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Le Calle Ocho à Bordeaux

Un bar cubain qui dérange

Le Calle Ocho, bar cubain et ambiance salsa, est un must dans le genre. Son seul handicap est d'être situé dans le centre historique de Bordeaux. Des riverains excédés ont porté plainte pour nuisances sonores. Le tribunal de police a rendu son verdict le 25 juin dernier : 560 000 F d'indemnités à verser aux plaignants. Face à la démesure de la sanction, Richard de la Cruz, gérant-fondateur de l'établissement, a fait appel. Quelle qu'en soit l'issue, le Calle Ocho survivra.

En début de semaine, on peut encore trouver une table et atteindre les cacahouètes, de vraies cacahouètes dans leur coquille, offertes généreusement par la maison. Mais à partir du jeudi, il faudra jouer des coudes pour parvenir au comptoir. Dans un décor typique de maison traditionnelle cubaine, l'espace, sur 150 m2, aux murs tapissés d'affiches, se déploie sur trois niveaux, autorisant des replis stratégiques pour une clientèle de tout âge, de 18 à 60 ans. La réputation du Calle Ocho dépasse les frontières hexagonales ; il figure d'ailleurs en bonne place dans tous les guides touristiques ! Et si d'autres bars cubains existent dans la cité, il fut le premier à avoir montré la voie. C'était le 8 mars 1996, le 8 étant le chiffre fétiche de Richard de la Cruz, Espagnol d'origine, maçon et architecte en bâtiment de formation, et passionné par tout ce qui touche à la culture cubaine, y compris le havane dont il ne se sépare jamais. Il est intarissable sur la fameuse rue numéro 8 de Miami aux Etats-Unis, où se retrouvent tous les Cubains exilés. C'est donc naturellement qu'il a choisi de baptiser son enclave cubaine Calle Ocho (rue numéro 8 pour les non-hispanisants). 4 à 5 concerts sont organisés par mois. Tous les mercredis soir, au programme, animation salsa, et pour la mise en pratique, des cours sont dispensés le jeudi soir. Avec ou sans animation, la musique rythmée par le DJ Don Luis réveille les corps, réchauffe le cœur. Le mojito, la grande spécialité de la maison à base de rhum Bacardi, est, d'après les connaisseurs, le meilleur de France. D'autres spécialités font référence comme la Caïpirinha, le Daïquiri, l'Hemingway... L'établissement détient le record des ventes en France de bouteilles de rhum blanc, 14 000 à l'année, c'est peu dire.
Mais la clé du succès réside avant tout dans une ambiance inimitable. Ici la convivialité est poussée au maximum : "La salsa est une musique qui incite les gens à communiquer, analyse Richard de la Cruz. Et puis ici, c'est surtout une famille" ; comprendre que le personnel est aussi fidèle que la clientèle. Ouvert du lundi au samedi de 19 heures à 2 heures, l'établissement, qui emploie entre 7 et 15 personnes selon les jours, réalise un chiffre d'affaires de 6 MF.

Se mettre aux normes sonores : pas facile, même avec beaucoup de volonté
Tout serait donc pour le mieux si le Calle Ocho se trouvait sans habitations à proximité. Mais rien de tel, loin s'en faut. La cohabitation entre le bar d'ambiance et les riverains mitoyens a d'emblée posé des problèmes. Excédées par le bruit la nuit, deux familles sont allées au tribunal de police pour faire entendre leur voix. "Je veux bien reconnaître mes torts", confesse Richard de la Cruz qui n'est pas du style à fuir ses responsabilités. D'ailleurs, il est le premier à conseiller aux autres "de se mettre en conformité avant d'ouvrir de telles affaires. Moi, au départ, je n'en avais pas vraiment les moyens".
En rachetant un immeuble délabré au cœur du quartier Saint-Pierre, un quartier historique de Bordeaux, qui est devenu ces dernières années le plus branché de l'hypercentre, Richard de la Cruz n'y a vu qu'une judicieuse opération immobilière. "Ce quartier était moribond. J'ai acheté l'immeuble 200 000 F. J'ai tout refait à l'intérieur, puis j'ai cherché à le mettre en gérance. Personne n'en a voulu. C'est pourquoi j'ai fini par me lancer en créant ce bar dont le nom a été déposé à l'Inpi." Deux ans plus tard, il rachète pour 300 000 F l'immeuble mitoyen situé à l'arrière. Une opération qui lui permet d'agrandir jusqu'à pouvoir accueillir aujourd'hui 200, voire 300 personnes, debout et collées serrées !
Dès les premières plaintes, des travaux ont démarré, mais sans améliorations notables. Même la seconde fois, en répondant aux cahiers des charges de l'organisme Veritas, rien n'y a fait. Puis arriva la rencontre providentielle. Emmanuel Merida, un architecte acousticien, professeur à la faculté de Bordeaux, possède la bonne formule. Les planchers mitoyens ont été désolidarisés des sols, les plafonds et les murs doublés avec trois épaisseurs de placoplâtre et 16 cm de laine de roche. Mais surtout, tout a été monté sur caoutchouc, du sol au plafond. Cette fois, c'est la bonne. Le document certifiant les valeurs d'isolement acoustique peut être établi. Mais le contentieux court toujours et les plaintes finissent par être jugées en juin. La sanction tombe.
560 000 F d'indemnités à répartir entre les membres des deux familles pour 6 infractions relevées sur les trois dernières années. (Il y eut prescription pour les années précédentes.) Bref, du jamais vu à Bordeaux, ni ailleurs peut-être. Les plaignants eux-mêmes ont reconnu qu'ils ne s'attendaient pas à une telle indemnisation, alors même qu'ils admettaient l'efficacité des derniers travaux réalisés.
"Il est certain que si je perds en appel, je serais en difficulté", ne cache pas Richard de la Cruz, et d'ajouter aussitôt : "Mais pas au point de mettre la clé sous la porte."
B. Ducasse zzz26x zzz66v


"Il est certain que si je perds en appel, je serais en difficulté. Mais pas au point de mettre la clé sous la porte", explique Richard de la Cruz.

En chiffres

CA
6 MF

Superficie
150 m2 sur 3 niveaux (les comptoirs non compris)

Effectif
15 personnes, dont 7 à temps plein

Ouvert du lundi au samedi de 19 heures à 2 heures

 

Vers une charte de bonne conduite ?

A l'initiative du quotidien régional Sud-Ouest, un débat portant sur les nuisances sonores la nuit a été organisé en juin entre le préfet de police, Jacques Gérault, l'adjoint au maire, Michel Duchène, des représentants de bars et boîtes de nuit et de riverains. A l'issue d'un débat pointant les difficultés de concilier désir légitime des riverains à la tranquillité, souhait de la ville de dynamiser le centre en attirant de nouvelles familles et implantation de bars d'ambiance, des idées ont été avancées.
Fruit d'un dialogue permanent avec la mairie, le préfet de police a expliqué qu'il s'agissait "d'avoir une dissémination harmonieuse des boîtes de nuit dans la cité. L'idée est de répartir les établissements tous les 200 ou 300 mètres, par exemple. C'est-à-dire qu'on interdit l'ouverture d'un établissement dans un certain périmètre s'il en existe déjà un". Restera à prendre un arrêté en ce sens comme l'ont fait certaines villes.
Au nom de la mairie, Michel Duchène a conclu sur une volonté de dialogue : "Je crois qu'il serait bien d'aller vers une rencontre entre pouvoirs publics, tenanciers et riverains. Ceci afin de rédiger une charte de déontologie et d'avoir des réunions régulières." Une charte de bonne conduite pour demain à Bordeaux ? L'idée est lancée.

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L'Hôtellerie n° 2734 Hebdo 6 Septembre 2001

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