Derrière les paillettes de la Croisette à Cannes
Dans le quartier le plus chic de la ville, un couple continue à pratiquer la même cuisine familiale : "Comme à la maison", à des prix défiant toute concurrence. Depuis 1958, le Côte d'Azur accueille une clientèle d'habitués dont de nombreux retraités.
Pas évident de se maintenir au cur de Cannes, alors que progressivement, du bistrot au gastronomique, les enseignes de restauration disparaissent au profit du prêt-à-porter et de l'immobilier. Propriétaires du fonds et des murs, Françoise et André Gonzalès parviennent à résister en jouant sur un marché au jour le jour, une carte simplifiée, et une clientèle régulière dont le couple connaît la moindre des habitudes. Dans un cadre joliment désuet, chaque client a ou presque sa place attitrée. Les plus anciens déjeunent quasiment tous les jours dans ce restaurant depuis 35 ans. Derrière une devanture discrète de petits rideaux grand-mère, l'effectif est réduit. Françoise est la seule à servir les plats de son mari André, 57 ans, qui a repris l'affaire de ses parents en 1983. Pourtant, le Côte d'Azur a compté jusqu'à 6 salariés pour une moyenne de 60 couverts par service. C'était avant la crise. Jusqu'en 1994, les époux Gonzalès ont eu une serveuse, mais à présent ils travaillent seuls. "Nous ne nous en sortirions pas si nous ne travaillions pas exclusivement en couple. Nous ne dépassons pas le Smic", déclare André, qui assure lui-même la plonge depuis 1987. En plus du service en salle, Françoise se charge de la pâtisserie : un gâteau différent chaque jour (14 F) et des crèmes caramel en permanence (14 F).
Diversifier sans risquer de décevoir
"Les gens aiment manger chez nous ce qu'ils ne trouvent pas chez eux, explique
Françoise. Nous avons par exemple radicalement supprimé les fruits. Nos clients se
les réservent pour le grignotage frugal du soir chez eux. De même que le poulet rôti
qu'ils achètent facilement le dimanche, notre jour de fermeture. Nous devons également
tenir compte de l'évolution des habitudes alimentaires. Aujour-d'hui par exemple, les
personnes âgées font attention à leur ligne et à leur forme physique. Mon mari est
vigilant quant à la préparation du plat du jour : jamais un plat en sauce deux jours de
suite. Il faut reconnaître qu'en dépit de leur régime, nos clients tiennent quand même
à un dessert. Comme si un repas sans sucrerie n'en était pas un. Quand on travaille avec
des habitués, nous devons faire ce type d'efforts." Pour varier l'ordinaire de
sa cuisine qu'il définit comme "bourgeoise", André Gonzalès a
également instauré un système de suppléments. 10 francs en sus s'il s'agit de magret
de canard ou de filet de buf, et 5 francs pour l'escalope de veau. C'est le plat du
jour à 50 francs qui remporte le plus de suffrages, le menu à 85 francs atteignant à
peine 25 % du chiffre d'affaires. Le même plat revient chaque mois. Le jour de l'aïoli,
la moyenne est de 35 couverts. André s'approvisionne en majeure partie dans un
supermarché local. Pas de stock, il s'y rend chaque matin.
Sur les 10 % de clientèle non régulière, le Côte d'Azur recense quelques commerçants
du quartier, soit cinq personnes sur 25 couverts par repas. Et aussi quelques festivaliers
et congressistes amenés par les hôtels proches. Cependant, André ne souhaite pas signer
un partenariat officiel avec un ou plusieurs hôtels, échaudé par une mauvaise
expérience. "Quand j'ai expérimenté ce système, j'ai eu ensuite toutes les
peines du monde à me faire payer."
Pas de fermeture annuelle
Paradoxalement, compte tenu de la proximité du palais des congrès, le festival du film
n'amène pas plus de trois à quatre habitués chaque année. "Le déplacement du
palais nous a beaucoup lésés, regrette André. Avant, nous nous trouvions au
cur de l'animation. Ceux qui sont venus cette année étaient en fait des gens
fidèles d'une année sur l'autre. Dans le quartier, nous sommes de plus en plus
isolés." Un isolement qui se traduit par la fermeture du cinéma Ambassades, de
restaurants comme le Magali, le Petit Nid ou le Brasilia, ou des établissements plus
gastronomiques comme la Toque Blanche, et enfin les brasseries comme le Blue Bar ou encore
le Petit Carlton, qui ouvrait 24 heures sur 24. Les époux Gonzalès verraient d'un bon
il, l'installation de nouveaux professionnels, "car c'est la concentration
des établissements qui attire les clients." Pas de saisonnalité sur la Côte
d'Azur, hormis quelques périodes légèrement plus creuses. En contrepartie, depuis dix
ans, le couple Gonzalès ne s'accorde plus aucune fermeture annuelle, craignant de voir
une partie de sa clientèle lui fausser compagnie. Il profite uniquement des week-ends
prolongés, puisqu'il a choisi de ne pas travailler les jours fériés. "Un
service et une attention personnalisés constituent nos obligations pour subsister,
raconte Françoise. S'il nous arrive de prolonger la fermeture, les clients nous
manifestent clairement leur désapprobation. Nous avons encore dix ans d'activité,
autant jouer le jeu jusqu'au bout !"
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L'HÔTELLERIE n° 2698 Hebdo 28 Décembre 2000