Gibier d'eau
Avec les normes d'hygiène de plus en plus sévères, les restaurateurs hésitent à inscrire le gibier dans leur carte. Une filière d'élevage contrôlé devrait permettre la production de canards colverts sur la côte picarde, et redonner des solutions aux professionnels de la restauration.
Michel Savreux a prévu d'inscrire le colvert sur ses menus de fin d'année.
Michel Savreux, restaurateur
à La Picardière, à Epagnette (Somme), explique avec gourmandise : "Lorsque je
cuisine, j'aime retrouver les senteurs de mon enfance." Le canard colvert, "un
classique de l'art culinaire en Picardie", et un oiseau maître de la baie de
Somme. Il le prépare en deux cuissons : les cuisses sont mijotées au cidre, et le filet
poêlé saignant. Le tout est servi avec un hachis de foie et de gésier sur croûton, une
pomme au four, une betterave rouge, au four également, et déglacé à l'hydromel. "Le
colvert est un gibier, un oiseau en muscle à la chair très ferme. Il faut être très
méfiant en ce qui concerne la cuisson", précise-t-il. La baie de Somme est une
terre de chasse, en particulier pour le gibier d'eau. Le passage des becs plats se faisant
plus rare, les normes d'hygiène et de traçabilité devenant plus exigeantes, peu de
restaurants picards proposent encore à leur carte du gibier d'eau. Celui-ci est pourtant
un vrai produit du terroir : Mme de Sévigné, dès le XVIIe siècle, vantait le pâté de
canard d'Amiens, connu dès le haut Moyen-Age, et en fournissait la recette.
L'initiative de deux syndicats inter cantonaux, du sud et du nord de la baie, avec le
soutien logistique de la chambre d'agriculture de la Somme, tâche de remédier à cette
lacune et de promouvoir une filière du canard colvert. Lors de la Quinzaine du
caractère, une manifestation née de l'initiative des Tables régionales de Picardie en
octobre dernier, l'accent a été mis sur cet oiseau. Une étude a été diligentée pour
vérifier la faisabilité de la mise en place d'une filière complète : élevage,
abattage, commercialisation, restauration. Un éleveur de Rue (Somme), Jacky Fauvelle, qui
élevait déjà des canards - des appelants, oiseaux captifs qui ont pour mission
d'attirer leurs congénères devant le fusil des chasseurs -, a développé une production
propre à la restauration. Un abattoir spécialisé à Nibas les tue et les prépare, et
un commercial recherche des débouchés. Un boucher-charcutier à Rue et un volailler à
Amiens commencent à en vendre.
Une charte de qualité
Les initiateurs de ce qui devrait devenir la marque 'Canard colvert de la côte picarde'
ont aussi défini une charte arrêtant les conditions d'élevage (dans une volière et
avec une pièce d'eau, de sorte que l'oiseau vole et nage pour se muscler et développer
ses pectoraux), respectant la vie naturelle de l'oiseau, seule l'éclosion étant
maîtrisée par un incubateur, l'âge de la bête à abattre (15 à 18 semaines), et les
conditions d'abattage. "La bête ne doit pas être trop dure, mais doit conserver
le caractère du gibier", précise Isabelle Aslae à la chambre d'agriculture.
Le but poursuivi est la création d'élevages en baie de Somme, un développement
commercial par des charcutiers, volailleurs et traiteurs, et la mise à disposition des
restaurateurs d'un produit type de la baie. Selon l'étude préliminaire, le marché
pourrait porter sur 60 000 à 80 000 animaux par an au niveau national ; un marché
saisonnier, en fonction de la ponte, qui s'étend de juin à Noël.
Michel Savreux a d'ailleurs bien prévu d'inscrire le colvert sur ses menus de fin
d'année. A ce jour, ce canard figure sur son menu à 189 F, le seuil nécessaire, selon
lui, pour que la rentabilité soit assurée. Le colvert ainsi élevé est plus cher qu'un
canard ordinaire. Selon Isabelle Aslae, le prix d'achat pour une bête d'environ 1 kg,
pour deux personnes, avoisine 50 à 60 F. "Au début, ajoute Michel Savreux, le
colvert au menu a d'abord été reçu comme une curiosité, mais les clients ont été
satisfaits. Et puis nous sommes là pour le promouvoir. Après tout, un cuistot est le
dernier maillon de la chaîne des produits de la terre, de la mer et du ciel."
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L'HÔTELLERIE n° 2694 Hebdo 30 Novembre 2000