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interview

Gérard et Éliane Boyer, ambassadeurs du champagne

Main dans la main, Éliane et Gérard Boyer dirigent un des plus somptueux établissements de France. C'est en 1983 qu'ils s'installent au château des Crayères, à Reims, la ville où quelques années auparavant, Gérard avait acquis les trois prestigieux macarons Michelin. Noblesse oblige, ce château qui fut longtemps propriété de la maison Pommery est le temple du champagne. Cent-vingt sortes sont référencées à la carte du restaurant. Qui, plus qu'eux, méritent le titre d'ambassadeurs du champagne ? Passionnés par leur métier, ils savent répondre à la curiosité d'une clientèle exigeante qui souhaite découvrir chez eux toutes les facettes de la première appellation du monde

Vous êtes un peu atypiques par rapport à d'autres restaurateurs en France, dans la mesure ou vous êtes dans une région viticole bien particulière. Proposer un repas autour du champagne, est-ce vraiment possible ?
Bien sûr. Beaucoup de nos clients n'ont jamais fait de dîner au champagne, et pourtant c'est un vin qui s'accorde avec beaucoup de plats. Un dîner au champagne évoque la fête, et laisse en fin de repas, une sensation d'euphorie et de légèreté. C'est un avantage auquel les femmes sont particulièrement sensibles.
À l'apéritif, nous proposons trois types de vins : un brut sans année, un prestige et un rosé. Le menu proprement dit se compose de 4 demi-plats. Une entrée, un poisson une viande et un dessert. Bien évidemment, nous choisissons une viande qui s'accorde avec le champagne : une poularde de Bresse ou du veau. Un gibier avec du champagne, ce serait une véritable hérésie !
Durant ce repas, nous faisons déguster différents types de champagnes. Il est d'ailleurs amusant de constater que même nos clients grands amateurs de vins et possesseurs de belles caves, ne connaissent en général qu'un seul champagne. Il s'agit souvent du champagne que leurs parents achetaient. Une sorte de tradition familiale... Ce qui nous plaît, c'est de pouvoir leur montrer qu'il n'y a pas un champagne, mais des champagnes.

Champagne et fromages font-ils bon ménage ?
Il y a de très beaux accords possibles avec les fromages. Un maroilles, encore un peu blanc, légèrement crayeux, voilà une très beau mariage à mon goût, avec un champagne. Avec un Krugg par exemple, c'est à mourir ! Mais le brie, le chaource également permettent de subtiles associations.

Selon quels critères établissez-vous la carte des champagnes ?
Il n'y a pas de secret : nous dégustons. Souvent, c'est le vigneron qui vient nous voir et presque tous les jours, nous faisons une dégustation. Les achats restent le domaine réservé de Gérard mais nous avons constitué une équipe qui a de solides connaissances en vins. Monsieur Heil, notre maître d'hôtel est un grand amateur de champagne.
Nous avons également décidé de promouvoir les vignerons lauréats du concours organisé chaque année par le syndicat des Vignerons. Nous nous donc sommes engagés à les référencer sur notre carte pendant un an. Nous pensons qu'en tant que restaurateurs, notre rôle est aussi de leur donner un coup de main. Nos clients d'ailleurs en sont ravis, car ils sont de plus en plus nombreux à vouloir découvrir de nouveaux champagnes.

Pour beaucoup, le champagne est devenu la boisson des cocktails et des apéritifs. Ne trouvez-vous pas cette image un peu réductrice ?
Jouer la carte vin d'apéritif ou vin de cocktail a nui à l'image du champagne. Quand cinq cents invités sirotent leur flûte d'un air distrait, je suis sûr qu'ils se moquent complètement de ce qu'ils boivent. L'image « vin » du champagne a sérieusement pâti de cette mode.
Mais je dois vous dire que, pour moi, le summum de l'ineptie c'est d'arroser le vainqueur d'un prix sportif avec un magnum de champagne. Maintenant on s'arrose même de champagne dans les tribunes ! Si j'étais viticulteur, je pense que je mènerais une action pour empêcher çà : imaginez que l'on fasse la même chose avec un magnum de Château-Latour ! C'est un non-respect du produit.

Que proposez-vous à votre clientèle pour lui faire découvrir la palette des champagnes ?
Pendant la période creuse, nous organisons des dégustations, commentées par un vigneron et trois négociants. Tout au long du repas, chacun d'eux vient « expliquer » son champagne. Les clients se retrouvent à un moment donné avec 6 flûtes devant eux ; ils peuvent ainsi apprécier et comprendre la variété des champagnes. Certains sont très légers, très fruités, très vifs, d'autres au contraire sont très « body buildé », ronds d'épaule, bien charpentés ; ils peuvent même parfois déconcerter.

Votre clientèle vient-elle dans la région pour visiter les caves avant tout ?
J'espère qu'elle vient aussi pour nous ! Nous avons, il faut le reconnaître, une magnifique situation. Reims est une ville très touristique, et nous sommes tout près de Paris, Bruxelles, Luxembourg, de Londres maintenant. C'est certainement une grande chance.
Et puis, c'est vrai, il y a la magie du champagne. Personne ou presque personne n'y est insensible. Les clients qui viennent passer une nuit à l'hôtel nous demandent souvent de leur organiser une visite de cave. Ce que nous aimons faire, c'est leur permettre de découvrir une grande maison et un viticulteur.

Les gens connaissent surtout les grandes marques, que cherchent-ils auprès des vignerons ?
Ils sont ravis de découvrir une petite maison, de rencontrer le propriétaire, l'artisan qui leur parlera de son travail. Le vin est à l'image de l'homme qui le fait et ce type de rencontre est toujours enrichissant. Les vignerons font d'énormes progrès et il y a pas mal de jeunes actuellement qui nous épatent ! Vous savez, un restaurant est un lieu d'observation absolument privilégié. Je suis à l'écoute de mes clients et je sens que leur demande évolue.
Récemment, je discutais avec deux sommeliers américains de la chaîne Four Seasons. À la fin du repas, ils m'ont montré le programme des dégustations qu'ils souhaitaient faire. Ils ne venaient rencontrer que des vignerons. Américains ou Français, les clients aujourd'hui ont la même démarche, la même envie : découvrir autre chose et j'ajouterai, ce qu'ils ne trouveront jamais dans leur supermarché.

Le goût du champagne évolue t-il vraiment ?
Oui, et j'ajouterai que plus le champagne évolue vers des typicités différentes, des goûts marqués de terroir, plus je suis heureux, plus j'ai de chance de créer de beaux accords mets-vins. Le plus terrible pour moi, c'est le champagne monochrome, sans vice, ni vertu.
Ce qu'il faut se dire, c'est qu'il y aura toujours deux types de vignerons. Les producteurs de bouteilles et les autres, ceux qui veulent se donner à fond. Ils sont animés par une vraie volonté, celle de faire un produit qui leur ressemble, de rencontrer leurs clients, en un mot d'exister. Vous savez, le compliment est le premier salaire de l'artisan. C'est très important de comprendre cela.
Au xvllle et au xixe siècles, la grande époque de l'artisanat français, l'artisan non seulement gagnait sa vie, mais il était considéré, reconnu. On admirait son travail. Aujourd'hui, les artisans sont privés de ce contact. Les hommes qui font de très belles choses sont ignorés. Je suis persuadé que ce manque de reconnaissance est une des sources du malaise actuel. Le vigneron, lui, s'il a la bonne démarche, peut arriver à cette reconnaissance.

Reparlons du restaurateur Gérard Boyer. Nous sommes vraiment dans une région ou le vin de Champagne règne en maître incontesté. Reste-t-il une place pour les autres grands vins ?
Nous sommes très ouverts aux autres vins. Ce qui est formidable c'est de savoir inclure le champagne aux autres vins. C'est certain, le champagne à l'apéritif, c'est grand, très grand. On peut aller sur les premiers plats, mais si après on sait amener les grands bourgognes blancs, les grands bordeaux, c'est fabuleux !
C'est vrai, les Champenois ont eu tort à un moment donné ; quand ils vous recevaient c'était « champagne ! » du début à la fin du repas. Même avec une côte de bœuf ! Alors que les Bordelais par exemple, depuis très longtemps, vous offrent le champagne à l'apéritif. Saviez-vous qu'au xixe siècle, de grands Champenois n'avaient jamais bu un verre de vin rouge de leur vie ? Mais les temps ont changé, je crois. Aujourd'hui, les jeunes vignerons se rencontrent et échangent. Ils sont beaucoup plus ouverts que ne l'étaient leurs parents ou grands-parents.

 
Américains ou Français, les clients aujourd'hui ont la même démarche, la même envie : découvrir autre chose et j'ajouterai, ce qu'ils ne trouveront jamais dans leur supermarché.

   
Mais je dois vous dire que, pour moi, le summum de l'ineptie c'est d'arroser le vainqueur d'un prix sportif avec un magnum de champagne. Maintenant on s'arrose même de champagne dans les tribunes !


L'HÔTELLERIE n° 2638 La Cave 4 Novembre 1999

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