A San Francisco
Par P. Le Naour
Suite de nos rencontres avec ces Français qui ont retrouvé le goût de cuisiner de l'autre côté de l'Atlantique, sur la côte Pacifique. La qualité des produits, la qualité de vie, la satisfaction des clients, et le bonheur est retrouvé... zzz99 |
Quand on sait que Roland Passot est
aujourd'hui apaisé et que l'on voit quel tourbillon il est... on a du mal à imaginer ce
qu'il était hier... un ouragan ! Lui aussi respire le bonheur, et c'est à la Californie
qu'il le doit. Quand le jeune Lyonnais débute sa carrière, de fourneaux en fourneaux, de
coups de gueule, de coups de pied dans le derrière, il fera son chemin, persuadé
qu'être dur, fort, c'est ce qui vous forge un homme, que savoir recevoir les coups et
savoir en donner, c'est ce qui impose le respect. Plusieurs années durant, il avancera
avec cette conviction, sans toutefois passer à côté des hommes qui traceront une partie
de son chemin, ces hommes pour lesquels il garde le plus profond respect... Après son
apprentissage, c'est sous la tutelle d'un personnage, MOF, chef du Sofitel Lyon, M. Alix,
qu'il découvre les grandes brigades, l'exigence, l'obéissance. On le retrouvera aux
côtés de Jean-Paul Lacombe au moment où celui-ci reprend la suite de son père, puis
Place Kléber, à l'installation de Pierre Orsi, de retour de Chicago avant qu'il ne soit,
lui aussi, pris du virus des voyages à la suite de la venue de Jean Banchet à Lyon... Et
de se retrouver, "alors que je ne parlais pas un seul mot d'anglais", se
souvient-il, à Chicago chez Banchet pour l'ouverture du Français.
Il y restera 4 années, quatre années au cours desquelles il travaillera beaucoup, "j'étais
aux sauces, de 8 heures du matin à minuit", se souvient-il. "C'était
dur, mais je voulais montrer que j'étais capable de tenir bon"... Il partira
vers l'Ouest, San Diego, puis San Francisco au Castel, "toute la marchandise
venait de France, le coût matière crevait tous les plafonds", un restaurant
très prisé, tenu par un Marseillais qui, à la suite d'une brouille avec son associé,
allait fermer. Roland Passot reprendra la route, celle de Dallas : "J'avais la
grosse tête, je faisais la une des magazines, je croyais être devenu une star. En
réalité, j'étais surtout devenu caractériel", reconnaît-il aujourd'hui... La
vie le lui fera comprendre, et petit à petit, avec l'aide de sa femme, Roland
évoluera... quand, en 1988, il décide de s'installer avec seulement 45 000 $ à San
Francisco. Conscient de l'enjeu, il appellera son restaurant La Folie... "Il
fallait en effet être complètement fou à l'époque pour ouvrir un restaurant de plus
dans la ville des Etats-Unis qui en comptait le plus." Mais Roland Passot ne voit
plus les choses comme avant, alors... il a compris que la réussite dépendait aussi de la
motivation de son personnel, en salle comme en cuisine. "Le seul moyen d'évoluer,
c'est de donner la parole aux jeunes, de les écouter, de les laisser faire en les guidant
simplement. Aujourd'hui, autour de moi, je n'ai que des jeunes passionnés. Je les pousse
à me donner des idées, ils sont notre avenir, ils sont les chefs de demain. Je ne veux
pas les enfermer dans notre passé, ils ont une vision différente des choses. Quelle
bêtise que de se priver des idées et de la passion des jeunes." Des jeunes qui
touchent des rémunérations motivantes, environ 35 000 $ par an pour un chef de partie.
Et Roland Passot de s'émerveiller d'être si heureux dans cette nouvelle relation avec
les autres. Sa cuisine lui convient mieux aussi : "Elle est plus dépouillée mais
aussi plus goûteuse." Il va au marché deux fois par semaine, se félicite de la
qualité des produits qu'il trouve en Californie : "Maintenant, la vedette, c'est
le produit", prévient-il. Ouvert le soir uniquement, il sert une cinquantaine de
couverts par jour en semaine, pour atteindre 140 couverts en week-end. S'il se fait
plaisir à La Folie, Roland Passot n'en fait pas moins des affaires... dans ses
restaurants à l'enseigne Left Bank créés avec un partenaire en 1993. Une formule
cuisine 'grand-mère' qui lui permet de réaliser entre 450 et 500 couverts par jour pour
un prix moyen de 17 $ au déjeuner et 35 $ au dîner. Et de continuer à se développer.
Roland Passot est bel et bien aujourd'hui un homme heureux, heureux de son métier, de sa
vie, de son rapport avec les autres. Il trouve en Californie des gens passionnés par la
restauration, il voit les produits évoluer de mois en mois, la mode du bio amène les
clients à toujours plus d'exigence et les professionnels à tout faire pour mieux
répondre à cette attente... Revenir en France ? Oui, souvent, pour le plaisir, pour
faire la fête, pour faire la tournée des amis et de la famille... mais sûrement pas
pour y travailler...
La Folie
2316 Polk Street - San Francisco
Tél. : (415) 776-5577
Laurent
Manrique est un homme heureux, ça se voit, ça s'entend et... ça se sent quand on goûte
sa cuisine ! C'est au cur de San Francisco, au Campton Place Restaurant, que l'on
peut aujourd'hui retrouver ce Gascon qui affirme avoir appris la cuisine sur les genoux de
sa grand-mère, au cur de l'auberge familiale, dans cette région française qu'est
le Sud-Ouest, pays du canard et de l'armagnac. Laurent aime cuisiner, il aime les
produits, il aime voir ses clients s'émerveiller devant son foie gras, sa poule au pot,
ou son Croustillant de Serrano. Il est en Californie un peu comme chez lui, en Gascogne.
"Il y a tous les produits que l'on veut, qui plus est d'une qualité
exceptionnelle. Tout ce que je trouve ici m'inspire, un peu comme si j'étais resté en
France", explique ce cuisinier de 34 ans qui, depuis l'Auberge de Roques, a
déjà un long et beau parcours. A Paris, les chefs de Taillevent, du Toit de Passy, et
Michel Rostang furent, entre autres, quelques-uns de ses maîtres. C'est d'ailleurs sur
les conseils de Michel qu'il s'envolera pour sa première expédition outre-Atlantique,
destination Los Angeles, où il passera quelque temps au Rex et au Fennel avant de tenter
sa chance à New York.
C'est incontestablement New York qui lui offrira des opportunités exceptionnelles pour se
faire connaître et reconnaître : il y restera 5 ans ; on le retrouvera au Waldorf
Astoria, au restaurant Peacock Alley, avant de se lancer dans son aventure : l'ouverture
de Gertrude. Il y connaîtra le succès : les critiques furent unanimes, les clients
aussi, Laurent Manrique était tout en haut de l'affiche... 2 années durant, il assurera,
mais la pression est forte, trop forte : "J'étais prêt à rentrer en France, je
n'en pouvais plus. Je ne faisais plus la cuisine pour me faire plaisir ou pour faire
plaisir à mes clients. A New York, on ne vit que pour plaire aux critiques, c'est
insupportable." Alain Ducasse sentira la tension chez Laurent ; il lui proposera
même un poste s'il rentre en France... mais au même moment, la Californie s'ouvre à lui
et il accepte l'opportunité qui lui est offerte de reprendre Campton Place Restaurant, à
San Francisco. Laurent Manrique accepte et revit... "Ici, en Californie, les gens
aiment aller au restaurant, ils aiment reconnaître ce qu'ils ont dans leur assiette, ils
vont au marché acheter leurs produits. Ils ont le respect des saisons." Laurent
Manrique revit, reprend plaisir à cuisiner, il trouve les produits qu'il aime travailler
et le bonheur devient le moteur de son inspiration. "Depuis que je suis ici, mes
racines reviennent. Je cuisine davantage en fonction des saisons, parce que je suis loin
de mon pays, j'attache encore plus d'importance à mes racines, à mon histoire."
Contrairement aux autres chefs à la mode, il se refuse à utiliser les épices
asiatiques, "leur goût n'a pas imprégné mon enfance, je ne sais pas faire... En
dehors du piment d'Espelette". Alors, prêt à un retour sur sa terre natale ?
Pour les vacances, pour y retrouver ses amis, sa famille, pour le plaisir de la fête,
rien de plus... En Californie, on lui fait confiance, alors tout paraît plus simple qu'en
France où il lui faudrait montrer patte blanche, solliciter des banquiers méfiants...
"Rester en Californie, c'est choisir de ne voir que les bons côtés de la France",
conclut-il d'un serein sourire...
Compton Place Hotel
340 Stockton street San Francisco
Tél. : (415) 955-5555
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L'Hôtellerie n° 2752 Hebdo 17 Janvier 2002