Des signes qui ne trompent pas : le classement du guide Zagat par exemple. En s'appuyant largement sur l'opinion de ses lecteurs invités à remplir un questionnaire très détaillé, il fait autorité en matière de gastronomie. Et lorsqu'il place les chefs français en tête de liste, cela signifie bien la place qu'ils tiennent dans le cur des gourmets new-yorkais...
Pour 1998, leur emprise est évidente puisque Daniel Boulud (Daniel), Eric Rippert (Le Bernardin) et Jean-Georges Vongerichten (Jean-Georges) obtiennent 28/30, partageant la première place du Top'50 des «meilleures cuisines» avec Charlie Palmer (Auréole) et Gray Kunz (Lespinasse).
Ce résultat n'est pas le fait du hasard. Simplement la concrétisation d'un long et beau travail et d'une parfaite adaptation aux us et coutumes d'outre-Atlantique. Pour aucun des chefs français en place à New York, il ne s'agit de renier ses particularités ou de gommer l'expérience acquise chez tel ou tel étoilé de l'Hexagone.
Daniel Boulud, restaurant «Daniel» : «Même si l'on a l'envie de réussir, il ne
faut pas arriver ici en terrain conquis».
Daniel Boulud avec son personnel devant son restaurant «Daniel».
Daniel Boulud en salle cultive la convivialité.
Ainsi Daniel Boulud qui fit ses premiers pas à Lyon chez Gérard Nandron confesse-t-il : «même si l'on a l'envie de réussir, il ne faut pas arriver ici en terrain conquis. Il faut savoir prendre le temps de voir les choses et de comprendre certaines mentalités... ce qui n'empêche pas de s'exprimer pleinement dans sa cuisine.»
Noté à 4 étoiles par Ruth Reichl, la redoutable critique gastronomique du «New York Times», le Lyonnais est très vite devenu la coqueluche de la Jet Society. En 1986, au «Cirque» de Sirio Maccioni, elle avait découvert ce chef à la quarantaine souriante, passé chez Georges Blanc, Roger Vergé et Michel Guérard.
Depuis 1993 et l'ouverture de «Daniel» sur la 76ème rue, son restaurant ne désemplit pas et certains doivent patienter un mois pour obtenir une table ! «J'avais envie de revenir chez moi et d'ouvrir un restaurant à Lyon. Tout était pensé avec mon projet en place, mais les difficultés étaient trop grandes. Ici, tout est beaucoup plus simple» avoue-t-il.
Ceci -lenteurs administratives, difficultés d'être épaulé par une banque, lourdes charges salariales- explique sans doute cela et justifie cet exode important vers un pays où l'on peut encore rêver de faire fortune.
Travailleur et imaginatif
Jean-Jacques Rachou qui tient sa «Côte Basque» à bout de bras depuis un quart de siècle peut en témoigner. Après un parcours dans le monde entier, ce Toulousain arrivé pour faire un stage à New York avec trois dollars en poche compte désormais sa fortune en millions de dollars...
«Ici, un jeune travailleur et imaginatif possède un grand avenir. Si les jeunes français veulent venir, c'est encore le moment. L'Amérique est un pays d'opportunité, mais il faut d'abord apprendre son métier en France et l'aimer. Ensuite, tout est possible», dit-il. Pour bon nombre de chefs débarqués voici quelques années, la réussite a été rapide. Et Jean-Yves Schillinger, revenu l'été dernier dans une ville où il avait travaillé dix ans plus tôt, espère bien oublier ici les déboires connus en France après le décès de son père.
«Je voulais assurer la relève chez moi, en Alsace. Cela me semblait normal puisque nous y sommes cuisiniers depuis 1893. C'était très difficile et des raisons familiales ont dicté mon départ. Nous avions deux étoiles au Michelin et je voulais rester à ce niveau. Je n'en ai pas eu les moyens et je suis reparti», raconte-t-il simplement.
Jean-Jacques Rachou, restaurant «La Côte Basque» : «Il faut
d'abord apprendre son métier en France».
Sur place, Jean-Jacques Rachou pour qui il avait travaillé au «Lavandou» et à «La Côte Basque», lui a tendu la main et offert le fonds du «Pistou» rebaptisé symboliquement «Destinée».
«Ici, c'est une autre mentalité. Quand tout va bien c'est parfait, mais il suffit d'un couac pour tout déstabiliser car le bouche à oreille fonctionne bien. L'influence des critiques est beaucoup plus importante et un bon papier suffit à remplir un restaurant. Le niveau est très élevé, beaucoup plus qu'il y a dix ans. Aujourd'hui, pour la cuisine française, après Paris c'est New York.»
Le concept brasserie, inconnu aux Etats-Unis, fait une belle percée à New York.
Pour l'argent
Lui non plus ne fait pas mystère de ses intentions de réussite. «Il y a de la place pour tout le monde. En Alsace, nous sommes très famille et ici c'est davantage la jungle mais chacun peut faire son travail. Même si je me fais plaisir, je suis venu ici pour l'argent sinon ce n'est pas la peine. Je fais la même cuisine qu'à Colmar et je me suis fixé entre dix et quinze ans», lâche-t-il.
Ensuite ? Il reviendra peut-être s'installer en France dont tous gardent la nostalgie. En fait, le piège est là. Dans cette vie de famille difficile à mener lorsque l'on travaille de 8 heures du matin à minuit, sept jours sur sept.
«Le secret de la réussite», affirme Jean-Jacques Rachou. «On travaille beaucoup mais la réussite est à ce prix», confirme Eric Rippert depuis 1989 aux Etats-Unis et à qui Maguy Le Coze a confié le piano du Bernardin.
«Je me sens bien dans ma peau de chef. Désormais ma vie est aux Etats-Unis où je vais me marier. Ici le voyage s'arrête. Après avoir vécu ici, il est difficile de revenir en France. Ici c'est plus simple et tout le monde gagne bien sa vie.»
Installés à vie alors les Français de New York ? «Je ne pense pas, mais pour l'instant je suis bien», glisse Jean-Michel Bergougnoux. Cet Auvergnat de 41 ans est passé chez Pierre Troisgros, Roger Vergé et Jean-Paul Lacombe au «Léon de Lyon» avant de tenter l'aventure. A l'Absinthe, il joue, avec bonheur, la carte des lyonnaiseries proposant la «volaille truffée de la Mère Brazier» et les «tripes Léon de Lyon gratinées» !
«Même s'il est un peu galvaudé aujourd'hui, le phénomène de brasserie est très mal connu des Américains.»
C'est sur «Jo Jo», un bistrot de 80 places ouvert en 1991 à Lexington, que Jean-Georges Vongerichten a misé pour asseoir sa réputation. Ensuite, le succès aidant, il s'est lancé dans une opération d'envergure sur Central Park. «Jean-Georges» a ouvert ses portes en mars 1997 et est déjà l'un des restaurants les plus courus de la ville.
Poireaux et pommes de terre
La réussite ? «En Alsace, mes parents vont au restaurant une fois par mois. A New York où personne ne mange à la maison, les gens y vont six fois par semaine et ils tombent à genoux devant un potage poireaux-pommes de terre ! L'image de la France est très forte et les Américains viennent chercher chez nous ce terroir qu'ils n'ont pas. Avec de bons produits il faut faire des choses simples, sans trop de beurre ni de crème.»
Laurent Manrique, restaurant «Gertrud's» : «Il faut savoir se fondre dans le
moule sans perdre sa personnalité».
«Il faut bien se mettre dans la tête que l'on n'est plus en France mais à New York. Il faut savoir se fondre dans le moule, sans renier sa personnalité. Je fais ce que je sais faire et je crois à une cuisine de région. C'est elle qui sauvera la cuisine française à l'étranger», insiste à son tour Laurent Manrique. S'il ambitionnait de reprendre l'auberge familiale dans le Gers, les difficultés l'ont fait reculer. «Jamais à mon âge (NDLR : 30 ans), je n'aurais eu la facilité de m'installer dans mon pays. Même en frappant aux portes des banques, elles ne prêteront jamais ce qu'apporte un financier ici. En France, il y a beaucoup de cuisiniers de talent qui vont au suicide. Si demain je décidais de rentrer, je devrais attendre dix ans pour pouvoir m'installer», dit-il encore.
Voilà sans doute la raison qui l'a poussé, lui comme d'autres, à s'exiler et à accepter de ne rentrer en France que trois ou quatre fois dans l'année pour retrouver les copains.
«Ce n'est pas la réalité, on ne voit que les bons côtés», confesse-t-il pourtant..
Jean-Michel Bergougnoux et son équipe du restaurant «L'Absinthe» : «New York
reste une belle opportunité pour quelqu'un de courageux avec un peu de talent».
Jean-Georges Vongerichten, restaurant «Jean-Georges» : «A New york où personne
ne mange à la maison, les gens vont au restaurant six fois par semaine».
Parlons chiffres | ||||||||||||||
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Restaurant | capacité | couverts/jour | repas en $ | salariés cuisine | ||||||||||
lunch dinner | ||||||||||||||
Destinée | 55 8.800/4 mois | 38 | 68 | 24 (8) | ||||||||||
Le Bernardin | 120 | 330 | 42 | 68 | 90 (35) | |||||||||
L'Absinthe | 120 | 160 | 30 | 60 | 25 | |||||||||
Daniel | 80 | 280 | 38 | 60/100 | 80 | |||||||||
La Côte Basque | 140 | 450 | 50 | 100 | 90 (41) | |||||||||
Jean-Georges | 60 | 220 | 45 | 75 | 140 (45) | |||||||||
Gertrude's | 100 - | 55 | 90 | 73 (22) | ||||||||||
Sans vin, ni service, ni taxe. | ||||||||||||||
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Restauration new-yorkaiseMode d'emploiDans une ville de 7,3 millions d'habitants, on recense 55.000 restaurants avec
quelques règles qui leur sont propres... |
Travailler à New York«Ici, le talent, le travail, la persévérance et la patience de
rencontrer la bonne opportunité
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Ph. Rispoli«J'ai choisi New York»Demi-chef puis chef de partie, Philippe Rispoli a choisi depuis janvier 1997 chez
Daniel Boulud, de tenter l'aventure américaine. Son parcours en France ? Bocuse,
Gaborieau (Les Eaux Vives) et Orsi à Lyon ; Chavueau (La Belle Otéro) et Willer (La
Palme d'Or) à Cannes. |
Portraits de chefsJ.-Yves Schillinger(34 ans)
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L'HÔTELLERIE n° 2551 Magazine 5 Mars 1998
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