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RESTAURATION

La vente à emporter à Marseille

INTERDITE LA NUIT

Un arrêté municipal interdit la vente à emporter sur le trottoir entre 23 heures et 6 heures du matin. Il s'agit de mettre fin à la délinquance dans l'hypercentre-ville ainsi qu'aux nuisances sonores. Cette mesure, jugée brutale par les patrons, frappe de plein fouet plus de 70 snacks et kiosques.

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Marseille, la nuit, est tout sauf une ville morte. Cela explique que les snacks et les kiosques à sandwiches aient poussé comme des champignons.

Marseille, la nuit, est tout sauf une ville morte. Alors que d'autres tirent le rideau dès 19 heures, la cité phocéenne commence à s'animer, surtout lorsque la météo est clémente, ce qui est souvent le cas. Cela explique que les snacks et les kiosques à sandwiches aient poussé comme des champignons. On en compte quelque 70 (dont une quinzaine de kiosques) sur la Canebière, le cours Belzunce, la rue de la République, la Plaine... Ouverts jusqu'ici en continu 24 h/24, à l'exception d'une coupure légale de 2 heures à 4 heures du matin (sauf autorisation contraire), ils offrent leurs cargaisons de sandwiches chauds, pizzas, chiche-kebab, falafels... aux affamés de la nuit et du jour. Jusqu'ici, tout se passait (presque) dans le meilleur des mondes, malgré les attroupements de 'racailles' (la terminologie du coin), les papiers gras sur le trottoir, les véhicules garés en double, voire triple file, et un certain brouhaha ambiant. Cela avait un côté 'vivant' qui commençait à importuner les Comités d'intérêt de quartier (CIQ) qui souhaitaient plus de calme la nuit. Cela donnait surtout une image trop 'méditerranéenne' de Marseille. "Proximité des élections oblige", comme le laisse entendre le patron du Splendid ; la municipalité a décidé de "faire le ménage" dans l'hypercentre-ville. Le 4 janvier dernier, le bâtonnier José Allégrini, adjoint chargé de la police municipale, prenait un premier arrêté interdisant la vente de boissons à emporter dans des contenants en verre. Il s'agissait "de mettre fin aux rixes utilisant les tessons comme arme". Le 18 janvier, il ordonnait "la fermeture des établissements qui vendent boissons et alimentation à emporter sur la voie publique, entre 23 heures et 6 heures du matin". L'arrêté était pris pour une durée de 4 mois, le temps que les patrons concernés "fassent preuve de leur bonne foi et se mettent aux normes". Selon maître Allégrini, la mesure est douce : "Il ne s'agit pas d'empêcher les snacks de fonctionner la nuit pendant les heures légales, mais d'interdire la vente à emporter sur le trottoir." Il précise : "Pour celui qui a une salle, il n'y a pas de problème. Il assurera, comme d'habitude, la restauration sur place. Quant à la nourriture à emporter, il devra la vendre à l'intérieur, à condition qu'elle soit emballée dans un sachet à son nom." Il poursuit : "J'ai voulu éviter la poursuite d'une activité nocturne d'établissements placards, aux normes d'hygiène déficientes, dont la clientèle s'agglutinait sur les trottoirs et entraînait désordre public et saleté. Qu'on ne vienne pas me dire que les clients sont des étudiants alors qu'il s'agit souvent d'une faune dangereuse." Sur le manque de concertation dont il est accusé, il précise : "L'équipe municipale a agi en parfaite concertation. De 1995 à 1997, Gérard Chenoz, le conseiller municipal en charge du centre-ville, a réuni les commerçants. Ils s'étaient engagés à veiller à la propreté du périmètre et aux conditions de la vente. Un seul a tenu ses engagements. Aujourd'hui, nous prenons des mesures fermes. Elles ne portent pas atteinte à la liberté du commerce, mais mettent les snacks face à leurs responsabilités... Quant aux conséquences de cette mesure sur le chômage, je suis prêt à en discuter, si on me montre les déclarations d'embauche et les bulletins de salaire."

Une mesure jugée brutale
Revendiquée par les CIQ, la mesure est diversement appréciée par les responsables d'associations de commerçants. Pour Georges Séverin-Michel, président de la très puissante fédération de commerçants Marseille Centre : "cette façon de vendre n'est pas bonne pour l'image de Marseille. Elle entraîne des nuisances pour les habitants et une certaine insécurité. Cela dit, je ne suis qu'un observateur. Je pense quand même qu'il faut une réglementation avec de bonnes règles applicables à tous".
Roger Mongereau, président de la Sociam, la fédération regroupant quasiment toutes les associations de commerçants et d'artisans du département, est plus mesuré. L'assureur a l'habitude du compromis. Le 'champion' de la fermeture dominicale de Plan de Campagne, l'énorme zone commerciale située entre Aix et Marseille, est ennemi des solutions brutales. Alors qu'il aurait pu pousser l'avantage jusqu'au bout, il a laissé 4 ans aux commerçants de Plan de Campagne pour rentrer dans le rang. Avec l'affaire des 'snacks- kebab', il adopte la même attitude. "Sur le fond, je suis plutôt d'accord. Certes, les snacks ne créent pas l'insécurité, mais ils l'amplifient en créant des points de fixation. Et puis, il y a la propreté et le bruit... Cela fait des années qu'on aurait dû prendre ces mesures. Si on veut réhabiliter ce quartier, donner aux gens le goût de revenir y vivre, il faut du calme.
Sur la forme, je trouve à redire. La décision n'aurait pas dû être appliquée brutalement. Ces patrons sont des commerçants. Il faut leur laisser le temps de se retourner, étudier les dossiers au cas par cas."
Chez les patrons, la coupe est pleine. Certains se sont résolus à se mettre aux nouvelles normes. D'autres refusent de se plier "à une décision électoraliste". D'autres, enfin, pensent pouvoir négocier. Du côté des 'résignés', le patron du Mirage Bleu. Avec son associé, ce jeune homme de 35 ans s'est installé, en décembre, sur la Canebière pour 69 000 euros, le prix du fonds de commerce. Pour lui, "il est clair que l'arrêté municipal va (lui) coûter encore de l'argent". Il remarque : "La nuit amène des sous à nos établissements, mais ce n'est pas à cause des snacks qu'on a de la délinquance."

Le ras-le-bol des snacks
Du côté des irréductibles, M. Farad, patron du snack-bar Le Splendid, situé à l'angle de la Canebière et du boulevard Garibaldi. Il vient juste d'être rénové. Coût de l'opération : quelque 46 000 euros. "Je me refuse à construire une vitrine de séparation entre la rue et mon établissement, et à accueillir les clients à l'intérieur pour la vente à emporter. On ne peut pas mélanger la clientèle d'un bar avec celle d'un snack." Il ajoute : "Les élus veulent relever le niveau de la Canebière, mais ici, ce n'est pas le Prado avec un repas à 22,87 e (150 F). Ce n'est pas un quartier de riches." Plus mesuré, son voisin M. Guol, patron de Mister King, a créé avec lui une association de restauration rapide qui regrouperait les 70 snacks visés par l'arrêté municipal. "Nous allons entreprendre un recours devant le tribunal administratif. Notre avocat étudie le dossier. Si nous avons des chances de gagner, nous poursuivrons. Le maire a posé ses conditions pour la vente à emporter. Elles nous obligent à poser une vitrine fixe entre la rue et nos établissements et à recevoir les clients à l'intérieur. Pour la majorité d'entre nous, c'est impossible. Nos superficies sont trop petites. Nous allons perdre la moitié de notre chiffre d'affaires."
C'est le cas de la quinzaine de kiosques implantés sur le trottoir. Pour eux, il n'y a pas d'alternative, l'accueil se faisant à l'extérieur. Un patron de kiosque de la Canebière tient à témoigner dans l'anonymat, "pas par lâcheté, mais pour sauvegarder les possibilités de négociation". Il explique : "Nous subissons une décision que je ne comprends pas. Ils veulent qu'il y ait moins de nuisances sur la Canebière ? Comment fermer la nuit une artère comme celle-là ? Toutes proportions gardées, c'est comme si on fermait les Champs-Elysées... Il aurait dû y avoir une concertation. En fait, c'est un message qu'on nous envoie. On ne peut pas se substituer à la police, mais on peut veiller à la propreté et faire moins de bruit. C'est impensable d'empêcher les gens de travailler. Ce n'est pas le sandwich qui entraîne la violence, c'est l'alcool. Or, nous n'en vendons pas. Une ville comme Marseille a besoin de vivre la nuit. Les élus devraient penser à l'emploi. La nuit, nous faisons le plus gros de notre CA. Nous empêcher de travailler, c'est créer du chômage, donc de l'insécurité. Souhaite-t-on ghettoïser les gens en les condamnant à rester chez eux, empêcher ceux qui ont faim de manger pour 3,66 e (24 F) ? Si on va en référé, on gagnera."
Coïncidence ou pas, à quelques semaines des élections législatives, la municipalité a décidé de mettre l'accent sur la petite délinquance qui sévit en centre-ville et fait "peur aux touristes, aux passants et aux habitants". Il lui reste à prouver que ce sont les ventes à emporter sur le trottoir qui, créant des îlots de fixation, génèrent ce type de nuisances. Ici, le débat est encore très loin d'être clos...
D. Fonsèque-Nathan zzz22v zzz22t

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