L'extension de l'accord RTT dans les CHR était illégale : c'est ce que vient de juger le Conseil d'Etat dans un arrêt du 26 février 2003, remettant ainsi en cause l'application de l'accord RTT dans la profession. Explications.
On se souvient que
l'élaboration d'un avenant à la convention collective nationale des CHR du 30 avril
1997, ayant pour objet d'aménager la RTT dans la profession, avait été longue et
laborieuse en raison de vives oppositions entre les parties négociatrices. Un accord
collectif de branche était toutefois conclu le 15 juin 2001 par deux syndicats salariés,
la CFDT et la CGT, et deux organisations patronales, le SFH et le SNRLH.
Mais cet avenant demeurait décrié par les syndicats non-signataires, parmi lesquels
l'Umih et FO. Non-signataires de cet accord pour des raisons diamétralement opposées,
ces 2 syndicats, l'un patronal, l'autre salarié, s'étaient même promis d'agir en
justice si ce texte était rendu obligatoire à tous les CHR par arrêté d'extension.
Celui-ci, qu'ils redoutaient, ayant été adopté le 28 décembre 2001 par Elizabeth
Guigou, alors ministre du Travail, les 2 syndicats ont chacun de leur côté saisi le
Conseil d'Etat en vue d'obtenir l'annulation de cet arrêté. C'est sur ces demandes que
le Conseil d'Etat s'est prononcé dans sa décision du 26 février 2003.
Annulation de l'arrêté d'extension
Celle-ci annule l'arrêté d'extension du 28 décembre 2001 qui rendait obligatoire à
tous les CHR l'application de l'accord RTT du 15 juin 2001. Cet accord RTT aménageait la
réduction du temps de travail dans les CHR, mais dérogeait à la loi Aubry car il tenait
compte de certaines spécificités d'organisation du travail dans la profession. En raison
de son caractère dérogatoire par rapport à la loi, cet accord RTT ne pouvait entrer en
vigueur qu'à la condition d'être étendu par voie d'arrêté ministériel. C'est ce qu'a
fait le précédent ministre du Travail avec l'arrêté d'extension du 28 décembre 2001.
Mais certaines clauses de l'accord RTT étaient incomplètes au regard du droit, et elles
n'étaient donc pas applicables sans autre précision. Dans une telle hypothèse, le Code
du travail donne au ministre du Travail le choix d'exclure les clauses litigieuses de
l'extension, ou de les étendre "sous réserve de l'application des textes
législatifs et réglementaires" (art. L.133-8 du Code du travail).
L'Etat sanctionné
Dans son arrêté d'extension, le ministère du Travail a voulu utiliser la seconde
alternative. Mais il a subordonné l'extension de plusieurs clauses, non pas à
l'application d'un article du Code du travail, mais à la condition qu'elles fassent
l'objet de précisions ultérieures par voie d'accord collectif étendu. Parmi les clauses
concernées, on peut notamment compter celles relatives au temps de travail des cadres, et
certaines clauses relatives au temps partiel. Un accord collectif avait d'ailleurs été
signé le 15 avril 2002 pour compléter ces clauses, mais il n'a jamais été étendu. En
annulant l'arrêté d'extension, le Conseil d'Etat sanctionne la méthode utilisée par le
ministre du Travail.
Le commissaire du gouvernement suivi par le Conseil d'Etat
A cet égard, la haute juridiction a suivi les conclusions du commissaire du gouvernement,
Pascale Fombeur, qui avait estimé qu'en procédant de la sorte, le ministre avait commis
une erreur de droit. En effet, dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement
précisait notamment qu'à "la date à laquelle il a été pris, l'arrêté nous
paraît bien étendre un texte illégal, quelles que soient les réserves faites sur son
entrée en vigueur. Or, quand il prend un arrêté d'extension, le ministre chargé du
Travail doit vérifier que toutes les clauses auxquelles il donne force obligatoire
au-delà de la volonté des parties signataires sont bien valables". Elle
soulignait également que les clauses litigieuses étaient indivisibles de l'accord RTT
pris dans son ensemble, et que, par conséquent, le ministre n'avait pas d'autre choix que
de refuser purement et simplement l'extension de l'avenant du 15 juin 2001.
Les durées du travail spécifiques aux CHR sont maintenues
La décision du Conseil d'Etat n'a aucune incidence sur les durées du travail applicables
aux CHR en 2003 et 2004. En effet, celles-ci sont fixées par un décret du 24 décembre
2002 qui est toujours en vigueur. Celui-ci maintient en 2003 les durées du travail à 41,
39 ou 37 heures suivant l'effectif de l'entreprise, et pour 2004, la durée maximum du
travail sera de 39 heures.
L'accord RTT dans les CHR réduit à néant
Par contre, la décision du Conseil d'Etat a pour effet de rendre inapplicable l'essentiel
de l'accord RTT du 15 juin 2001. En effet, la majorité des dispositions de cet accord ne
pouvaient s'appliquer qu'à la condition de faire l'objet d'un arrêté d'extension.
L'annulation de cette extension a donc pour conséquence indirecte immédiate de rendre
ces dispositions inapplicables... C'est par exemple le cas de l'aménagement des
conditions de travail sur une base annuelle ou saisonnière, ou encore d'une organisation
du travail avec attribution de jours RTT... Autant dire que l'accord RTT du 15 juin 2001
est réduit à néant. Face à cette situation, Synhorcat a demandé au ministère du
Travail d'apporter des précisions quant aux conséquences que cela va engendrer.
Pour l'heure, les CHR doivent continuer à appliquer les mêmes durées du travail, sans
pouvoir utiliser les possibilités spécifiques d'aménagement du temps de travail prévu
par l'accord du 15 juin 2001... Ils vont devoir attendre que les partenaires sociaux
négocient un nouvel accord collectif de branche et que celui-ci soit étendu... Pas
simple du tout pour les entreprises... zzz60t
P. Carbillet et T. Beausseron
Pour FO : "Les salariés veulent des avancées
sociales"
FO, qui est une des deux organisations à l'origine du recours devant le Conseil
d'Etat, se déclare très satisfait de la décision prise par cette haute juridiction
administrative. "Nous ne sommes pas contre un accord à 35 heures ni contre une
réduction du temps de travail. Nous étions contre le contenu de cet accord qui
comportait la suppression de certains avantages sociaux, et entraînait à terme une
diminution du Smic hôtelier en supprimant les avantages en nature du Smic. C'est pour ces
raisons que nous avons attaqué cet accord devant le Conseil d'Etat. Accord, rappelons-le,
qui a été étendu par le précédent gouvernement alors qu'il a été uniquement signé
par 2 syndicats salariés sur 5, et que les 3 autres s'y sont expressément opposés.
A la suite de son extension, nous avons effectué deux procédures contentieuses. L'une
devant le Conseil d'Etat pour demander l'annulation de l'arrêté d'extension qui
conduisait à rendre applicable cet accord à tous les salariés de la profession. Mais
parallèlement, nous avons aussi introduit (avec la CFTC et la CGC) un autre recours
devant le tribunal de grande instance de Paris pour demander l'annulation de l'accord
proprement dit ainsi que toutes les dispositions qui sont contraires à la loi. En effet,
le dernier décret de décembre 2002 qui fixe les durées du travail dans les CHR pour
2003 et 2004 sur la base de 39 heures a été pris en fonction du précédent décret de
2001 qui, lui-même, reposait sur l'accord du 15 juin 2001. Si les employeurs ne prennent
pas le taureau par les cornes et ne font pas réellement des avancées sociales, si rien
de nouveau n'est conclu, les entreprises des CHR vont retourner au droit commun. Mais ce
n'est pas non plus ce que l'on souhaite, car si c'est le cas, beaucoup de salariés iront
devant les prud'hommes et seront en droit de réclamer le paiement d'heures
supplémentaires sur la base de 35 heures", déclare le représentant de FO.
Quant à l'avocat de FO qui a introduit le recours devant le tribunal de grande instance
de Paris, il précise que la date n'est pas encore fixée pour que cette affaire soit
plaidée, mais il a bon espoir de voir l'annulation de l'accord proprement dit. Pour lui,
l'annulation de l'extension de cet accord a pour première conséquence de voir la loi sur
les 35 heures recevoir application pour les CHR...
Pour l'Umih : "Il faut tout remettre à plat"
André Daguin, président de l'Umih, se déclare satisfait de cette décision qui
"permet d'entamer de nouvelles négociations et fait table rase d'un accord qui
avait été signé par des syndicats minoritaires tant du côté patronal que des
salariés. Je préfère un vide juridique plutôt qu'un trop-plein juridique défavorable.
Un vide juridique qui va d'ailleurs ne pas durer trop longtemps, car on est déjà au
travail et on prépare nos propositions pour la prochaine mixte paritaire. Nous voulons
quitter notre image de front du refus pour devenir un front uni de proposition. En raison
du décret pris en Conseil d'Etat en décembre 2002, les durées du travail sont établies
pour 2003 et 2004, mais on est obligé de reprendre les négociations depuis le début,
car avec l'annulation de cet arrêté d'extension, c'est tout l'édifice sur la RTT qui
s'écroule. On veut donc tout remettre à plat pour entamer les négociations globales
relatives à la prévoyance, aux salaires, à l'aménagement du temps de travail. Il faut
continuer le dialogue".
La CPIH est confiante
Jean-François Girault, président de la CPIH, se déclare satisfait sur le fond de cette
décision "qui va permettre de remettre les choses à plat avec les partenaires
sociaux, même si certaines dispositions seront remises en cause suite à l'annulation de
cet arrêté". Aujourd'hui, il se déclare confiant quant à l'issue des
négociations avec les partenaires sociaux, et parle du dossier de la prévoyance qui
avance bien et devrait porter ses fruits d'ici la fin de l'année. S'il trouve le climat
des négociations plus serein, il n'en conclut pas moins "qu'il faut que l'on
fasse des efforts".
La CFTC : "Nous ne négocierons pas un accord
dérogatoire au droit commun"
Tout en se félicitant de la décision du Conseil d'Etat, la CFTC reconnaît que
cela va encore mettre du désordre dans un secteur d'activité qui n'en a pas vraiment
besoin. Le syndicat national CFTC des salariés de l'hôtellerie-restauration a toujours
été prêt à négocier des modalités d'application de la loi Aubry II pour le secteur
des CHR, mais a toujours déclaré qu'il ne négocierait jamais un accord dérogatoire au
droit commun. "Nous sommes d'accord pour négocier, mais pas à n'importe quel
prix. Une des premières conséquences de cette décision est d'annuler cet avenant
dérogatoire. Ce qui veut dire que depuis le 1er janvier 2002, la branche professionnelle
des CHR est aux 35 heures. On ne réclame pas une application pure et simple de la loi
Aubry, mais on veut appliquer cette loi en tenant compte des contraintes horaires
spécifiques à cette profession, et en adaptant ces horaires aux besoins. Il est clair
que l'on refusera de négocier un autre avenant dérogatoire. Les salariés des CHR ne
sont pas des citoyens de seconde zone. On ne peut pas mettre ses salariés au Smic avec
toutes les contraintes qu'ils ont, comme le travail de nuit et les week-ends. Les
salariés sont pénalisés par cette situation, mais les employeurs aussi car ils ne
trouvent plus de personnel."
La CFTC déplore aussi la mesure prise par le ministre du Travail, François Fillon, à
propos de l'arrêté du 10 décembre 2002 qui réformait le mode d'évaluation des
avantages en nature et prévoyait notamment la réévaluation du repas à 4 E contre 2,95
E. "Un arrêté peut être suspendu ou annulé par un autre arrêté, et non par
la simple déclaration d'un ministre."
Satisfaction à la Fagiht
Jacques Jond, président de la Fagiht, est satisfait : "Le combat que nous menons
avec le front commun depuis 2 ans a abouti. Les mesures inapplicables ne sont pas
appliquées. François Fillon a bien voulu nous rejoindre dans notre raisonnement, et a
pris un décret qui a fixé les durées du travail dans ce secteur. Mais la décision du
Conseil d'Etat, c'est le bouquet final."
Le SFH et le SNRLH, signataires de l'accord, sont déçus
Jacques Mathivat, président de Synhorcat : "Cette décision est une véritable
catastrophe pour l'ensemble des entreprises de notre secteur d'activité, et notamment
pour les plus petites dont l'organisation du temps de travail reposait sur ce seul texte.
Pourtant, l'accord du 15 juin 2001 signé par le SFH et le SNRLH pour le collège
employeurs, par la CFDT et la CGT pour le collège salariés, avait apporté non seulement
toutes les possibilités de souplesse d'aménagement du temps de travail, mais avait aussi
sauvé les entreprises des 35 heures par une application progressive de la réduction du
temps de travail avec chaque étape des allégements de charges en permettant la
faisabilité économique.
L'annulation de l'accord est un coup porté aux entreprises qui vont être amenées à
revoir toute leur organisation du travail avec le risque de devoir rembourser les
allégements de charges obtenus si nous ne trouvons pas un modus vivendi avec le
ministère des Affaires sociales. C'est un coup également porté au secteur tout entier
qui se voit retirer l'un des moyens d'aller vers la modernité."
Quant à Jean-Luc Binet, vice-président de Synhorcat et président du SFH, autre syndicat
patronal signataire de l'accord : "Cette décision est désastreuse, car elle
remet en cause un accord qui était le premier signé depuis longtemps. On souhaitait
améliorer l'image de marque de cette profession. On va rester sur les durées de travail
à 41 et 39 heures et essayer de parvenir à un autre accord d'ici la fin de l'année."
La CGT promet de grandes actions syndicales
Pour la CGT, "les 35 heures étaient mortes dans la profession des CHR et
maintenant elles sont enterrées. Cela va encore accentuer les inégalités par rapport
aux autres salariés. Les salariés des CHR ont toujours été considérés à part, et
d'un autre côté, on se plaint de travail au noir. La CGT a décidé maintenant
d'organiser de grandes actions sur les salaires au mois d'avril, qui se traduiront par des
débrayages et par des grèves. Nous revendiquons 1 400 E de salaire minimum et une
augmentation de 150 E pour tous. Il ne doit plus y avoir de salaires inférieurs au
Smic et prévoir un 13e mois conventionnel. Au lieu de rapprocher les salariés du droit
commun, on s'en éloigne encore dans un contexte de pénurie de main-d'uvre."
Pour la CGC : "L'Umih doit faire des propositions
plus solides que d'habitude"
L'organisation qui représente les cadres se déclare très contente de l'annulation de
l'arrêté d'extension de cet accord où les cadres avaient été oubliés. "On
espère, dans la situation actuelle plus favorable avec la baisse de la TVA, que les
négociations seront plus importantes sur le fond, et notamment nous permettra d'obtenir
le reversement d'1/3 de cette mesure pour les salariés conformément à ce qui nous a
été promis.
Il faut reconnaître que l'application de l'accord RTT dans ces conditions avait fini
par occulter tous les autres problèmes. L'Umih doit maintenant nous faire des
propositions plus solides que d'habitude. Car si on prend en exemple le travail de nuit,
on peut se poser des questions sur le sérieux de ces négociations. L'Umih présente un
projet sur ce sujet, où, en préambule, elle demande d'exclure les veilleurs de nuit,
alors que l'accord que nous avons conclu avec le groupe Accor est beaucoup plus avantageux
pour les salariés avec la récupération de jours, sans parler des aspects pécuniaires
qui ne sont pas négligeables que celui que propose l'Umih alors que chacun sait que Accor
représente 35 % de l'Umih."
La CFDT veut reproposer l'extension
Quant à la CFDT, elle rappelle que l'accord existe toujours et que seul l'arrêté
d'extension a été annulé. Mais cette annulation n'est pas sans conséquence pour les
entreprises. "Si le temps de travail est réglementé pour les années 2003 et
2004 par le décret de décembre 2002, que va-t-il se passer pour les entreprises qui ont
bénéficié d'un accès direct pour aménager le temps de travail et qui sont maintenant
en infraction avec la loi ? De même, le plancher des heures pour temps partiel que
va-t-il devenir, de même que la grille des salaires, la durée des coupures ? Que va
faire le gouvernement en attendant ? Pour notre part, on va prendre les deux avenants que
l'on va regrouper dans un seul, pour le proposer à nouveau à l'extension."
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L'Hôtellerie Restauration n° 2811 Hebdo 6 Mars 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE