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A la loupe
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Simone Morand

La gardienne du temple

A plus de 80 ans, Simone Morand demeure la référence de la cuisine bretonne. Quel chef ne s'est pas un jour inspiré de ses recettes, objets de nombreux ouvrages ? Cette dame charmante vit à Rennes entre musique et gastronomie. Elle nous ouvre ses portes.

L'interphone résonne dans l'appartement de Simone Morand. "C'est Bertrand", annonce le visiteur. "Des Bertrand j'en connais quatre !" Finalement celui-là est un lecteur assidu des œuvres de Simone. Ils s'installent autour d'un thé dans l'un des deux petits salons où trônent, chacun dans sa pièce, deux pianos, dont un forte. A première vue, nous sommes bel et bien chez une musicienne, à voir les nombreux instruments ornant les murs ou les partitions s'entassant sur les étagères. Et la conversation entamée entre l'écrivain et le lecteur porte rapidement sur un autre art, la gastronomie. Car Simone Morand demeure la référence incontestée de la cuisine bretonne traditionnelle. Aujourd'hui, les chefs ne jurent que par elle. Ses lecteurs se comptent par milliers et ses ouvrages, pour certains épuisés depuis longtemps, tiennent une place de choix dans plus d'une cuisine. Les amateurs de bonne chair connaissent ses recettes sans d'ailleurs toujours savoir qui en est l'auteur. Simone Morand, l'Agatha Christie de la cuisine bretonne, avec, en lieu et place du Crime de l'Orient Express, les classiques La Gastronomie bretonne d'hier et d'aujourd'hui vendu à plus de 50 000 exemplaires.
Bien que s'intéressant en premier lieu à la musique, Simone Morand a toujours baigné dans la cuisine. Au fourneau chez elle, dans ce pays Gallo de la Mézière en Ille-et-Vilaine ou en donnant un coup de main dans les fermes lors des préparatifs de noces. Parallèlement, elle commence l'œuvre de sa vie, la collecte d'informations. Tout d'abord sur la musique - Simone Morand signera, en 1936, le premier livre de chansons d'Ille-et-Vilaine écrit en musique -, puis les costumes, avant de recueillir des informations sur la cuisine. Ce travail de fourmi la mène dans plusieurs départements bretons, normands ou d'Anjou, dans les bars, dans les phares, les châteaux, les presbytères, les fermes, bien entendu... "Ah quand j'y pense, vous imaginez à l'époque une femme rentrant dans les bistrots ! Ce n'était pas facile de faire parler les gens. Je demandais aux marins 'Qu'est-ce que vous faites à manger ce midi ?' etc. Il fallait prendre des rendez-vous, tout ça a été très compliqué. Et les gens causaient en se demandant ce que j'allais faire dans ce phare, dans ces bistrots avec les hommes !" Elle provoque les rencontres, fait parler les gens, écoute, note les recettes dans ses petits cahiers... Curieusement, elle ne fréquente guère les restaurants de l'époque. "Les chefs ne voulaient pas me voir dans leur cuisine. On me demandait souvent 'De quoi vous mêlez-vous ?', confie-t-elle. A l'époque, il y avait un côté dévalorisant à faire de la cuisine régionale."

L'amie des chefs
Mais les années passent, les modes changent et les conscien-
ces évoluent. Simone Morand poursuit son labeur jusqu'au jour où "un chef m'a dit merci ! Merci pour ce que j'avais fait dans mon premier livre". Ce chef, Leroy, officie aujourd'hui à Paimpol au Repaire de Kerroc'h. Elle côtoie désormais ces virtuoses du piano qui la considèrent comme une pionnière. Une amitié s'instaure. "Je me rappelle lorsque Marc Angèle était mon voisin, il me donnait des pigeons, me prêtait ses casseroles pour cuire un chapon..." La petite dame, "haute comme trois crêpes", ne tarit pas d'éloge sur les professionnels devenus ses amis, à l'image par exemple de Véronique Brégeon, propriétaire du Coq Gadby.

Ne pas en faire trop
Mais en bonne gardienne du temple, elle n'est pas encore prête à tout accepter et, conservant sa liberté de ton, ajoute : "Ils sont parfois un peu trop Picasso. Ils créent de nouvelles choses en faisant des mélanges. Il ne faut pas en faire trop. Les chefs réalisent des choses somptueuses et délicieuses, mais ce n'est pas de la cuisine bretonne, c'est autre chose. On ne transforme pas une valse de Chopin, on fait une autre valse. Il est difficile pour un restaurateur de faire de la véritable cuisine régionale. On ne va pas trouver dans un restaurant de la saucisse au choux ! Je pense que le chef s'approchant le plus de la cuisine régionale reste Chandouineau à Redon." Simone s'apprête à sortir un nouvel ouvrage, La cuisine des loups de mer, comportant 150 recettes. Et si elle retrouve un peu d'énergie, elle devrait coucher sur le papier les nombreuses autres recettes inexploitées restées dans ses armoires. En parlant d'ouvrages, elle se lève et va chercher le livre d'Olivier Rœllinger. "Il est magnifique. J'aimerais un jour faire un livre comme ça, même si ce n'est pas tout à fait le type de livre de mon lectorat." Un regret peut être exaucé un jour. A l'inverse, un autre souhait ne se réalisera jamais. "J'arrive à plus de 80 ans et je n'aurais jamais mon restaurant. Qu'est-ce que j'aurais aimé !"
O. Marie

 
Simone Morand, l'Agatha Christie de la cuisine bretonne, avec, en lieu et place du Crime de l'Orient Express, les classiques La Gastronomie bretonne d'hier et d'aujourd'hui vendu à plus de 50 000 exemplaires.

En dates
1958
Arrivée à Quimper, début des écrits sur la cuisine

1965
La Gastronomie bretonne d'hier et d'aujourd'hui - épuisé -

1970
La Gastronomie normande d'hier et d'aujourd'hui

1982
La cuisine populaire de Bretagne

1988
La cuisine bourgeoise de Bretagne

2000 ou 2001
La cuisine des loups de mer


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L'HÔTELLERIE n° 2684 Hebdo 21 Septembre 2000


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