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Emploi

Vers une réelle réglementation

De par un développement fantastique ces 30 dernières années, le secteur de l'hôtellerie-restauration a été un des plus importants créateurs d'emplois. Paradoxalement, il est resté un des seuls secteurs à ne pas se doter d'une réglementation claire en matière d'emploi et, jusqu'à ce jour, n'a toujours pas de Convention collective. Il semble toutefois qu'avec le temps, les négociations aient suffisamment avancé pour laisser imaginer une signature dans l'année. Nous vous proposons un tour d'horizon de la situation.

Par Pascale Carbillet

Comment travaillait-on dans les CHR ?

L'évolution des horaires effectués

C'est la loi du 21 juin 1936 qui a instauré la semaine des 40 heures avec un jour de repos hebdomadaire de 24 heures minimum, ce qui conduisait à un maximum de 6 jours de travail par semaine civile.
Des décrets d'application sont venus par la suite fixer par profession les modalités de ces dispositions en prenant en compte les spécificités de ces professions.
Ce temps correspond à un travail effectif, donc hors habillage et pause repas et des contraintes d'inaction de certaines activités qui comportent des temps morts ou des heures creuses. C'est dans cet esprit qu'à l'époque, dans les professions de l'hôtellerie et de la restauration, il a été instauré le système des heures d'équivalence, qui était censé donner le temps de travail équivalent à ces 40 heures. Les décrets du 16 juin 1937 et du 31 décembre 1938 ont fixé des équivalences de deux sortes, des payées et des non payées.

Ces équivalences étaient à l'époque de :
* Cuisiniers : 45 heures payées 45 heures ;
* Autres : 50 heures payées 45 heures ;
* Gardiennage : 56 heures payées 45 heures.
C'est ce système des équivalences qui fait que certains salariés effectuent plus d'heures que d'autres pour le même salaire de base. On parle alors d'heures de travail effectif et d'heures de présence.
Ces heures d'équivalence ont été progressivement réduites par la suite.

A compter du 1er janvier 1980, elles ont été pour chaque catégorie de personnel de :
* Cuisiniers : 44 heures payées 44 heures ;
* Autres : 49 heures payées 44 heures ;
* Veilleurs de nuits : 55 heures payées 44 heures.
Puis le protocole d'accord du 2 mars 1988, qui est toujours en vigueur à l'heure actuelle, a fixé ces horaires à :
* Cuisiniers : 43 heures payées 43 heures ;
* Autres : 45 heures payées 43 heures ;
* Veilleurs de nuits : 52 heures payées 43 heures.

A combien de jours de repos hebdomadaire avait-on droit ?

En matière d'hôtellerie et de restauration, un décret du 16 juin 1937 prévoyait deux jours de repos consécutifs pour le personnel des établissements situés dans des localités de plus de 80.000 habitants, c'est-à-dire que la répartition hebdomadaire du travail devait se faire sur 5 jours. Mais un décret du 12 novembre 1938 est venu instituer la semaine de 40 heures sur 6 jours. Ces textes n'ont pas été par la suite codifiés dans le code du travail. Dans le doute, beaucoup de professionnels appliquaient dès lors le texte le plus récent qui répartissait les horaires de travail sur 6 jours.
Il a été mis fin à l'ambiguïté de ces textes de 1937 et 1938 avec l'accord du 3 mai 1983 qui a institué sur tout le territoire un repos hebdomadaire de 1,5 jour. Seulement il était prévu que cette demi-journée pouvait être reportée dans la limite totale de 6 jours. Il était donc possible de reporter cette demi-journée pendant 12 semaines, c'est-à-dire un trimestre.
L'accord de mars 1988 qui est le texte en vigueur actuellement a posé en principe le repos hebdomadaire de 1,5 jour consécutif ou non ; les modalités d'application étant définies au niveau de chaque entreprise par l'employeur après consultation des salariés et en tenant compte des besoins de la clientèle sur la base de :
* 1,5 jour consécutif ;
* 1 jour une semaine et 2 jours la semaine suivante non obligatoirement consécutifs ;
* 1 jour une semaine, la 1/2 journée non consécutive ;
* 1 jour dans la semaine, la demi-journée cumulable, sans que le cumul puisse être supérieur à six jours.
La 1/2 journée travaillée ne peut excéder 5 heures.
Ce texte a pris en compte la spécificité des établissements saisonniers en leur donnant plus de facilité d'utilisation de cette demi- journée en les autorisant notamment à la suspendre 2 fois par mois, mais en limitant cette suspension trois fois dans une saison. Ces suspensions donnant lieu à rémunération.

Comment va-t-on travailler demain ?

A l'heure actuelle, il n'existe toujours pas de Convention collective, mais les partenaires sociaux ont élaboré un projet de texte sur lequel une majorité de représentants des salariés et d'organisations patronales sont d'accord.
Les trois innovations principales de ce texte sont l'aménagement du temps de travail qui passe par une réduction des heures d'équivalence, une annualisation du temps de travail et une classification des emplois.

Comment aménager le temps de travail ?

* En réduisant les heures d'équivalences :
Cet aménagement du temps de travail se traduit principalement par une réduction des heures d'équivalence. En effet, la base de la durée hebdomadaire du travail reste fixée à 43 heures pour les cuisiniers. Ce qui va changer, c'est la durée de travail des autres salariés qui effectuent respectivement 52 heures pour les veilleurs de nuits et 45 pour les autres salariés tout en étant payés sur une base de 43 heures hebdomadaires. Leurs horaires vont donc progressivement diminuer pour atteindre ceux d'un cuisinier. Ce projet prévoit donc que toute heure de présence dans l'entreprise sera payée.
Cependant, pour éviter de trop perturber les entreprises et plus particulièrement les petites entreprises, il est prévu que cette diminution des horaires d'équivalence se fasse progressivement et soit effective un an après la date d'application de la Convention collective pour les établissements de plus de 10 salariés et sur deux ans pour les établissements de moins de 10 salariés.

* En accordant deux jours de repos :
Ce texte prévoit en outre l'introduction du principe des deux jours de repos hebdomadaire. Toutefois, pour les entreprises de moins de 10 salariés, un délai de mise en application de deux ans est prévu à partir de la date d'application de la Convention collective. En outre, il est prévu pour tous les établissements qui vont passer de 1,5 jours à 2 jours, une gestion souple de cette demi-journée supplémentaire sous forme de report ou de compensation.

* En annualisant le temps de travail :
L'annualisation du temps de travail doit être instaurée par un accord collectif (de branche, d'entreprise ou d'établissement) et doit prévoir une contrepartie pour les salariés comme par exemple une réduction de la durée du travail.
C'est la raison pour laquelle le projet comporte un système d'annualisation/réduction du temps de travail sur la base de 42 heures hebdomadaires, puisque l'horaire de référence de la branche est désormais de 43 heures (réduction d'une heure).
L'annualisation du temps de travail permet aux entreprises d'adapter leur besoin en personnel aux fluctuations d'activités auxquelles elles peuvent être confrontées. Ce qui évite aux entreprises en période de pleine activité de recourir aux heures supplémentaires ou à du personnel temporaire et en période de moindre activité de mettre leurs salariés au chômage partiel. Nous rappelons à nos lecteurs que les heures supplémentaires s'apprécient sur une semaine et non pas au mois. Un cuisinier, qui effectue plus de 43 heures un semaine, aura donc effectué des heures supplémentaires qui lui donnent droit à une majoration de salaire ou à un repos compensateur.
Ce principe d'annualisation pour les CHR permet que l'horaire de travail fasse l'objet d'une annualisation ou d'une saisonnalisation établie sur la base d'un horaire hebdomadaire de 42 heures pour le personnel concerné de telle sorte que les heures effectuées au-delà et en deçà de celui-ci se compensent arithmétiquement dans le cadre de la période annuelle de référence ou de la période d'ouverture de l'entreprise ou de l'établissement.

Classification des emplois

La diversité des entreprises visées par ce projet de Convention collective a créé l'obligation pour les partenaires sociaux de trouver un système de classification adaptable à tous les types d'entreprises concernées et à toutes les fonctions.
Ce projet comporte un système de classification des emplois fondé sur le principe des critères classants qui permet à chaque chef d'entreprise d'établir son propre classement dans la grille à partir de 4 critères (compétence- expérience ou formation requise ; contenu de l'activité ; autonomie et responsabilité).
45 emplois repères ont été classés dans la grille pour guider les entreprises dans leur travaux de classement.
En outre, il est prévu une grille de salaires minima qui est fixée en fonction de chaque niveau et échelon. Ce qui permet d'affecter un salaire à un poste et conduit à donner le salaire correspondant réellement à ce poste.

Entretien avec J.-F. Veysset

Nous avons demandé à J.-F. Veysset, vice-président de la FNIH, et un des négociateurs patronaux de nous présenter le projet de Convention collective sur lequel les partenaires sociaux ont bien avancé.

L'Hôtellerie :
Un des premiers points de ce projet est de diminuer les horaires d'équivalence qui n'étaient pas rémunérés, c'est une révolution.

J.-F.V. :
«On a maintenu les horaires spécifiques de la profession des CHR, c'est-à-dire une base de 43 heures hebdomadaires (contre 39 heures), mais on supprime progressivement les heures d'équivalence, d'autant plus qu'elles n'étaient pas rémunérées. Désormais, il faudra comprendre que pour tous les salariés, chaque heure de présence dans l'entreprise est rémunérée.
Mais une novation extrêmement importante sur l'aménagement du temps de travail est la possibilité sur un horaire de 42 heures hebdomadaires de moyenne rémunéré 43 de finalement annualiser le temps ou de le saisonnabiliser pour tout ou partie dans les limites hebdomadaires correspondantes. Cette nouveauté permettra de mieux gérer les aléas dus aux irrégularités de fréquentation de la clientèle.
Certes, il va y avoir un coût à compenser, mais les changements de durée, mis à part les veilleurs de nuits, sont globalement inchangés. Quand certains annoncent que cette convention va coûter 15% aux entreprises, je me demande comment ils trouvent ces 15%, sauf à réfuter tout changement et à oublier que les horaires vont être répartis différemment. C'est vrai qu'il va y avoir un gros effort de réorganisation par rapport, non pas à la durée, mais à l' aménagement du temps de travail.»

L'hôtellerie :
Quel est l'intérêt de la classification des emplois pour la profession ?

J.-F.V. :
«On a besoin d'identification pour attirer les jeunes. Il est important de tenir compte des aspirations des salariés les mieux qualifiés à davantage de reconnaissance au niveau de la rémunération.

Désormais, quand nous embaucherons, cela ne sera pas que le SMIC comme salaire minima, mais un minima propre à la fonction en tenant compte des capacités des personnes et des nécessités par rapport à l'emploi pour tenir un poste.
La progression de ces minima permettra aux jeunes de penser à un parcours professionnel et rendre plus attractive la formation continue, et de les motiver dans une recherche de perfectionnement. Ceci est une source de plus grand intérêt pour le salarié et par conséquent une plus grande prestation pour l'entreprise donc un développement de l'entreprise.
On a retenu un système de critères classant par niveau et par échelon, c'est-à-dire que l'on regarde plus les capacités, les responsabilités et on les hiérachise. Cela permet de prendre en compte à la fois la dimension de l'entreprise, le niveau de prestation de l'entreprise tout en tenant compte également d'une certaine hiérarchisation qualitative et en même temps des capacités d'autonomie des uns par rapport aux autres. Une entreprise à partir de ces niveaux et échelons pourra concevoir son propre système. C'est très précieux, car moins qu'une définition précise des tâches, c'est beaucoup plus une approche des fonctions.
Si, par exemple, on fait faire les carreaux et le jardinage à un apprenti serveur alors qu'il y a un jardinier de prévu, là il y a quelque chose qui ne va pas. Si, par contre, il s'agit d'entretenir les fleurs et les plantes dans la salle et qu'il n'y a pas de personnel pour faire ces tâches, on comprend que si la personne ne le fait pas, elle ne fait pas son travail.»

L'Hôtellerie :
Certains professionnels s'inquiètent de cette future Convention collective et la voient comme l'instrument de leur disparition.

J.-F.V. :
«Je pense que cette convention collective n'est rien d'autre que la réglementation de l'emploi. Le grand mérite de cette convention, ce sera quelque part d'être un outil pour lutter contre beaucoup d'inégalité, voire d'iniquité au sein même de la profession qui lui font certainement un mal aussi important que le paracommercialisme. Il y a aujourd'hui des pratiques d'établissements que nous ne dénoncons pas suffisament. Nous n'avons plus les moyens de ne pas dénoncer ces pratiques illégales, mais aussi de concurrence déloyale.

Avec le déclenchement immédiat de la convention pour les grandes entreprises, mais progressif pour les petites, il ne faut donc pas craindre son application qui se fera dans le temps, afin de permettre aux chefs de petites entreprises de réorganiser leur façon de travailler.
Cette convention permet à la profession de vivre ces particularités alors qu'autrement elle risquait de se voir appliquer le droit commun qui n'est pas adapté à leurs métiers de service.»

L'Hôtellerie :
S'il reste encore quelques points de discussions entre les partenaires sociaux, quand pensez-vous qu'elle sera signée ?

J.-F.V. :
«Elle pourra être signée dès que, sous l'autorité du Premier ministre, nous aurons communication du projet de décret précisant la suppression des charges patronales sur les avantages en nature, mais qui ne modifierait en rien la rémunération nette perçue par les salariés, ni les futures prestations maladie ou retraite de ces mêmes salariés.»

 
«Le grand mérite de cette convention, ce sera quelque part d'être un outil pour lutter contre beaucoup d'inégalité, voire d'iniquité au sein même de la profession».


L'HÔTELLERIE n° 2500 Hebdo 6 Mars 1997

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
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