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Le Café Parisien à Marseille

n Le père, le fils et le comptoir

En l'espace d'une dizaine d'années, Gilbert Bitton, 45 ans, a fait du Café Parisien, l'un des hauts lieux marseillais.

Dominique Fonsèque-Nathan

Il faut être marseillais et "informé" pour pousser la porte de ce café de la place Sadi-Carnot. Entre Port autonome et Vieux Port, la rue de la République, sur lequel il s'ouvre, étale son kilomètre d'immeubles haussmaniens décatis, vestiges d'une splendeur passée, ses commerces populaires, ses épiceries maghrébines et sa multitude de bars. Pourquoi entre-t-on dans l'antre de Jacques et Gilbert Bitton, les propriétaires ? Pourquoi vient-on de loin pour Le Café Parisien ? Hormis la belle façade en bois, rien ne le distingue vraiment des autres. Une fois franchi le seuil, c'est une autre histoire. La décoration du début de siècle, tout en stuc, dorures, colonnes, miroirs biseautés et piano à queue noir, suffit à vous alerter. Le Café Parisien, qui a fêté son centenaire en fanfare, n'est pas tout à fait un bistrot comme les autres. Pour Gilbert, le fils, qui a repris les rênes au début des années 1990 : "C'est un endroit où souffle la culture, et qui ne vous pardonne rien. C'est un endroit où les gens sont sublimés quand ils y entrent." En tous les cas, il y a ici, une atmosphère différente. Quelle que soit l'heure de la journée, cet espace est plein de l'air du temps, et ne désemplit pas, sauf, peut-être, l'après-midi. Avec, en point d'orgue, les vernissages d'expositions, les petits concerts, les conférences, les signatures de livres et les soirées tapas des jeudis et vendredis où ses 100 m2 sont archi bondés. Comment, en une petite décennie, le bistrot de quartier, avec 'plat du jour, vin et café à 9,15 e a-t-il opéré sa mutation ?

Le casse-tête du personnel

"Quand je suis malade ou en vacances, je ferme." Ainsi parle, sans illusion, Gilbert Bitton. Le succès du Café Parisien repose sur la trilogie du père, du fils, et de la mère qui vient discrètement aider son mari quand son salon de coiffure est fermé. Patron à tout faire, Gilbert passe les commandes, accueille les clients, fait office de sommelier, anime le lieu. Le père, lui, est aux fourneaux, avec 2 personnes, découpe la viande et ouvre, comme jadis, à partir de 4 heures du matin. Quant aux salariés, Gilbert Bitton regrette leur important turn-over. "Il y a de moins en moins de personnes qui veulent travailler dans un café, quel que soit le salaire qu'on propose. Quand elles choisissent ce métier, c'est toujours 'en attendant de'..."

Une histoire en 4 actes
L'histoire remonte aux environs de l'année 1976 quand Charles, le grand-père et Jacques, le père, débarqués du Maroc en 1964, achètent Le Café Parisien. A l'époque, l'affaire est florissante à cause de sa proximité avec le QG des taxis, le siège des Messageries Maritimes. L'âge d'or dure 12 à 18 mois. Les Messageries déménagent, le port sombre dans le marasme, la clientèle aisée finit par déménager pour des banlieues vertes. La rue de la République se paupérise et fait grise mine face enseignes du Vieux Port qui ont la cote. Pendant ce temps, Gilbert s'est lancé avec succès, dans le prêt-à-porter, version stylisme et fabrication. Pour des raisons personnelles, il rejoint 'l'écurie Bitton' et prend les rênes d'un bar qui 'vivote'. Le jeune homme ne se voit pas en patron de bistrot classique, "à servir des cafés derrière le comptoir". Ses antennes lui font percevoir que les temps changent et que les 'licences IV' ont un autre rôle à tenir dans la cité. Tout va se jouer en 4 actes.

Acte 1, les expos. Gilbert a l'art contemporain inscrit dans ses gènes. En 1990, c'est le début de l'aventure. Un peu par hasard, il propose au sculpteur, José Gimenez, d'exposer ses oeuvres plutôt monumentales dans le café et sur les trottoirs. L'affaire fait grand bruit, et contribue à enraciner l'établissement dans le paysage culturel marseillais. Depuis, au rythme d'une douzaine d'expos par an, Gilbert se comporte comme un directeur de galerie. "Je ne me contente pas d'accrocher des toiles ou des photos aux murs. Je fais les dossiers de presse, les invitations, le vernissage, le suivi d'artistes..." Soit, au total, un budget de l'ordre de 23 000 euros par an. Pour lui, c'est clair : "Il s'agit d'un combat pour l'art contemporain parce que l'important, pour un artiste, est d'être vu."

Acte 2, l'animation. Après l'art, Gilbert entame sa 'vraie révolution'. Il supprime les flippers et le baby-foot, "parce qu'il fallait couper définitivement avec l'image de bistrot de quartier". Il se lance dans une programmation qui fait venir les clients de loin. Se succèdent ainsi les dédicaces de livres, la projection de courts métrages, les soirées tango, les conférences, les concerts...

Acte 3, la restauration. Rompant définitivement avec le 'plat du jour-café à 9,15 e, Gilbert se lance dans la qualité : pains Max Poilâne livrés directement de Paris, 170 appellations de vins à la carte, 70 sortes de fromages, les pâtisseries Riederer (un des meilleurs artisans de la région). En deux ans, le ticket moyen du déjeuner passe de 9,15 à 18,29 e, et la typologie des boissons se modifie sensiblement. La part des apéritifs anisés tombe de 40 à 5 %, celle de la bière monte à 30 % et le vin à 40 %. Quant aux "boissons chaudes supérieures, type tisanes et chocolat précieux, elles sont en plein développement".

Acte 4, l'allongement des horaires d'ouverture. Il y a 3 ans, le café fermait tous les jours vers 20 h 30, à un moment où la rue de la République se vidait de la population de salariés. Gilbert a de l'ambition. Il veut créer de la vie dans un quartier désert, faire venir les clients d'autres arrondissements. Et cela marche ! Le jeudi et le vendredi, 'il met le feu' avec ses assiettes à 6,86 e, du type tapas revisitées à la mode 'provençalo-orientalo-Bitton'. Le Marseille branché, plutôt jeune, se bouscule et attend patiemment une place debout.

Pour l'avenir, Gilbert Bitton a d'autres idées. Toujours en alerte, à l'image d'un directeur d'établissement culturel, il a fait du Café Parisien ce qu'il appelle "le plus petit des grands cafés". Un hommage vibrant à son père, 75 ans, qui officie encore à 4 heures du matin et à midi, aux fourneaux. "Sans lui, je ne serais rien", avoue-t-il avec fierté. Comme quoi, on peut bouleverser de fond en comble une licence IV, réussir avec brio, faire des émules ici et là dans la ville et rester attaché à des valeurs sûres comme la famille et l'impérieuse nécessité de répondre aux attentes des clients, voire de les devancer. nzzz26v zzz24

La clientèle, un mélange des genres

Ni tout à fait bistrot de quartier, ni tout à fait café de centre-ville, Le Café Parisien est un peu tout à la fois. Un mélange où tous les genres font bon ménage, à l'image de Marseille, ville multiculturelle. A 4 heures du mat, l'heure à laquelle Jacques Bitton, 75 ans, qui a le sens du service, ouvre le rideau, le café a l'allure d'un vrai bar de quartier où se côtoient les lève-tôt (postiers, éboueurs, poissonniers, marchands de journaux...), et les couche-tard venant prendre leur petit café. A midi, c'est un autre monde qui débarque, celle de la clientèle affaires attirée par la carte des vins, les 'vrais' supions du littoral à l'encre, les pieds-paquets, la goûteuse pièce de charolais, le jambonneau aux lentilles, ou les exquises pâtisseries de Riederer. L'après-midi, plus calme, mêle habitants du quartier, joueurs d'échecs ou de cartes, passants, jeunes et moins jeunes. Enfin, c'est le tout Marseille branché qui déboule pour les vernissages, la signature d'un livre, un petit concert ou les soirées tapas.

 

La décoration art déco

Né en 1901, Le Café Parisien en a gardé son décor du début de siècle, celui-là même qu'avait imaginé le fondateur, Louis Rondel. Il s'agit d'un éloge aux muses, à Bacchus et au Caravage, dans la plus pure tradition du stuc, avec dorures très bien conservées. Sur un mur, face à l'entrée, des miroirs biseautés procurent une impression d'espace malgré les deux colonnes de plâtre bouchant légèrement la perspective. Sur la façade, des portes-fenêtres en chapeau de gendarme et de large baies vitrées donnent une bonne luminosité à l'ensemble. Au sol, les carreaux de couleur en ciment sont dans la plus pure tradition familiale. Le piano à queue laisse imaginer les soirées musicales qui s'y déroulent. Enfin, le mobilier en bois disparate est issu des trouvailles de Gilbert Bitton, chez les brocanteurs. Exemples, ces très amusants fauteuils vieux bridge de 1920. La seule faute de goût est la mosaïque 1930 du bar. Elle a été conservée à l'identique, probablement parce qu'elle amuse le patron et que sa laideur met en valeur la beauté du reste.

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