objets qui donnent à son établissement le charme d'antan si recherché. La solution, ce fut aussi la récupération tous azimuts. Pour construire le bar, par exemple, il récupère des planches destinées à être brûlées sur un chantier. Les gaines de ventilation sont trouvées à la décharge, etc. Atout indéniable, les murs en pierre sont lessivés et conservés. Au fond du restaurant, une belle idée peu onéreuse pour habiller l'un des murs de pierre tout en illuminant la pièce : une constellation de petites ampoules. Deux mois et demi de travaux et le 15 novembre 1995, Eclache & Cie ouvre ses portes.
Un ticket moyen de 120/130 F
Eclache & Cie a une capacité de 90 couverts, dont 30 en terrasse. Mais la
terrasse, installée dans l'impasse courant le long de l'établissement, n'est pas encore
un véritable atout : ni couverte ni chauffée, elle ne peut servir qu'aux beaux jours. De
plus, les riverains voient cette terrasse d'un très mauvais il, se plaignent et
certains vont même jusqu'à lancer des seaux d'eau dans l'impasse. Le restaurant, ouvert
7 jours sur 7, de midi à 1 h du matin, fait 20 couverts en moyenne pour le déjeuner, un
peu plus le week-end grâce au brunch. Le soir, il réalise une moyenne de 80 couverts,
pour un ticket moyen de 120/130 F.
A la carte, on trouve, en entrée, 7 propositions avec par exemple une Frisée aux lardons
et uf poché (48 F), un Carpaccio de buf (50 F) ou un Tartare de saumon frais
(50 F). Puis 10 plats, dont un Poulet fermier rôti (68 F), un Onglet à l'échalote (78
F), une Escalope de saumon au vinaigre de miel (85). Pour le dessert, 5 possibilités :
Soupe de fruits de saison (35 F), Crème brûlée (35 F)...De la simplicité mais du
choix. Côté vins, entre 75 et 120 F la bouteille, de 45 à 60 la fillette. Le restaurant
emploie 9 personnes. Des em-bauches en vue ? "A l'inverse des autres, je ne veux
pas grossir et dépasser la barre fatidique des 10. C'est hors de question.".
Quant à la fermeture an-nuelle, Alain Eclache ne veut même pas l'envisager : "J'ai
une politique : ne jamais fermer."
Aujourd'hui, trois ans plus tard, avec un chiffre d'affaires qui se maintient à 350 000
F, Alain Eclache a remporté la première manche. Mais il est bien placé pour le savoir,
rien n'est jamais gagné. Alors, il va encore de l'avant. Aussi saluons la naissance le 17
septembre dernier du restaurant parisien Le Petit Eclache, un petit frère d'une
cinquantaine de couverts.
Pour la décoration, imagination et récupération.
Un décor sobre mais chaleureux de bistrot parisien pour une capacité de 60 couverts.
Une terrasse sympathique installée dans la ruelle jouxtant le restaurant.
L'HÔTELLERIE n° 2586 Magazine 05 Novembre 1998