Elles ont choisi la restauration par goût. En salle et en cuisine, être une fille n'est plus un handicap. A condition d'y croire.
La situation actuelle sur le marché de l'emploi de la restauration et de l'hôtellerie offre aux filles qui en ont (... de la volonté) l'opportunité de se faire une place aux fourneaux comme en salle. Pourquoi dédaigner cette main-d'œuvre quand leurs homologues masculins désertent, à la recherche de semaines de travail à 35 heures, de journées continues, de vie de famille plus riche... Des 'exigences' féminines qui justifiaient à elles seules qu'une femme ne pouvait faire carrière en restauration. Sans parler de cette fameuse résistance physique.
Elles font évoluer les mentalités
Aujourd'hui, les filles frappent à la porte des CFA de la restauration. Pour deux raisons
: le métier les attire et elles veulent tout de suite aller en entreprise. Certes, elles
sont encore peu nombreuses. Mais que dire alors du déficit de séduction de la profession
auprès des apprentis masculins ?
Les chiffres sont là. Cette année, on comptait 80 filles sur un effectif de 360
apprentis en cuisine et en service de restaurant à l'Ecole supérieure de cuisine
Ferrandi. 40 étaient inscrites en cuisine et 40 en salle. Proportionnellement, les filles
sont deux fois plus nombreuses en service de restaurant. En 2000, les filles
représentaient 35 % des effectifs totaux de la filière restauration au CFA Médéric à
Paris, le plus gros étant inscrit en salle où les tâches semblent moins éprouvantes
physiquement. "Les filles sont davantage attirées par le côté commercial et
relationnel du travail en salle", explique Dominique Flanet-Delpire, directrice
du CFA Médéric à Paris. Sans parler d'un autre atout : elles sont plus présentables
qu'un 'gamin boutonneux' de 16 ans. Pourtant, ce n'est pas faute de vouloir recruter des
femmes en cuisine. Toujours dans le même établissement, sur les 15 élèves de la classe
de terminale bac pro cuisine, 5 sont des filles. Quant à la formation connexe
pâtisserie, elle n'a attiré qu'une seule candidate sur deux classes de 7 personnes.
"On explique aux jeunes filles que la cuisine est un monde où il est possible de
faire carrière à partir du moment où l'on est qualifiée", poursuit Dominique
Flanet-Delpire. Avant d'ajouter : "Les filles font évoluer les mentalités du
métier. Dans ce CFA, celles qui sont inscrites en bac pro sont assez brillantes. Elles
sont tenaces, bosseuses." Côté professeur, la mixité des classes en cuisine
est souhaitable. "Les filles équilibrent la classe. On essaie de plus en plus de
mélanger les effectifs quand cela est possible", précise Bernard Hainau,
formateur au CFA Médéric.
Tête de mule
Agée de 20 ans, Olivia Bumba commence sa dernière année de terminale en bac pro au CFA
Médéric. Elle est en apprentissage au Novotel Paris les Halles. "En cuisine, on
perd sa féminité car il faut être brutale et ne pas se faire marcher dessus. En fait,
ce sont les mecs qui ont un problème car, en cuisine, on ne correspond plus à leurs
stéréotypes." Jusqu'au mois de juin, les extensions capillaires roses d'Olivia
Bumba dépassaient de son calot d'apprentie cuisinière. L'été et les vacances arrivant,
elle a préféré les couper. Pour elle, la cuisine, c'est une passion. Au point qu'elle a
renoncé à ses études littéraires, rétrogradant de la classe de première a celle de
seconde pour intégrer ensuite une première année de BTN puis un BEP restauration à
l'Ecole hôtelière de Paris Jean Drouant. Juste avant d'arriver dans le CFA voisin de la
rue Médéric l'an dernier. "On m'a souvent dit que la place d'une femme n'était
pas en cuisine, mais c'est le genre de réflexion qui me donne encore plus l'envie
d'avancer."
De la pharmacie à la cuisine |
"Tu as passé le concours, tu devrais le savoir"
"Il y en a plein qui sont inscrites à l'école mais qui abandonnent une fois dans
l'entreprise", tempère Amandine Aspar-Chaignot, commis de François Adamski lors
du concours du Bocuse d'or en janvier dernier. Elle poursuit : "Je me souviens de
la réflexion que l'on m'a faite lors de mon premier service : 'si tu n'as pas envie de te
brûler, tu peux faire de la couture'. Il y a aussi des chefs qui font exprès de nous
demander de soulever des trucs très lourds. Mais, on ne va pas se mettre à faire de la
musculation pour leur faire plaisir." On a bien compris : pour tenir en cuisine,
il faut être une tête de mule, "sinon ça ne marchera jamais", dixit
Olivia, qui se rappelle avoir toujours été la seule fille de sa classe de cuisine. Sans
oublier la force de travail et le talent, enfin jusqu'à un certain point. "Depuis
que je me suis classée 7e au concours du Meilleur apprenti cuisine de France, je n'ai
vraiment plus droit à l'erreur. Je suis obligée de faire tout parfaitement. En classe,
les mecs me disent 'tu as passé le concours, tu devrais le savoir'", poursuit
Olivia. Elle doit payer le fait d'être bonne professionnellement en étant une fille...
Mais il en faudrait beaucoup pour la rendre de mauvaise humeur.
"Les plus jeunes cuisiniers commencent à accepter. Même si beaucoup d'entre eux
sont encore loin de nous permettre d'avoir des faiblesses, je crois que les femmes sont en
train de se faire une place en cuisine", explique encore Amandine Aspar-Chaignot,
récemment embauchée dans l'équipe d'Alain Ducasse au restaurant du Plaza Athénée à
Paris (3 étoiles au Guide Rouge). Avec un bémol cependant. Les filles engagées
dans les brigades sont jeunes, souvent âgées de moins de 25 ans. Un âge où l'on ne
pense pas encore à faire des enfants. Bref, des cuisiniers comme les autres, totalement
disponibles. Car le prochain challenge pour les filles n'est plus d'entrer dans une
brigade mais d'y rester. Pour Amandine, c'est tout vu : "J'ai bien envie de durer",
glisse-t-elle encore.
L. Anastassion zzz68p
Comment parler aux filles ? |
| Habitué à travailler depuis toujours avec des équipes masculines, vous hésitez à intégrer des filles à votre brigade car vous ne savez pas comment communiquer avec elles ? C'est simple : comme avec les garçons, il faut rester attentif, savoir écouter, savoir se faire entendre, et savoir se faire respecter autrement qu'à travers des 'coups de gueule' ou insultes de toute espèce. Un document, établi pour la circonstance, peut vous y aider. A lire attentivement... (Extraits du BO hors série n° 10 du 2 novembre 2000. Ces trois scénarios proposent aux enseignants, formateurs et conseillers d'orientation des pistes de réflexion autour de situations prises dans la vie scolaire.) |
Scénarios |
Constat/stéréotypes |
Conséquences |
Recommandations |
| Scénario 1 En troisième, professeurs et conseillers d'orientation psychologues organisent la visite d'un lycée professionnel industriel avec le chef de travaux. |
Les élèves qui passent dans la classe
supérieure et la plupart des filles ne sont pas intéressés par ce type de visite. Questions
: |
On risque de provoquer une scission
entre les filles et les garçons, les bons et les moins bons élèves. C'est donc une
façon de maintenir des représentations socio-sexuées des métiers et des formations,
ainsi qu'une image dévalorisée de l'enseignement professionnel industriel. On risque de faire naître des illusions si l'on n'informe pas sur le fait que l'insertion professionnelle est encore tributaire de représentations sexuées. Les élèves et les enseignants risquent de ne pas avoir conscience que, pour les filles comme pour les garçons, être en minorité dans un établissement peut poser des problèmes de vie scolaire. |
Préparer la visite de façon à
favoriser la découverte de formations ignorées ou mal connues, notamment par les filles.
Permettre de mieux connaître tous les domaines professionnels associés à ces formations et sensibiliser ainsi à des choix d'orientation plus variés. Veiller à ce que l'environnement économique soit connu des élèves et soit un élément de la prise de décision. Préparer avec les établissements d'accueil l'arrivée des filles dans des formations plutôt masculines, ainsi que l'arrivée des garçons dans des filières féminines, pour limiter les risques d'abandon. |
| Scénario 2 Pour faciliter la connaissance des formations, des rencontres avec d'anciens élèves sont organisées par les enseignants et les conseillers d'orientation psychologues pour les classes de seconde du lycée. Ces rencontres sont préparées avec les élèves. |
Faire parler des pairs de la formation qu'ils suivent fera
naître ou confirmera des choix. Les filles et les garçons ne s'intéressent pas
aux mêmes filières. Questions : |
On risque de n'avoir pour intervenants que des témoins
filles et garçons qui sont dans les filières qui les accueillent traditionnellement, et
donc, de ne pas ouvrir de nouvelles perspectives sur les orientations des filles et des
garçons. Si l'exploitation des témoignages n'est pas réalisée, il est vraisemblable que seuls les jeunes préalablement intéressés par les filières représentées auront retenu quelque chose de l'action et que filles et garçons maintiendront des choix traditionnels. |
S'assurer que les élèves des deux sexes seront
représentés et qu'ils pourront avoir un discours valorisant le type d'études choisies,
surtout s'ils ont intégré des formations non conventionnelles. Définir préalablement, avec les intervenants, les objectifs de la rencontre : leur demander d'aborder les contenus des formations, les motivations des choix, les projets d'études et les projets professionnels, la place des filles et des garçons dans les différentes formations présentées, etc. |
| Scénario 3
L'équipe administrative, éducative et les conseillers d'orientation psychologues organisent un forum, un carrefour des métiers. |
C'est l'occasion pour les élèves de
rencontrer des professionnels qui les aident dans leurs choix futurs. Les filles et
les garçons ne sont pas intéressés par les mêmes métiers. Questions : |
Faire comme si tout était toujours
possible pour les filles et les garçons, c'est refuser un principe de réalité
indispensable à toute prise de décision en orientation, et donc renforcer les
stéréotypes et représentations des élèves. Ne pas élargir le champ des possibilités, ne pas travailler sur l'estime de soi revient à favoriser l'autocensure. |
Inciter chacun des élèves de la classe
à réagir aux propos des témoins, à faire des comparaisons avec son propre cas, à
s'approprier le contenu des interventions. Prévoir une séance de préparation des élèves afin de les inviter à poser aussi des questions sur la place des femmes et des hommes dans les cursus, l'insertion professionnelle, le déroulement de carrière, les fourchettes de salaire, les conditions de travail. Amener les garçons et les filles à s'interroger sur le poids des représentations sociales dans l'intérêt ou le rejet qu'ils manifestent pour telle profession. |
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L'Hôtellerie n° 2736 Supplément Formation 20 Septembre 2001
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Jeune mariée
depuis le mois de juin, Amandine Aspar-Chaignot (22 ans) y croit. "Pour une fille,
il est important d'avoir une vie privée, même si cela n'est pas toujours facile à
concilier avec le travail." De toute façon, la jeune femme a toujours fait les
choses à sa façon. Et la recette semble fonctionner. Bac scientifique avec mention en
poche, elle passe 2 ans sur les bancs de la faculté de pharmacie. Qu'elle abandonne
après une première expérience de serveuse dans l'hôtellerie. "J'ai fait une
année de mise à niveau en contrat de qualification à l'école Ferrandi, en alternance
à la Maison de l'Aubrac. Je suis ensuite entrée chez Prunier où je suis restée deux
ans." En janvier dernier, elle se tient sur le podium derrière François
Adamski, gagnant du Bocuse d'or, dont elle a été le commis. "Il y a eu des
moments où l'on me regardait avec curiosité. Certains ont même cru que j'étais la
petite amie de François. En revanche, il y avait davantage de femmes dans les autres
équipes." 
