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Les sinistrés de la Somme

"On se relèvera, on se battra"

Quand l'eau reflue, quand le soleil revient, on respire un peu mieux dans la basse vallée de la Somme. "On se relèvera, on se battra avec un grand projet touristique", promet Michelle Delage, restauratrice, élue locale et syndicaliste à Abbeville. Les dépôts de bilan restent pour le moment très peu nombreux. Mais le proche avenir s'annonce difficile. Les professionnels encore choqués s'organisent pour faire valoir droits et solidarité auprès des assureurs et des organismes sociaux.

Compter les dégâts, se battre pour être indemnisés, reconstruire pour redémarrer, voilà les préoccupations des sinistrés sortis de l'eau du 10 au 20 mai dans la Somme. A Mareuil-Caubert, peut-être la commune la plus touchée du département, au sud-est d'Abbeville, les Lemarchand, restaurateurs à l'Auberge du Col Vert, ont tourné le dos au fatalisme. Partis de zéro, il y a 4 ans, ils sont parvenus à construire une clientèle fidèle, jusqu'à ce 29 mars, quand l'inondation a débuté. Le 1er avril, ils cessaient l'exploitation et mettaient leurs 2 salariés au chômage technique. Un moment abattus, ils ont résisté grâce à l'entraide. La Caisse Organic d'Auray (Morbihan) a "bien réagi", témoigne M. Lemarchand. Pour l'Urssaf, c'est "assez long". Avec la commune et les pouvoirs publics, les réactions ont été bonnes. La famille fut l'une des premières relogées dans des mobile homes. Le restaurateur a alors fait la cuisine bénévolement à l'école pour les enfants des familles sinistrées. Sa banque, "qui me connaît bien", dit-il, l'a suivi. Le 24 mai, sous un soleil estival chaleureux, ils reprenaient espoir, mais leur maison, en contrebas du restaurant enfin à sec, était encore en partie inondée. Le lundi suivant, l'expert de l'assurance était attendu, le lendemain était prévue une contre-expertise. L'Auberge du Col Vert était bien assurée en perte d'exploitation. "Mais nous ne rouvrirons pas avant octobre, peut-être décembre. Il faut tout refaire, et les entreprises de la région sont surchargées."
La gare SNCF est sortie de l'eau, les premiers trains légers circulent déjà. Des autobus assurent les liaisons urgentes. Mais le Buffet de la Gare ne rouvrira pas de sitôt. La gérante concessionnaire, Marie-Thérèse Delarue, a déposé le bilan le 11 mai. Elle escompte que les remboursements d'assurance lui permettront de payer ses dettes, sans plus. Mais à l'évidence, l'endroit ne souriait plus à cette veuve surchargée d'une affaire lourde qui nécessite 7 à 8 salariés. Outre la remise en état du fait du sinistre, le Buffet avait déjà besoin d'investissements. La SNCF, peu pressée de dépenser pour ses buffets de gare, attend comme ailleurs d'autres propositions. Entre compte bloqué et échéances étranges (comment demander un loyer ou tout autre somme d'argent d'ailleurs à une entreprise sinistrée par une longue grève SNCF puis une inondation ?), cette professionnelle jette l'éponge. "On a toujours travaillé et payé, jamais rien demandé à personne. Demander des aides, ce n'est pas notre métier. Je suis révoltée, ras-le-bol des papiers", lâche-t-elle, désabusée. Mais elle pense déjà à une autre affaire plus modeste, dans le giron familial.
Dans les autres établissements proches de la gare, au Narval, à l'Etoile d'Istanbul, la menace de l'eau est passée, l'accès est enfin libre, mais le commerce n'a pas vraiment repris à un niveau normal. 2 mois de chute du chiffre d'affaires, et aucune assurance pour y remédier, car les établissements n'ont pas vraiment subi de dégâts... Le débitant de tabac espère un geste de sa mutuelle. Pour la majorité des professionnels, ce sera une perte sèche.

Perte d'exploitation sans dégâts
Pour beaucoup, c'est d'ailleurs là le problème essentiel. Le département compte quelque 45 sinistrés, dont une dizaine d'inondés, mais surtout plus de 30 indirects par blocage de la voirie sur arrêté préfectoral ou autres mesures similaires. Les inondés ont subi les deux préjudices avec un décalage dans le temps. Richard Benazera, à Amiens, est le patron du Pré Porus, une affaire emblématique de la ville. C'est une belle guinguette au bord de la rivière et auprès des hortillonnages. La première licence du Pré Porus date de 1878. Richard Benazera l'a acquise il y a 15 ans en quasi ruines et reconstruite pour en faire une affaire à 100 à 120 couverts/jour avec des pointes à 350-400, auxquelles s'ajoutent des groupes et fêtes le week-end et jours d'événement. Le ticket moyen est proche de 200 francs, l'affaire emploie de 12 à 17 salariés. Un chapiteau sur la prairie attenante et une belle terrasse portent la capacité à 500 places assises. Le 27 mars, juste à la reprise après le mois de fermeture annuelle, l'eau envahissait la moitié du restaurant, les jardins, la terrasse en bord de Somme. Sans oublier le chapiteau et son barbecue, perdus, pense le patron. Les trois accès routiers étaient coupés sous protection de la police. Le 23 mai, l'un des trois accès était encore gardé. L'eau s'est retirée progressivement à partir du 4 mai. Le Pré Porus a rouvert le 10 mai pour l'un des rares groupes qui n'avaient pas annulé, avec l'aide de la mairie et des pompiers venus ouvrir l'un des trois accès. La troisième semaine de mai, sous un grand soleil, le courant puissant de la Somme à côté, la terrasse était occupée par quelques clients heureux, mais encore peu nombreux. "J'ai acheté 4 pompes qui ont fonctionné 24 h/24 pendant 1 mois pour limiter les dégâts. L'ensemble du personnel a été mis en chômage technique, mais je n'ai encore rien touché. J'ai eu 7 000 couverts annulés. Impossible d'évaluer le passage perdu... 3 salariés, très demandés, m'ont quitté pendant cette période", énumérait Richard Benazera le 23 mai. L'Association des sinistrés de la Somme qu'il préside dans la région amiénoise, avec une soixantaine d'adhérents commerçants, agit pour demander des aides publiques et les reports sans pénalité de cotisations sociales, les compagnies consulaires à l'appui. L'urgence est de faire savoir à la clientèle que la vie a repris ses droits. "Je reçois des groupes moyennant 10 % de commission reversés à l'office de tourisme. Elle a accepté par solidarité de nous faire grâce de quelques commissions. Mais 250 groupes ont été annulés jusqu'en septembre", note encore le patron du Pré Porus. La trésorerie a permis de tenir jusque-là. Mais à présent, les banques doivent suivre. Les hortillonnages sont encore inaccessibles, l'office s'efforce de réorienter le tourisme vers d'autres destinations. Le département n'en manque pas. Le problème majeur (lire encadré p. 2), côté remboursement des assureurs, est que, dans le cadre du décret de catastrophe naturelle, les assureurs sont tenus de payer les dégâts du fait des eaux et des boues. Mais non les pertes d'exploitation pour cause de routes barrées, cas de la majorité des sinistrés. Le Pré Porus et d'autres ont subi bien plus que des dégâts matériels. Où s'arrête la perte d'exploitation ?

Bombe à retardement
"Pour le moment, nous faisons pression en association. Beaucoup ont demandé une avance mais n'ont rien perçu. Nous demandons une aide auprès des pouvoirs publics, via la cellule de crise", conclut Richard Benazera. Le soleil est revenu, le moral va mieux, mais l'hiver reviendra. C'est ce que craint Christine Hébert, patronne de Picardie Croisières. Cette entreprise réalise la moitié de son chiffre annuel de restauration à bord en balade sur la péniche Picardie en mai et juin. Depuis janvier, le service des voies navigables a interdit la circulation sur le bief où évolue la péniche pour cause de crue. Ce restaurant flottant sert normalement 300 à 400 repas par jour en mai et juin, guère plus de 50 par semaine en mai dernier. Sans la croisière, les groupes annulent. Déjà, 1 million de francs de CA est perdu. Le Restaurant de la Picardie reçoit un peu de passage (surtout des groupes, collectivités, troisième âge). L'entreprise emploie un capitaine et une personne à l'année en service hôtelier, 2 à 3 personnes en salle et autant en cuisine en saison. La cuisine se fait entièrement à bord. Le ticket moyen croisière et repas est de l'ordre de 200 à 250 francs, c'est-à-dire serré. Le capitaine est en chômage technique total, le personnel hôtelier permanent en chômage partiel. La banque suit pour le moment, mais les assurances ne veulent entendre parler d'aucune indemnisation. La Picardie n'a pas subi de dégâts, et elle est théoriquement en état de travailler puisqu'ouverte à une clientèle... absente. Christine Hébert a déjà pris ses premières décisions : au minimum, fermeture exceptionnelle du 15 octobre prochain à début avril, et licenciements économiques. "J'ai beaucoup écrit, sans résultat pour le moment, pour demander une aide publique, report de cotisations et intervention de mes assureurs. Si le travail ne reprend pas tout de suite, c'est la fermeture définitive. J'ai déjà perdu 10 000 couverts ou promenades, et les annulations continuent." Dans le meilleur des cas, si les affaires reprenaient, si le fisc, la banque et les organismes sociaux patientaient, si quelque aide était obtenue, il faudrait encore embaucher et redémarrer au printemps. Difficile.
A. Simoneau zzz16


La terrasse du Pré Porus après les inondations à Amiens. Le soleil est revenu, mais les problèmes s'accumulent.

Craintes et espoirs

Plusieurs dizaines de professionnels sont, à des degrés divers, menacées de fermeture à terme dans quelques mois. Pour soigner les urgences immédiates, le syndicat intervient auprès de la CMR et d'Organic Picardie pour obtenir des aides immédiates. Jean-Claude Després, président départemental, escompte un chèque de 5 000 francs par affaire, et surtout le report des cotisations, car dans bien des cas, pendant le sinistre, les prélèvements continuent. La chambre professionnelle de la Somme a mis en place une bourse virtuelle au matériel pour permettre un redémarrage des exploitations avant l'indemnisation et la reconstruction. Les attitudes des organismes sociaux sont diverses. Organic Picardie, après des promesses, n'avait pas donné grand-chose à la date du 24 mai, mais les négociations se poursuivaient par le biais de la cellule de crise. Une enveloppe de 300 000 francs est attendue. Côté Urssaf, Michelle Delage à Abbeville jugeait l'attitude "très dure", les commerçants "très mal reçus". La consigne est de "demander un échéancier, ne pas céder aux injonctions de paiement immédiat, mais faire savoir que l'on veut payer, plus tard". Michelle Delage se veut positive : "Nous les Picards, nous allons nous redresser, mais cela prendra du temps. Il y aura des dépôts de bilan. Puis les gens relèveront la tête et feront autre chose. La Baie de Somme vient d'être classée l'une des plus belles baies du monde. Nous avons de grands projets touristiques pour le département." Thierry Dupré, président du Syndicat des restaurateurs de la Somme, et chef propriétaire à Saint-Valéry-sur-Somme, note chez lui une perte de 10 % de CA en avril et mai, du fait d'annulations intempestives, alors que cette station n'a jamais été inondée. Mais le soleil est revenu. Avec un peu de retard, les touristes sont là.

L'indemnisation des inondations par les assureurs

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L'HÔTELLERIE n° 2722 Hebdo 14 Juin 2001

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