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La restauration d'hôtel

Objectif rentabilité

Longtemps considérée comme un produit complémentaire indispensable à l'offre hôtelière, la restauration d'hôtel a longtemps été délaissée en matière de gestion. Le manque de rentabilité du poste restauration apparaissait comme une contrepartie à la rentabilité de l'hébergement. Depuis plusieurs années, les hôteliers entendent trouver des solutions pour que ce secteur devienne, lui aussi, un centre de profits.

Par Fleur Tari et Alain Simoneau

Avec la création des premiers hôtels de luxe, la gastronomie a enfin trouvé un terrain favorable à son épanouissement. Une clientèle riche, oisive, voyageait de palace en palace tout au long de l'année, et savait se laisser séduire par le talent grandissant des chefs de l'époque. De là sont nés les plus belles brigades, les plus beaux services, les plus belles fêtes, les plus beaux banquets. La gastronomie n'avait, à l'époque, sa place que dans l'hôtellerie. Si François-André, le fondateur du groupe Barrière, savait au milieu du siècle dernier offrir champagne et caviar à ses clients - beaux joueurs de ses casinos et fidèles clients de ses palaces -, on peut imaginer que c'était sans jamais vouloir prendre en compte le poste restauration comme centre de profits... La démocratisation a amené petit à petit une évolution des modes de consommation et une disparition de cette clientèle, vite remplacée par la clientèle d'affaires. La restauration en dehors des hôtels allait enfin connaître ses lettres de noblesse, des chefs s'installaient et offraient une très belle prestation à leur clientèle. Ils avaient d'ailleurs pour la plupart fait leur apprentissage au sein des grandes brigades des grands hôtels, tant à Paris que sur la Côte d'Azur, la côte basque ou les villes de cure. Installés à leur compte, ils se devaient, s'ils voulaient durer, savoir gérer leur maison et la rentabilité était dès lors impérative. La concurrence aidant, ils surent attirer de plus en plus de clients, et faute d'émulation au sein des brigades des restaurants d'hôtel, leurs produits n'attirèrent plus que les clients qui ne trouvaient pas d'autres endroits pour se restaurer. Autant dire que, petit à petit, certains hôteliers choisirent de fermer leur restaurant, d'autres de le donner en gérance à un restaurateur extérieur en le dissociant de l'hôtel, alors que d'autres persévéraient, et voulaient trouver leur place sur le marché de la restauration.  

Faiblesse des marges
Ouverture sur l'extérieur, changement de nom, communication forte au nom du restaurant, détermination d'un concept original, recrutement de chefs étoilés : la liste n'est pas exhaustive. Nombre d'hôteliers se sont remis en cause, dont certains avec un succès certain. Un succès qui ne peut être réel et total aujourd'hui que s'il s'accompagne d'une rentabilité, ce qui n'a rien d'évident quand on sait que la nature même du service hôtelier alourdit considérablement les coûts : il faut en effet être à même de servir les petits déjeuners dès 6 h 30 du matin, ce qui amène à une organisation humaine coûteuse en frais de personnel. Il faut également, dans certains établissements, assurer une prestation de room service, assurer un service de restauration classique au restaurant de l'hôtel accueillant une clientèle extérieure exigeante, et, éventuellement, assurer la dynamique d'un service de banqueting. Quand on sait les marges très étroites dont on dispose en restauration, on conçoit mieux les difficultés que rencontrent les hôteliers en la matière. Pour préserver la rentabilité de l'exploitation, les hôteliers doivent donc aujourd'hui, plus que jamais avec la RTT, qui alourdit encore leurs charges de personnel, déterminer un objectif de rentabilité draconien à leur chef de cuisine. Aucun dérapage ne peut être toléré, et l'élaboration de la carte, les calculs des coûts matière, le contrôle des approvisionnements, sont autant d'étapes essentielles dans la maîtrise de la marge en restauration. Autant dire que les établissements hôteliers, de part le niveau de la prestation hôtelière qu'ils offrent à leur clientèle, choisissent d'investir dans la restauration gastronomique ; et mettent là encore la barre beaucoup plus haut en matière de gestion. Ils se doivent de fixer dès lors un objectif de rentabilité très précis à leurs équipes en restauration pour maintenir cette offre. Un challenge qui n'a rien d'inaccessible, pour peu que les chefs de cuisine soient de réels gestionnaires, en plus d'être talentueux devant leurs fourneaux. C'est ce qu'ont réussi à faire David Martin, à l'hôtel Le Méridien à Bruxelles, et Dominique Roué, chef au Domaine de Divonne à Divonne-les-Bains.


Dominique Roué vise une étoile pour La Terrasse.

Chef et gestionnaire au Domaine de Divonne
Avec 5 restaurants, un casino (le 2e de France), un hôtel de 133 chambres, un centre de remise en forme, le Domaine de Divonne est tout à la fois le lieu de rencontre des entreprises de la région, un espace privilégié pour les loisirs et une étape gastronomique incontournable. Le chef, Dominique Roué, a été un élément-clé de cette réussite entre talent et gestion pointue.
En 1996, dans cet établissement, l'offre a besoin d'un bon coup de jeune. Le taux d'occupation n'est que de 20 %, l'hôtel a besoin d'une rénovation, les salles de séminaire sont inadaptées, la promotion reste limitée. Alain Mansion, directeur du domaine, entreprend alors une politique basée sur deux axes : satisfaire aux normes d'une clientèle industrielle et touristique haut de gamme, et équilibrer le produit restauration en gardant une excellente qualité. Enfin, commercialiser le tout.
La recette paraît simple. Il aura fallu 5 ans pour y parvenir et un investissement de 26 Me en rénovation, un renforcement de la commercialisation, la référence des Leading Hotels of the World et un bureau de représentation à Londres. Les résultats sont là : en 2001, le taux d'occupation est de 64 %, le chiffre d'affaires atteint les 13,90 Me. Côté restauration, la cuisine menée par Dominique Roué progresse de 30 % par an, le tout avec un résultat positif.
Lorsque le Domaine de Divonne recrute un nouveau chef, il y a 3 ans, il recherche un oiseau rare. Celui-ci devra tout à la fois tenir compte des impératifs économiques, et reconquérir le cœur des clients après le départ de Jean-Marc Delacourt et de toute sa brigade. Dominique Roué accepte cette double mission. "L'objectif était d'assainir les chiffres. Lorsque Alain Mansion m'a proposé d'augmenter la capacité du restaurant des machines à sous en conservant la cuisine, j'ai compris que c'était là une aubaine pour apurer les chiffres. Une forte rentabilité pouvait être dégagée sans multiplier les charges. J'ai donc repensé la cuisine centrale.

En chiffres

Le Domaine de Divonne
Propriétaire
Le groupe Didot Bottin
Investissements
26 Me en 5 ans pour la rénovation
Capacité
133 chambres, 16 salles de séminaire/conférence et 1 espace auditorium
Nbre de restaurants
4
Nbre de couverts
120 0000/an

Seule une bonne marge autorise le gastro...
Au centre, Dominique Roué en est le chef d'orchestre. Chaque second, responsable d'un point restauration, est à portée de voix. Le chef a aussi souhaité renforcer une identité distincte dans chaque restaurant. Aujourd'hui, le but est atteint : les clients reconnaissent que chacun offre un service, des produits et des prix différents. La cuisine centrale sert 120 000 couverts par an, soit une moyenne de 330 couverts par jour contre 246 couverts à son arrivée. Aujourd'hui, 47 % des repas sont servis conjointement dans le restaurant des jeux (18 000 couverts) et dans celui des machines à sous (37 000 couverts). Avant rénovation, ce restaurant n'accueillait que 15 couverts par jour renouvelés trois fois. Aujourd'hui, il compte 45 couverts renouvelés également trois fois. Un habile système d'assiette-snack permet au client de manger sans quitter la machine à sous. La sandwicherie a ainsi explosé avec plus de 1 000 sandwiches par mois. Autre manne, le restaurant Le Leman (50 000 couverts/an) est rempli par les séminaires du lundi au vendredi et par les particuliers le samedi et le dimanche. L'optimisation est totale. Les deux types de clientèle sont acceptés conjointement. Les déjeuners d'affaires côtoient les séminaires sans gêne grâce à une organisation de la salle efficace. Le samedi et le dimanche, place aux particuliers : les restaurants genevois étant fermés le dimanche midi, beaucoup de familles viennent déjeuner. Grâce à ces trois tables, explique Dominique Roué, "j'ai une marge très positive qui me permet d'être plus créatif, et de m'exprimer au restaurant La Terrasse".
Ce restaurant, le chef en parle avec passion. Il y exerce avec talent une cuisine inventive qui lui a valu 1 macaron au Guide Rouge dès la première année. Dominique Roué, Breton d'origine, aime faire découvrir aux clients les saveurs de la mer. "A mon arrivée, 75 % des clients choisissaient des viandes. Aujourd'hui, c'est l'inverse." La carte est à dominante fruits de mer, crustacés et poissons. 55 à 60 % des clients choisissent parmi ces possibilités. Ce revirement dans les goûts n'est pas dû à sa persuasion, mais à son véritable talent à mêler les saveurs terre et mer. Ainsi, le râble de lapin s'allie étonnement avec les bigorneaux, et les joues de veau aux palourdes. Sans concession, le chef équilibre les goûts pour un équilibre des saveurs. Dominique Roué et ses seconds ont toujours à l'esprit un respect de la qualité et des contraintes économiques. Serein, ses objectifs remplis, il vise maintenant pour La Terrasse, restaurant fleuron du domaine, une 2e étoile.  

"Le gastro est une récompense", pour David Martin, chef du Méridien à Bruxelles
A 30 ans à peine, David Martin exprime déjà une expérience d'executive chef confirmée en grande hôtellerie. Pour lui, le restaurant gastronomique dans ce type d'entreprise reste "une récompense". David Martin n'a pas 25 ans quand il est nommé executive chef de l'hôtel Méridien de Bruxelles le 15 janvier 1994. La grande hôtellerie bruxelloise se trouve alors à la veille du réveil du marché, mais à la fin de trois années de crise surcapacitaire, très dure. L'encadrement du groupe Méridien lui-même, qui va connaître les avatars que l'on sait, fait face dans des conditions morales moins qu'évidentes. Au moment où les résultats financiers semblent décider de tout, chacun dans le petit monde des classes affaires bruxellois peut se poser des questions sur l'avenir de l'Epicerie, le restaurant aux couleurs du sud de la France que la chaîne a courageusement ouvert sur un marché hyperconcurrentiel. 7 ans plus tard, contre vents et marées, les doutes sont balayés. L'Epicerie du Méridien a conquis sa place comme restaurant d'hôtel, et comme restaurant de ville dans la capitale européenne. Et David Martin se rapproche des meilleurs executive chefs de la place, comme les Français Jacky Chartier, successeur de Michel Theurel à la Maison du Bœuf du Hilton, Dominique Michou, chef de l'Alban Chambon de la métropole, ou le Belge Yves Mattagne et ses 2 macarons du Sea Grill au Radisson SAS. Bruxelles est l'une des rares villes du monde où les restaurants d'hôtel soient réellement courus et intégrés à la vie métropolitaine. La vie n'est pas pour autant facile. "Un restaurant gastronomique dans un hôtel, cela se mérite", lâche-t-il.  


"Il faut chercher ses repères", commente David Martin.

Adhérer à la philosophie de l'hôtel
Pour la gagner et maintenir cette récompense (c'est-à-dire, pour éviter une réaction de sanction financière du management de chaîne), il faut "être bon gestionnaire", et séduire le public en harmonie avec la stratégie et le positionnement de l'hôtel "pour montrer à la direction qu'elle peut et doit pérenniser l'outil", commente David Martin. Et à l'inverse, pour y rester 8 ans et plus, il faut "adhérer aux objectifs de direction et à la philosophie de l'hôtel". L'outil s'exprime aussi bien dans le banquet que dans le repas intime gastronomique, ou l'assiette légère du bistrot de l'hôtel. Cette polyvalence est réelle, mais dans l'organisation - 20 personnes en cuisine et 13 en salle -, les fonctions sont nettement séparées. "Un cheeseburger à 15 e au bistrot mérite considération. Le cuisinier du restaurant gastronomique ne parviendra pas à se concentrer sur les produits snack", commente David Martin. Adhérer à un projet international ne veut pas dire laisser disparaître ses origines. Ce Gascon a amené une cuisine nettement sudiste à Bruxelles. "Il faut chercher ses repères. Avant d'être passé chez Alain Passard, qui, lui-même, était passé par la Belgique, je ne savais rien des crevettes grises. Mais de toutes manières, je ne changerai pas de style. Mon dada, c'est trouver le bon produit et le traiter simplement." Et d'ajouter : "Plus on vieillit, plus on cherche à faire simple." David Martin a entraîné avec lui 5 jeunes français à Bruxelles. Ils y sont restés. Il recherche néanmoins en priorité des talents locaux pour la stabilité et cherche à les garder. En leur apportant une progression professionnelle, mais aussi, en accord avec le management de l'hôtel, les loisirs et le respect auxquels les jeunes aspirent. n zzz22v zzz36v

Un parcours très gastro... et pourtant gestionnaire pour David Martin

w Du 8 août 1988 au 5 mai 1990
Chef de partie au Puits Saint-Jacques à Pujaudran (Gers).
w Du 7 juillet 1990 au 5 janvier 1992
Chef de partie au Hyde Park, le palace privé de SM la reine d'Angleterre.
w Du 7 janvier 1992 au 31 juillet 1993
Second chez Alain Passard à l'Arpège à Paris.
w Du 7 août 1993 au 10 janvier 1994
Second au Jules Verne à la tour Eiffel.
w Le 15 janvier 1994
Executive chef à l'ouverture du Méridien de Bruxelles.

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