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Brasserie L'Orléans à Bordeaux

n Secrets de longévité

Discrètement installée le long de la place des Quinconces, la brasserie L'Orléans est l'une des plus anciennes de Bordeaux. Son décor ne signe en rien le siècle qu'elle a traversé. Pourtant, malgré cette absence de cachet, cette adresse éminemment bordelaise a su s'attacher une clientèle mais aussi un personnel des plus fidèles.

Brigitte Ducasse

Terrasse : Sous une toile rouge victime de la pollution, la terrasse de 50 sièges offre de sympathiques fauteuils 'metteur en scène', est ouverte toute l'année. Elle donne sur la place des Quinconces, un lieu stratégique puisque cette place - la plus grande d'Europe - accueille toute l'année des manifestations du type foire à la brocante, foire aux plaisirs, ou chapiteaux de cirque.

En apparence rien d'extraordinaire, vraiment. La toile rouge surmontant la terrasse est conventionnelle. A l'intérieur de l'établissement, si ce n'est à l'entrée, l'inscription L'Orléans composée en mosaïque sur le sol, rien n'indique au client de passage qu'il se trouve ici dans l'une des plus anciennes brasseries de Bordeaux. Elle fut créée sous sa forme actuelle en 1953, à partir d'un vieux café datant, lui, des années 30. Une longévité qui ne doit rien au hasard. On dit des Bordelais qu'ils sont des plus fidèles, pour peu qu'on ne les déçoive pas, la brasserie L'Orléans en est une magnifique illustration. Le noyau dur, les Bordelais de pure souche viennent ici depuis plusieurs générations. Pas de menu, mais une carte généreuse qui déroule les grands classiques : potage de légumes, filet de hareng/pommes, œuf mayo, saumon fumé ou... rillettes d'oie en entrée. En plat principal : choucroute, cassoulet, steak tartare, grillades, poissons ou huîtres... Complétée par des propositions du jour du type encorné à la basquaise, sardines, tête de veau ravigote... Les desserts, faits maison, sont à se damner. L'établissement vit au rythme des 90 à 100 couverts le midi, 60 à 70 couverts le soir, pour une capacité de 70 places à l'intérieur. L'attente au bar n'est donc pas rare, mais peu importe, on patiente calmement. Le patron et propriétaire est toujours là, veillant à l'accueil et au bon déroulement du service. Et c'est bien là une singularité. De tout temps ici, les patrons, omniprésents, ont imprimé leur marque, insufflé leur style.

Flash-back
1940 : même lieu, autre ambiance. Point de chute de la compagnie de cars Gonthier et Nouaud, ligne desservant la Dordogne, Jean et Marcelle Seira transforment le café L'Orléans en bar-brasserie. Entre marchandises et voyageurs, l'animation est incessante. Au passage se mêle déjà une belle clientèle de Bordelais, notables de la cité. L'ambiance est à l'image des propriétaires surnommés affectueusement "papa et maman". En 1962, le Briviste, et personnage haut en couleur, Lucien Bass, un ex-directeur de théâtre, donne un autre rythme. C'est un sacré fêtard qui fait venir les plus grands artistes de l'Hexagone ; en témogne le livre d'or de l'époque : Luis Mariano, Françoise Daurin, Georges Descrières, Georges Guéthary, Danièle Darrieux, Jean Marais... Le bar ne marche qu'au champagne. C'est la folle époque, celle où l'établissement obtient le titre Cintra distinguant dans une ville le bar qui possède la plus belle clientèle. 1973 marque un virage définitif avec l'arrivée de Jean Baudry. Cet homme, réservé et rigoureux, qui fut directeur du plus bel hôtel-restaurant de Libourne, Le Louba, met l'accent sur la qualité de la table, avec ajout d'un espace de restauration en lieu et place de l'ancienne chambre du couple Seira. Il préfère au client bar, l'hôte restaurant, plus policé... Après avoir travaillé aux côtés de son beau-père à partir de 1988, Jean-Michel Larrieu reprend l'affaire en 1994. Cet ancien rugbyman s'attache à conserver le meilleur - dont cette régularité sur tout, jamais prise en défaut - tout en apportant une note de convivialité supplémentaire. La clientèle traditionnelle reste et une nouvelle, plus jeune, arrive. D'indispensables travaux de rénovation sont entrepris. Mais le style patiné, sobre, sans fioriture ni artifice, demeure. La cuisine, de belle qualité, joue la continuité, dans un très bon rapport qualité/prix. Les produits congelés n'ont pas droit de cité. Tous les matins, Jean-Michel Larrieu part faire le marché avec son chef. L'accueil est toujours prévenant. Et les habitudes perdurent, comme le jour de fermeture le dimanche et les jours de fête, Noël et nouvel an compris. Le premier service démarre à 11 h 30, le dernier est à minuit et demi, un horaire apprécié quand, au sortir d'un match de foot ou d'un spectacle, il est bon de trouver une table digne de ce nom. Les signatures des artistes de passage prouvent l'intérêt pour cette maison. De Pierre Perret : "Un havre de bonheur à Bordeaux ? C'est ici", à l'animateur TV Bernard Montiel : "Le meilleur endroit pour moi." La brasserie L'Orléans semble avoir encore de beaux jours devant elle. n zzz24

Les prestations : pourquoi en rajouter ?

Dans certains établissements, on déploie des trésors d'énergie pour contrer la concurrence, pas ici. Inutile de chercher une quelconque prestation supplémentaire. Pas de musicien ni de sono pour animer la salle, pas plus de salons privés pour des repas d'affaires, pas de five o'clock spécial à l'heure du thé. Le plus de la brasserie L'Orléans, c'est de pouvoir déjeuner ou de prendre un verre dans une ambiance calme, sereine, non guindée.
De quitter l'établissement sans avoir les vêtements imprégnés d'odeurs de friture.
D'avoir une vraie conversation sans être importuné par son voisin de table. Les Bordelais sont des gens discrets, parlant d'une voix mesurée. Ils apprécient.

Une clientèle foncièrement bordelaise

Largement ignorée des guides touristiques, et sans jamais avoir fait de publicité, la brasserie L'Orléans vit 'pour' et 'par' ses habitués. Tous les Bordelais qui "font Bordeaux" s'y retrouvent, certains depuis plusieurs générations : négociants et propriétaires viticoles (dont les vins composent l'essentiel de la carte du restaurant), hommes d'affaires, banquiers, avocats, architectes, écrivains ou peintres... Un coup d'œil dans la salle révèle une clientèle de tous âges, de la mamie au brushing impeccable au fils de bonne famille en blazer-cravate, à l'homme d'affaires en costume trois pièces, à l'avocat sa robe sous le bras, au jeune BCBG... Le samedi, les retraités et les gens de passage dominent. En dehors des heures de repas, le calme est de mise, propice pour un écrivain de renom qui y écrit tous ses livres ; idéal pour ce retraité qui, chaque jeudi, rejoint par son professeur particulier, converse dans la langue de Shakespeare deux heures durant. Facile pour le touriste qui, avant de regagner son véhicule, vient se rafraîchir. L'habitué y fait un saut entre deux rendez-vous ou à l'image de cet avocat qui descend de son bureau avec son propre verre de bière avant de repartir préparer sa plaidoirie.

Un décor sans artifice

On ne vient pas à la brasserie L'Orléans pour y rechercher un décor. Néanmoins, le côté patiné, conventionnel, loin des modes, a quelque chose de rassurant. Hormis les toiles du peintre bordelais contemporain Dauguet et celles d'artistes cherchant à se faire connaître, si ce n'est encore des chaises dessinées dans les années 60 par le designer bordelais Belvisotti, le décor est celui d'une brasserie on ne peut plus classique. Petits carreaux au sol, longue banquette rouge courant le long des murs. Tables bistrot en formica recouvertes d'une nappe en tissu bordeaux. A l'entrée, une petite pièce rose saumon décline une autre ambiance, plus cosy, plus feutrée.

Un service personnalisé

Ici, le mot service prend tout son sens. Si en règle générale les patrons se plaignent de l'instabilité de leur personnel, rien de tel ici. Le plus ancien des serveurs, Francis, a démarré sa carrière en 1971 à l'âge de 18 ans. Arrivés respectivement depuis 5 et 6 ans, Anthony (23 ans) et Didier (35 ans) ont remplacé André et Michel partis à la retraite, la mort dans l'âme, après 30 ans de maison. José, le chef, est là depuis 17 ans, France-Lise, la pâtissière, depuis 20 ans, le plongeur depuis 14 ans... Une vraie famille en somme ! Et les conséquences au niveau du service sont immédiates. Chacun connaît 90 %
des clients, leur profession, leur titre, leur nom, et ce, tout en sachant garder la bonne distance. Un accueil personnalisé fort apprécié, on s'en doute.
Côté tenue, la simplicité est de mise : cravate - tout de même ! - sur chemise blanche, pantalon noir et chaussures noires. Pas de tablier ni de poches pour les pourboires ou la monnaie. Car ici, les pourboires sont systématiquement mis dans le pot commun.


L'Orléans ne connaît pas de turn-over.

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