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ACTUALITÉ JURIDIQUE

Du côté des prud'hommes

PEUT-ON LICENCIER EN COURS DE MALADIE ?

Il est interdit de licencier un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap. La maladie en elle-même ne peut donc justifier un licenciement. Mais les conséquences des absences pour maladie qui perturbent le fonctionnement de l'entreprise peuvent justifier le licenciement. Une cause de licenciement à utiliser avec grande précaution.

Par F. Trouet (Synhorcat)

Selon une jurisprudence constante, la maladie ne rompt pas le contrat de travail, mais en suspend seulement l'exécution. A l'issue de son arrêt de travail, le salarié doit reprendre son poste. Plus protectrice encore, la loi pose le principe qu'un salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé.
Ces principes ont-ils pour effet d'interdire à l'employeur tout licenciement d'un salarié malade, même en cas d'absence prolongée, de fortes perturbations dans l'entreprise ? Le salarié bénéficie-t-il d'une protection contre le licenciement ? Autant de questions auxquelles le conseil de prud'hommes de Paris a dû répondre.
Compte rendu de l'affaire ci-dessous.

1. Les arguments de la salariée
Afin de contester le bien-fondé du licenciement dont elle a ainsi fait l'objet, la salariée assistée de son avocat invoque 2 arguments :
- En premier lieu, la salariée invoque les dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail qui fait interdiction de licencier un salarié en raison de son état de santé. Cet article indique en effet :
"Aucune personne ne peut être (...) sanctionnée ou licenciée en raison de (...) son état de santé ou de son handicap."
Pour la femme de chambre, c'est sa maladie qui est à l'origine de son licenciement. L'employeur a donc violé les dispositions de cet article. Le licenciement doit être considéré comme nul et elle doit se voir verser de lourds dommages et intérêts.
- Par suite, la salariée développe un 2e argument. Elle indique que, pour procéder à son licenciement, l'employeur devait établir la réalité des perturbations dans l'entreprise, provoquées par ses absences, et justifier de l'obligation de procéder à son remplacement de manière définitive et non par de simples extras.
A cet égard, la salariée rappelle qu'elle était employée en qualité de femme de ménage, emploi peu qualifié ne nécessitant aucune formation spécifique. Elle ajoute que l'hôtel constituait chaque matin ses équipes pour répondre à ses besoins, faisant appel à de nombreux extras.
Dans ces conditions, il était aisé de trouver des femmes de ménage pour effectuer son travail dans le cadre de contrats à durée déterminée d'extra. A cette occasion, l'avocat de la salariée cite la Cour de cassation qui a maintes fois considéré que le remplacement du salarié n'était aucunement justifié lorsque celui-ci était dépourvu de toute qualification ou de qualification peu élevée, pouvant ainsi être remplacé aisément, par recours à l'intérim le cas échéant.  

2. Les arguments de l'hôtelier
Pour commencer de répondre à la salariée, l'hôtelier rappelle que celle-ci a fait l'objet d'un licenciement, non pas en raison de sa maladie, mais en raison des répercussions préjudiciables pour l'hôtel de son absence pour raison médicale. En conséquence, l'hôtelier n'a donc pas contrevenu aux dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail.
Puis, l'hôtelier fait valoir les difficultés qu'il a rencontrées en raison de l'absence de la salariée pour raison médicale. Il rappelle que l'absence de la salariée fut longue, très longue : près de 20 mois, et qu'elle s'est matérialisée par la transmission de pas moins de 26 arrêts de travail d'une durée allant de 15 jours à 1 mois. Qu'au surplus, ces arrêts de travail ont été transmis dans un délai variable, et parfois même avec un retard de 2 semaines.
Sur ces faits, la direction de l'hôtel fait ensuite valoir qu'elle n'a pu procéder au remplacement de la salariée par recours à des contrats à durée déterminée pendant toute la durée de l'absence de cette dernière. Sur les 653 jours d'absence de la salariée, la direction de l'hôtel n'a pu procéder au remplacement de cette dernière qu'à raison de 262 jours, soit seulement 4 jours sur 10.
En outre, ces remplacements se sont opérés par le recours à pas moins de 9 femmes de chambre différentes qui se sont succédé sur le poste. Autant dire qu'à l'occasion de l'embauche de chaque femme de chambre, c'est l'ensemble des tâches à réaliser, l'ensemble des procédés propres à l'établissement, qui devait donner lieu à une formation professionnelle.
Enfin, l'hôtel fait valoir que, si le remplacement de la salariée ne s'est opéré qu'à hauteur de 40 % de son absence, ce n'est pas faute d'efforts. L'hôtel produit à cet égard les multiples annonces publiées dans les journaux professionnels, ainsi même que les contrats conclus avec les sociétés prestataires de services, spécialisées dans le recrutement de personnel hôtelier.
En fait, la crise du personnel dans l'hôtellerie a rendu impossible le remplacement de la femme de chambre par des CDD.
Pour conclure, la direction de l'hôtel indique que l'absence de la salariée à son poste de travail a entraîné de graves perturbations dans la bonne marche de l'hôtel. En l'absence de la salariée et de remplaçante, les collègues de travail de la femme de chambre se sont vues reporter une charge de travail supplémentaire.
Il s'en est suivi un mécontentement des salariés et, par la suite, une mauvaise ambiance de travail, et même une certaine dégradation de la qualité de la prestation offerte à la clientèle. La décision de procéder au licenciement de la salariée, en raison de l'impossibilité de procéder à son remplacement par des salariés sous contrat à durée déterminée et des graves conséquences préjudiciables pour l'entreprise du fait de cette absence, s'imposait.
A l'occasion de ce licenciement, l'objectif pour l'entreprise était clair : pouvoir désormais embaucher une remplaçante sous contrat à durée indéterminée. zzz60m

La petite histoire

Elle concerne un hôtel parisien d'un grand standing au cœur d'un quartier prestigieux qui offre un aménagement haut de gramme - accès par carte magnétique aux chambres, minibar, climatisation, télé câblée. La direction veille en permanence à la qualité irréprochable du service à la clientèle.
Pour cela, le personnel est nombreux. L'hôtel emploie pour 102 chambres pas moins de 10 femmes de chambre sous l'autorité d'une gouvernante et d'une assistante gouvernante. La salariée en cause a été embauchée il y a 10 ans sous contrat de travail à durée indéterminée. Elle a toujours donné pleinement satisfaction. Malheureusement, elle va rencontrer des difficultés de santé qui vont l'amener à s'absenter à diverses reprises : du 14 au 30 juin 1996, puis du 1er août au 15 septembre de la même année. Enfin, du 6 novembre 1996 au 29 novembre 1997. La salariée reprendra son travail une journée, le 1er décembre 1997, avant de s'absenter une nouvelle fois du 2 décembre 1997 au 1er septembre 1998.
Pour la direction de l'hôtel, ces nombreuses absences ne sont pas sans conséquences fâcheuses. Au mois de juin 1998, elle décide d'engager une procédure qui aboutit au licenciement de la salariée aux motifs :
w des répercussions préjudiciables sur le service de son absence prolongée pour raison médicale,
w de l'obligation de procéder à son remplacement par l'embauche d'un salarié sous contrat de travail à durée indéterminée.

w La salariée conteste devant les prud'hommes
La salariée ne va pas accepter ce licenciement. En effet, au début de l'année 1999, elle décide de saisir le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir qu'il condamne l'hôtel à lui verser une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse d'un montant égal à 8 mois de salaire brut. Après de longues années de procédures marquées par de multiples renvois, le conseil de prud'hommes va rendre son jugement non sans avoir au préalable écouté avec attention les plaidoiries des parties.

 

Le jugement donne raison à l'hôtelier

Après avoir ainsi entendu les plaidoiries des deux parties, le conseil de prud'hommes s'est retiré pour délibérer à huis clos.
Il a, quelques semaines après, rendu son jugement, déboutant la salariée de l'ensemble de ses demandes et confirmant, dès lors, le bien-fondé du licenciement.

Pour rendre une telle décision, le conseil de prud'hommes constate tout d'abord que si la salariée "soutient à juste titre que le travail d'une femme de chambre n'est pas particulièrement qualifié, il n'en demeure pas moins que son absence prolongée pendant plus d'un an et demi, au rythme de 26 arrêts de travail successifs, peut avoir désorganisé le service auquel elle était affectée".
Puis, le conseil de prud'hommes constate que la direction de l'hôtel, qui a toujours eu le souci d'assurer un service de qualité dans les chambres, se devait d'employer du "personnel permanent connaissant la politique de l'entreprise".
Dans ces conditions, le licenciement de la salariée s'imposait dès lors que l'entreprise décidait de procéder au remplacement de la salariée en embauchant une nouvelle femme de chambre sous contrat à durée indéterminée.
Les conditions d'un tel licenciement sont donc clairement rappelées à l'occasion de cette décision prud'homale : il faut que la maladie prolongée ou les absences fréquentes du salarié pour raison médicale perturbent réellement la bonne marche de l'entreprise, et ce, au regard :
w de l'emploi ou de la qualification du salarié,
w de la taille de l'entreprise,
w de son activité et de son organisation,
w de la durée et de la fréquence de l'absence,
w de la nécessité pour l'entreprise de pourvoir au remplacement définitif du salarié malade, en recourant aux services d'un salarié employé sous CDI.

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L'Hôtellerie n° 2791 Hebdo 17 Octobre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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