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interview

Serge Dubs le riesling en étendard

Quand on parle de vins d'Alsace, l'avis de Serge Dubs fait autorité. Né à Strasbourg en 1953, ce grand sommelier cache sous un flegme apparent une sûreté de jugement qui lui vaut le respect de tous les vignerons alsaciens. Indissociablement lié à la famille Haeberlin, dont il est en quelque sorte le fils adoptif, il partage avec elle la passion de la gastronomie.
Meilleur sommelier de France, d'Europe et du Monde, il a reçu les titres les plus prestigieux de la profession. Aujourd'hui, il a choisi de mettre toute son énergie au service du riesling. Il classe et étudie chaque terroir, chaque flacon. Le monde viticole attend avec impatience la sortie d'un ouvrage qu'il nous promet pour l'année prochaine.
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Que pensez-vous de l'idée reçue qui veut que les vins d'Alsace ne s'accordent bien qu'avec la cuisine alsacienne ? Croyez-vous que l'on puisse associer un riesling, un gewurztraminer avec d'autres cuisines du monde ?
Par elle-même, la cuisine alsacienne est déjà d'une richesse extraordinaire. Elle ne se limite pas à la choucroute ! Elle a subi tant influences que je n'hésite pas à la qualifier d'internationale. Quant à la palette des vins alsaciens, elle est tellement étendue qu'il est quasiment impossible de ne pas trouver des mariages avec les mets du monde entier. Jamais je n'ai eu d'angoisse pour trouver des accords avec des cuisines étrangères, qu'elles soient japonaises, indiennes ou chinoises.

Partout dans le monde, les vins boisés sont à la mode. Seule l'Alsace a su résister à cette unification des goûts. Croyez-vous qu'elle puisse en souffrir ?
Absolument pas. Chaque AOC possède sa propre personnalité. On ne va pas la changer sous le prétexte qu'elle ne correspond plus à la mode du moment ! Chez nous, en Alsace, nous bénéficions d'atouts bien spécifiques : une très bonne maturité, un vin dans lequel le fruit -- plus ou moins expressif, plus ou moins discret -- est toujours présent, enfin l'acidité nécessaire pour permettre une garde prolongée. En bref, nos vins ont de la tenue et je ne suis pas du tout favorable au bois neuf en Alsace. Nous n'en avons absolument pas besoin.

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Nos vins ont de la tenue et je ne suis pas du tout favorable au bois neuf en Alsace. Nous n'en avons absolument pas besoin.

Les Alsaciens n'ont-ils pas opté ces dernières années pour des vins plus sucrés ? Nous avons eu l'impression, lors de nos dégustations, de trouver plus de sucre résiduel, surtout dans les rieslings ?
Un grand nombre de viticulteurs ont amélioré la qualité de leur vin : ils ont réduit les rendements, chercher la maturité. De ce fait, il est normal que l'on retrouve plus de sucre dans le raisin. C'est surtout en dégustant les rieslings que l'on peut être surpris et effectivement, certains amateurs regrettent le côté sec qui les caractérise. Il serait dommage de ne conserver que la rondeur sucrée du riesling pour satisfaire le consommateur. Je pense en effet que le sucre résiduel est intéressant sous deux conditions : premièrement quand il est accompagné par une acidité qui donne au vin une structure plus solide, et deuxièmement, quand il est naturel, c'est-à-dire issu de la maturité du fruit et non d'une chaptalisation.

L'arrachage de plus en plus systématique du sylvaner au profit du tokay ne concourt-il pas à la disparition des petits vins ?
Les vignerons commencent à y réfléchir, et certains même replantent du sylvaner dans des terroirs mieux adaptés à ce cépage.
Ce qui sauvera le sylvaner c'est son acceptation dans certaines zones de grands crus, et cela ne saurait tarder. Le sylvaner en Alsace a un vrai rôle à jouer. C'est un vin de soif, un vin gouleyant, désaltérant et le tokay ne pourra jamais le remplacer dans cette fonction, car il est bien trop parfumé.

L'étiquette des vins alsaciens comporte plusieurs niveaux d'information : le cépage, la cuvée, les grands crus... Ces renseignements ne nuisent-ils pas à la clarté de la lecture ?
Vous savez, les lieux-dits bourguignons sont tout aussi complexes ! Et puis je crois que se passionner pour une région viticole, c'est approfondir ses connaissances, ne pas se contenter d'un nom, mais étudier les lieux et les hommes qui sont à l'origine du vin. Les grands crus sont un passage obligé pour améliorer encore la qualité des vins alsaciens. Ce classement existe depuis à peine 20 ans. La création de ces zones correspond à un travail que les Bordelais et les Bourguignons ont entamé il y deux siècles et concerne, dans chaque région viticole, environ 3% de la production.

Le consommateur est-il assuré de trouver des vins d'exception quand il se fie à cette mention et surtout, ne risque t-il pas d'en déduire que le reste de la production alsacienne n'a pas d'intérêt ?
Je suis persuadé que les grands crus représentent le plus haut niveau qualitatif de ce qui se fait en Alsace, indépendamment des sélections de grains nobles et des vendanges tardives qui sont complémentaires et qui ont déjà fait leurs preuves. N'en profitons pas pour simplifier : dans les 97 % des vins qui ne sont pas classés « grand cru », on trouve des produits remarquables. De plus, certaines grandes maisons, préfèrent pour l'instant mettre en avant leur nom, plutôt que leur classement en grand cru. C'est le cas de Trimbach, Hugel et quelques autres. Dans le Bordelais, qui pourrait oser dire que seuls les grands châteaux sont dignes d'intérêt ? Ce qu'il faut savoir c'est qu'il existe deux catégories de bons vins en Alsace, ceux qui se boivent rapidement et les grands crus, qu'il faut laisser vieillir en cave plusieurs années.

À l'Auberge de l'Ill, guidez-vous prioritairement les clients vers les vins d'Alsace ?
Je suis dans une fonction où je dois écouter et « analyser » la clientèle. Je raisonne d'après trois données indissociables : le plat, le vin, le client. Cette trilogie, je ne veux m'en écarter. Je n'arrive jamais devant une table pour me faire plaisir, mais pour rechercher ce qui ferait plaisir au client. J'ai plutôt tendance, lorsqu'on parle vin blanc, à proposer un alsace, c'est normal. Mais vous l'avez constaté, ma carte comporte tellement d'autres ouvertures !

Pour conclure, quel est selon vous le plus grand cépage alsacien ?
De cœur, je dirais spontanément le muscat, mais je crois que le plus grand cépage au monde, c'est le riesling. J'irai même jusqu'à dire que, pour les vins blancs, le riesling est le cépage du nouveau millénaire. C'est certainement aussi le plus difficile à expliquer. Il a une très grande personnalité, il est difficile d'approche, complexe et a besoin d'être parfaitement vinifié. On ne peut pas le farder.

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Je crois que se passionner pour une région viticole, c'est approfondir ses connaissances, ne pas se contenter d'un nom, mais étudier les lieux et les hommes qui sont à l'origine du vin.


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L'Hôtellerie n° 2744 La Cave 15 Novembre 2001

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