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L'ÉVÉNEMENT

Entretien exclusif avec Léon Bertrand, secrétaire d'Etat au tourisme

"L'OBJECTIF DU GOUVERNEMENT EST D'ARRIVER À LA CONCLUSION D'UN ACCORD DE BRANCHE SUR LA DURÉE DU TRAVAIL DANS LES CHR AVANT 2004"

Après plusieurs mois passés à étudier les différents dossiers chauds du monde du tourisme, Léon Bertrand répond aux questions de L'Hôtellerie.

Propos recueillis par P. Le Naour et C. Cosson

© Atelier Proust
LeonBertrand.JPG (4429 octets)L'Hôtellerie :
Dans un arrêt du 26 février 2003, le Conseil d'Etat a annulé l'extension de l'accord RTT dans les CHR. La profession se retrouve aujourd'hui dans le flou puisque cet accord organisait les relations entre employeurs et employés en matière d'aménagement du temps de travail, comme l'annualisation. Les entreprises ne peuvent donc plus bénéficier de ces aménagements spécifiques au secteur. Que pensez-vous de ce dossier ?
Léon Bertrand :
Le principal défaut des lois Aubry est incontestablement l'absence de concertation avec les professionnels qui a présidé à leur élaboration. Raison pour laquelle d'ailleurs ces lois ont abouti dans le secteur de l'hôtellerie-restauration à la mise en place d'un dispositif inadapté aux particularités du travail dans les entreprises. L'accord du 15 juin 2001, dont l'extension vient d'être annulée par le Conseil d'Etat, constituait une tentative insuffisante d'adaptation. Le gouvernement, dont l'une des premières actions a été l'assouplissement des 35 heures, est parfaitement conscient des conséquences immédiates de cette annulation, qui, rappelons-le, n'est pas du fait d'une décision du gouvernement, mais la suite d'une démarche d'un syndicat professionnel. Le ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, Monsieur François Fillon, s'entretient actuellement avec les représentants des professionnels afin de déterminer les mesures nécessaires pour en pallier les effets, et permettre la reprise des négociations entre les partenaires sociaux. L'objectif est, je le rappelle, la conclusion d'un accord de branche sur la durée du temps de travail dans les CHR avant 2004.

L'Hôtellerie :
L'application de la réforme du calcul des avantages en nature nourriture a été suspendue provisoirement pour le secteur des CHR. Jusqu'à quand ?
Léon Bertrand :
La question de la réforme des avantages en nature est aujourd'hui en cours d'examen au ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité à la direction de la Sécurité sociale. Elle devrait être réglée dès le mois prochain.

L'Hôtellerie :
Les prévisions de croissance sont revues à la baisse. Dans ce contexte, doit-on en déduire que, si l'Europe inscrit la restauration sur la liste des produits bénéficiant du taux réduit, la France n'appliquera le taux réduit à la restauration qu'au moment de la reprise de la croissance ?
Léon Bertrand :
S'agissant de la TVA, la position de l'Etat reste aujourd'hui toujours la même : tenir l'engagement du candidat Jacques Chirac. Autrement dit, obtenir de la Commission européenne une réduction de la TVA au 1er janvier 2004.
A ce sujet d'ailleurs, je me suis rendu dimanche dernier auprès des parlementaires allemands chargés du tourisme afin de leur exposer notre position. Il nous faut en effet obtenir l'accord du plus grand nombre de partenaires pour arriver à nos fins, puisque seul un vote à l'unanimité des voix permettra d'obtenir l'autorisation de Bruxelles de baisser le taux. C'est un combat très âpre, rien n'est gagné, mais nous avons fait beaucoup de progrès et je demeure optimiste.

L'Hôtellerie :
Dans un discours tenu devant les restaurateurs du Languedoc, Jacques Blanc, président de la Région, a affirmé qu'il tenait de vous, que l'Europe pourrait accorder le taux réduit à la restauration avant la fin juin, et que vous vous étiez engagé à permettre aux restaurateurs d'en bénéficier dès le 1er juillet prochain. Avez-vous fait à Jacques Blanc de telles déclarations ?
Léon Bertrand :
Pas le moins du monde !

L'Hôtellerie :
Vos services planchent depuis un certain temps maintenant sur le dossier de la révision des normes hôtelières. Où en est-on ?
Léon Bertrand :
Les dernières normes de classement des hôtels ont été fixées en 1986. Depuis cette époque, les technologies ont évolué et les attentes, notamment en matière de confort de la clientèle hôtelière, se sont profondément modifiées. Il convient donc aujourd'hui d'adapter les normes de classement aux nouvelles données et à la demande des clients.
Cette réforme, réalisée en complète concertation avec les professionnels, vise d'une part à simplifier la procédure de classement en l'adaptant à la décentralisation, et d'autre part, à améliorer le niveau de qualité de l'offre hôtelière classée en se situant dans un contexte international. A titre d'exemple, il a été ainsi décidé de créer une catégorie 5 étoiles en supprimant la catégorie 4 étoiles luxe qui n'a que très peu de signification pour les voyageurs étrangers.
Il s'agit véritablement de faire en sorte que notre hôtellerie soit en mesure d'être qualitativement concurrentielle face à celle des autres pays touristiques. A défaut d'adaptation, notre hôtellerie risquerait de péricliter, et pour certains hôtels, de disparaître au profit d'une hôtellerie normalisée.
C'est donc un véritable défi que les hôteliers doivent relever. D'autant plus que cette réforme devrait permettre, notamment aux établissements indépendants, de mieux commercialiser leur offre. La frilosité dans un tel débat n'est pas de mise. L'enjeu est beaucoup trop important !
Je pense que ce dossier devrait être finalisé cette année.

L'Hôtellerie :
Le développement de l'hôtellerie en France a été assaini grâce à la loi Raffarin. Aujourd'hui pourtant, les hôteliers se retrouvent de plus en plus en concurrence avec les opérateurs de résidences de tourisme qui ne sont pas soumis aux mêmes obligations, notamment en matière de développement... Une modification des règles à l'image de ce qui existe pour l'hôtellerie serait-elle nécessaire pour les résidences de tourisme ?  
Léon Bertrand :
La loi du 5 juillet 1996, dite loi Raffarin, a permis de mieux contrôler la démographie hôtelière, notamment après une période de crise qui avait fait apparaître une inadaptation entre la capacité de l'offre et la demande. Le problème du champ d'application de cette loi et son extension aux résidences de tourisme ont été évoqués lors de débats parlementaires. Le Parlement s'était clairement prononcé contre une telle extension. Faut-il revenir dessus ? La question est posée et je sais que, dans certains départements, il s'agit d'une demande exprimée par les hôteliers.
Cependant, nous sommes en présence de deux produits touristiques distincts qui s'adressent à des clientèles différentes. La résidence de tourisme est d'abord un produit immobilier plus qu'un produit financier qui permet, à des Français aux revenus moyens, d'acquérir un bien immobilier qui peut devenir, au terme du contrat, un logement. C'est le moyen pour ces Français d'acquérir une résidence secondaire qu'ils ne peuvent acquérir que grâce à sa commercialisation par la résidence de tourisme. Ce n'est pas le cas des hôtels.
Par ailleurs, la clientèle des résidences de tourisme est essentiellement composée de familles qui souhaitent conserver une certaine autonomie, en particulier concernant la prise des repas. Quant aux avantages fiscaux, ils permettent de soutenir l'activité touristique dans les zones rurales, et bénéficient à l'ensemble de l'activité économique des zones d'implantation de ces établissements et notamment à la restauration locale qui souvent est associée à un hôtel. En outre, l'hôtellerie connaît depuis plusieurs années une croissance de ses taux d'occupation, ce qui démontre que les deux produits peuvent coexister. Enfin, la capacité des résidences de tourisme représente moins de 40 % de la capacité de la seule hôtellerie classée. La concurrence directe entre les deux produits est donc limitée.
Cependant, afin de clarifier les conditions de concurrence entre les résidences de tourisme et les hôtels, la procédure de classement et les critères de classement seront prochainement modifiés par décret.

© Atelier Proust
LeonBertrand2.JPG (3904 octets)L'Hôtellerie : L'hôtellerie-restauration saisonnière rencontre d'énormes difficultés à recruter du personnel qu'il faut loger. Les prix de l'immobilier dans les stations touristiques flambent. L'avenir de ce type d'entreprises est d'autant plus incertain. Des pistes avaient été évoquées ces dernières années. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Léon Bertrand :
La question du logement des saisonniers est une de mes préoccupations. Une chargée de mission auprès de l'Inspection générale du tourisme suit tout particulièrement ce dossier. Son action s'appuie sur un groupe comprenant entre autres les bailleurs publics et maintenant les bailleurs privés via la FNAIM et l'UNPI. La participation de ces organisations permettra d'avancer dans la recherche de mesures incitatives ainsi que dans les adaptations de nature à lever les obstacles réglementaires à la mobilisation du parc privé pour le logement des saisonniers. Par ailleurs, des initiatives locales sont prises tel l'accord interprofessionnel signé en Savoie, dont j'entends favoriser l'extension à d'autres départements touristiques.

L'Hôtellerie :
Hôteliers et restaurateurs ne cessent de se plaindre des difficultés de recrutement. Comment pensez-vous pouvoir les aider à attirer les jeunes dans l'avenir ?  
Léon Bertrand :
La désaffection des jeunes pour ces métiers touche également d'autres secteurs économiques caractérisés par une forte densité de main-d'œuvre. De nombreux jeunes s'engagent toutefois encore dans les formations aux métiers de l'hôtellerie-restauration, mais n'y restent pas ! Ils préfèrent rejoindre des entreprises où les contraintes de travail sont moins pénibles à salaire égal.
Fort de ce constat, je crois qu'une partie de la réponse appartient aux professionnels qui sont conscients de l'effort à fournir en matière de salaires pour fidéliser leur personnel. J'estime aussi qu'ils doivent comprendre l'absolue nécessité de proposer des perspectives de carrière. Mais, un autre problème réside dans l'inadaptation des formations et de leur contenu qui n'insiste pas assez sur la réalité du travail. C'est pourquoi à ma demande, le Premier ministre a chargé une parlementaire, Madame Arlette Franco, députée des Pyrénées-Orientales, de dresser un état des lieux et de faire des propositions. Elle auditionne actuellement les entreprises, organismes de formation, anciens élèves, et rendra son rapport le 15 mai prochain. Je serai alors en mesure de vous dévoiler mon plan d'action en la matière.

L'Hôtellerie :
Avec les attentats du 11 septembre 2001, les Américains sont venus beaucoup moins nombreux en France en 2002. A l'évidence, la situation ne va pas s'améliorer en 2003. Quel est votre sentiment vis-à-vis de ce marché ? 
Léon Bertrand :
Sur les 11 derniers mois de 2002, 9,5 millions d'Américains se sont rendus en Europe contre 11,2 millions durant la même période en 2001 (- 14 %). En ce qui concerne la fréquentation de la France, le nombre de séjours d'Américains aurait accusé une baisse de 15 % (chiffres provisoires, direction du tourisme), soit 2,9 millions de touristes américains en 2002. En ce début d'année 2003, les résultats économiques des Etats-Unis et les menaces de crise internationale pèsent, bien entendu, lourdement sur le trafic touristique, en particulier vers l'Europe. D'autant que le gouvernement américain a publié, le 6 février, un avis de prudence pour les touristes américains à l'étranger. Les divergences d'opinion entre la France et les Etats-Unis sur le dossier irakien occupent, en outre, une place majeure dans les articles de la presse américaine. Malgré certains titres, qui se montrent très critiques à l'égard de la France, la tenue du trafic aérien vers l'Hexagone est plutôt bonne : Air France indique ainsi un taux de remplissage de 73,4 % avec une offre de sièges en hausse de 17 % en janvier 2003. Pour l'instant, le marché du tourisme et des voyages semble en fait modérément perturbé : le trafic aérien des compagnies américaines a progressé de 5,4 % en janvier par rapport à janvier 2002 tant sur les vols domestiques qu'internationaux. Pour mars, les engagements sont supérieurs à 2002, et les TO vers la France, d'une manière générale, indiquent une augmentation du nombre des demandes depuis le début de l'année.
En ce qui concerne Maison de la France, le volume total de contacts a plus que doublé en janvier 2003 par rapport à décembre 2002, et a augmenté de 10,4 % par rapport à janvier 2002.
Selon les estimations de l'US Department of Commerce, parmi les 3 destinations touristiques internationales les plus visitées par les Américains (Mexique, Canada et Europe), c'est l'Europe qui devrait connaître la progression la plus importante en 2003, avec 7 % de croissance. Parmi les principales destinations européennes, le trafic vers la France en provenance des Etats-Unis pourrait connaître une croissance de 4 % par rapport à 2002 (source : Lettre de veille marché US).

L'Hôtellerie :
Pouvez-vous nous exposer clairement votre plan de relance du tourisme dans les départements d'outre-mer ?  
Léon Bertrand :
La situation du tourisme aux Antilles françaises est une préoccupation du gouvernement. Ainsi, afin d'établir un bilan des besoins pour relancer le tourisme dans les départements d'outre-mer, je me suis rendu à plusieurs reprises dans les différents départements concernés. Ces déplacements ont été l'occasion de dresser un état des lieux avec tous les partenaires intéressés, et notamment les professionnels du tourisme.
Le gouvernement entend mettre en œuvre un dispositif permettant l'amélioration de la qualité de l'offre, en particulier au niveau de l'hébergement. En collaboration avec le ministre de l'Outre-mer, un plan d'action général pour la relance du tourisme outre-mer a été élaboré dans ce sens. Ce plan d'urgence est destiné à soutenir les initiatives locales privées et publiques tendant à favoriser le maintien et le développement d'une activité touristique Outre-mer.
Dans ce cadre, l'Etat se propose d'apporter une contribution déterminante au sauvetage ou à la pérennité de certaines infrastructures touristiques :
- en aidant les collectivités territoriales à définir leur positionnement et leur stratégie touristique,
- en s'engageant, avec ces collectivités et au travers du GIE Maison de la France, à mieux promouvoir ces destinations,
- en proposant un ensemble de mesures destinées à améliorer l'environnement social du tourisme et la formation professionnelle,
- en mobilisant ses services afin que leur action prenne davantage en compte la dimension touristique, et améliore ainsi l'environnement dans lequel les touristes seront accueillis,
- en soutenant la mise en place d'un réseau de statistiques plus performant sur le tourisme.
C'est ainsi que le secteur du tourisme outre-mer devrait d'une part bénéficier d'un taux de défiscalisation allant jusqu'à 70 %. D'autre part, le gouvernement a l'intention d'accorder la 'détunnelisation' au secteur hôtelier. Cette mesure a pour objectif de permettre aux non-professionnels d'imputer, sur leur revenu global, les déficits d'exploitation enregistrés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Ce dispositif fiscal constitue un levier déterminant pour relancer le tourisme, secteur-clé de l'économie en outre-mer.
Par ailleurs, j'ai procédé à l'installation d'un club de promotion de l'outre-mer au sein de Maison de la France, qui sera chargé de définir et de mettre en œuvre une stratégie de communication et de promotion de l'outre-mer. Ce club sera doté d'un budget de 2,5 Me en 2003. A la demande du gouvernement, l'Agence française d'ingénierie touristique interviendra également, pour un montant de 1,2 Me sur 3 ans, afin d'aider les collectivités d'outre-mer à définir leur stratégie de diversification et d'adaptation de l'offre touristique. Il ne s'agit plus en effet de vendre uniquement la plage et le sable blanc...
En outre, l'Agence nationale pour le chèque vacances interviendra à hauteur de 1 Me pour soutenir la petite hôtellerie ainsi que la formation aux métiers de l'hôtellerie et de la restauration.
Enfin, le gouvernement entend améliorer la desserte aérienne de l'outre-mer, notamment en soutenant le transporteur qui se spécialiserait dans ces destinations. A noter que la compagnie Air France devrait, dès le mois d'avril, rétablir des vols au départ de Roissy de façon à ce que les Antilles bénéficient de la clientèle européenne. zzz20a

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L'Hôtellerie Restauration n° 2812 Hebdo 13 Mars 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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