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Gérard Margeon, l'homme du vin d'Alain Ducasse

Ce sommelier gère un stock de 73 millions de francs

Sa curiosité le pousse sans cesse à découvrir de nouveaux vins, de nouveaux vignobles. Jamais rassasié, Gérard Margeon veille sur les cartes et les caves des établissements d'Alain Ducasse. L'extraordinaire parcours d'un amoureux du vin, passionné et passionnant.

Par Sylvie Soubes
Photos Christian Ducasse

9 heures. Gérard Margeon a revêtu sa tenue de sommelier pour nous recevoir. Il s'excuse pour l'agitation qui règne momentanément dans le bar mais une télévision étrangère se prépare à filmer la salle du restaurant. Gérard Margeon n'est pas seulement chef sommelier, il manage l'équipe, veille à la vie de l'établissement. Quelques ordres à donner, un aller-retour en cave, l'interview va pouvoir commencer.
L'homme est originaire de Beaune mais il n'a pas été élevé dans le milieu vini-viticole.
En revanche, plusieurs membres de sa famille sont dans la restauration et c'est tout naturellement qu'il entreprend un CAP puis un BTH. A l'époque où il fait ses études, la mention sommellerie est à peine existante. Et c'est sur le terrain qu'il va véritablement faire ses armes. Premier souvenir : "Quand j'ai fait mon stage à l'Hôtel de la Cloche, je me cachais pour déguster. Normalement, je n'avais pas accès au vin." Son temps libre, il le passe à découvrir les vignobles de Bourgogne. Le virus est entré. Gérard Margeon se donne la sommellerie pour objectif. Au cours des six mois qu'il fera ensuite à Tignes, il va en profiter pour se familiariser avec la roussette et la mondeuse. Il traverse aussi les Alpes pour s'initier aux productions helvétiques.
En 1982, le voici à Biarritz où il fait l'ouverture du Miramar. "J'entre alors dans le vif du sujet en créant de toutes pièces la carte des vins." Ses jours de repos : Bordeaux, de château en domaine. "J'ai visité le vignoble de long en large et j'étoffais ma carte en fonction de mes déplacements. Au début, j'ai été très graves puis je me suis pris de passion pour le Libournais".
Etapes suivantes : le Sud-Ouest, irouleguy, buzet, cahors, madiran... puis l'Espagne et le Portugal. La carte du Miramar comprenait des vins de la région de Porto à faire pâlir de jalousie quelques vignerons de l'Hexagone.
De passage au Château d'Artigny, Gérard Margeon se penche sur l'évolution des montlouis, touraine, anjou, etc. "J'ai volontairement travaillé dans différents établissements afin d'apprendre le vin. La seule région viticole française dans laquelle je n'ai pas travaillé, c'est l'Alsace".

Trois cartes au Méridien

Quand Gérard Margeon s'attaque à un vin, il commence par une balade dans le vignoble. "C'est très important de savoir comment la vigne est traitée, cultivée. C'est toujours instructif sur l'état d'esprit du producteur". Puis il se promène dans les chais et termine par deux dégustations : une avec le vigneron, l'autre seul. "Les deux sont complémentaires". Il ajoute : "Je suis très attaché au relationnel qu'il peut y avoir entre le vigneron et le sommelier. La qualité du vin est une chose, mais je dois aussi avoir confiance dans le viticulteur."
En 1990, à la tête des trois cartes des vins du Méridien Montparnasse (restaurants Montparnasse 25 et Justine, carte des banquets), Gérard Margeon perfectionne ses connaissances hexagonales, parcourt l'Allemagne, le Luxembourg, l'Autriche et les Etats-Unis. "On m'avait donné de gros moyens pour réaliser mes cartes. De toute façon, il ne fallait pas qu'il y ait la même référence sur deux cartes. La carte des banquets est quelque chose d'assez dur à gérer. Il faut faire attention aux trop pleins de fin d'année et que faire quand on vous demande un même vin pour 500 personnes dans les dix jours ? C'est une approche très spécifique du vin et des stocks".

Pas de période d'essai

"Gérard, le téléphone pour toi, c'est Monsieur Ducasse !" Quand Gérard Margeon reçoit l'appel, il pense que c'est le maître de chais du Château Lagrange. Surprise. C'est Alain Ducasse en personne.
Il lui annonce qu'il vient de lui envoyer un billet d'avion et un autre d'hélicoptère pour venir le week-end suivant à l'Hôtel de Paris. "Il me dit : je veux que tu sois mon sommelier à Monaco et si tu acceptes, il n'y aura pas de période d'essai." Etre bon tout de suite ou rien.
Seule période accordée à Gérard Margeon : quelques semaines de réflexion avant de dire oui (valises en main) ou non. C'est oui.
"Alain Ducasse voulait que je donne un souffle nouveau à la carte des vins. Monaco, c'est un univers à part. Il y a la personnalité du lieu, des gens. Et une cave exceptionnelle, creusée dans la roche au siècle dernier. A l'intérieur : 380.000 bouteilles avec des vins qui remontent au XVIIIème siècle et des eaux-de-vie du 1er Empire toujours en fûts. Quand je suis arrivé, ce qui m'a le plus frappé, ce sont les trois années de primeurs de tous les grands châteaux du Bordelais par dix à vingt caisses. C'était phénoménal." Pensez : 66 millions de francs de stock !
Gérard Margeon sera pendant trois ans à temps complet sur le Rocher. "Ne croyez pas que ce soit facile de servir des personnes qui boivent du Pétrus à chaque repas", sourit-il. Immanquablement, notre chef sommelier repart à la conquête des vignobles proches : la Provence et l'Italie.


Gérard Margeon dans la cave située en sous-sol du restaurant Alain Ducasse. C'est sur ce coin de table qu'il note, vérifie, déguste... L'antre du sommelier !


Quand Alain Ducasse ouvre la Bastide de Moustiers, dans un esprit très provençal, plus détendu aussi, Gérard Margeon est chargé de la carte des vins. "Au début, nous avions cinquante références, nous en sommes aujourd'hui à une centaine." Le chef sommelier suit également l'ouverture du restaurant Hédiard Paris, dont Alain Ducasse est alors conseiller .
En mai 1996, c'est l'ouverture du Restaurant Alain Ducasse Paris. L'après-Robuchon du 55 avenue Raymond Poincaré. Carte blanche pour Margeon. "Quand j'ai démarré la carte, je ne savais pas encore quelle direction Alain Ducasse allait prendre.
Je m'étais habitué à la cuisine méditerranéenne et nous allions nous diriger maintenant vers une cuisine continentale".

Quand le restaurant est inauguré, les quelques priviligiés n'ont pas la sensation que la carte est récente tant la maîtrise et le rythme sont présents. Le livre de cave (le mot carte ne suffit pas) est entièrement écrit à la main et compte tous les grands vins de la planète, 25 millésimes de Haut-Brion, la seule verticale au monde de Vega Sicilia, une page entière d'Aloxe Corton... deux tiers des vins américains inscrits sont introuvables en France ailleurs qu'ici. 1.608 vins sont ainsi répertoriés le jour de notre rencontre avec Gérard Margeon. 600 vins sont en attente en cave et 45.000 bouteilles à disposition à l'extérieur de Paris. 7 millions de francs de stock en tout.
11 h 30. Gérard Margeon doit nous abandonner. Il doit assurer les préparatifs du service. Un léger sentiment de frustration nous envahit. La discussion est finie. Si le parcours de Gérard Margeon est étonnant, la simplicité avec laquelle il parle du vin ajoute à la dimension du personnage. Alain Ducasse ne s'est pas trompé.

 
Le livre de cave du restaurant Alain Ducasse est entièrement écrit à la main.


A Paris, la salle du restaurant se trouve au premier étage d'un l'hôtel particulier. 50 couverts maximum et jusqu'à deux mois et demi d'attente pour une réservation le soir.

Les restaurants de Monaco et de Paris

Le Louis XV :
Menu déjeuner de saison à 480 F (boissons comprises deux plats, les fromages et un dessert ainsi qu'un vin sélectionné). Menus dégustation à partir de 780 F. 50 couverts maximum, terrasse en saison de 25 couverts. "La carte change avec les saisons et décline plusieurs thèmes : le potager, la mer, la ferme, la forêt, la chasse, les pâturages... A noter des accords très originaux de fromages et vins. Et toujours de magnifiques saveurs à partir de l'huile d'olive."

Alain Ducasse Paris :
Déjeuner à partir de 480 F par personne. Menus dégustation composés de 4 plats, fromages et deux desserts. Menu de truffe noire en saison. 50 couverts. "La carte, qui change deux fois par saison, fait honneur aux spécialités françaises, de grands classiques inspirés de toutes les régions de l'Hexagone, sublimés par des produits choisis avec soin auprès des maraîchers, des poissonniers, des éleveurs. Une brise du Sud souffle, légère, dans la cuisine." Une merveilleuse synthèse culinaire des régions de France.


L'HÔTELLERIE n° 2568 Magazine 2 Juillet 1998

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