Finale du Meilleur ouvrier de France
Jurés et membre du comité d'organisation ont fait, en trois jours, leur semaine de 35 heures... et même beaucoup plus. La finale du concours de MOF n'est pas qu'une partie de plaisir !
Hall du Libertel-Strasbourg 5
h 00 du matin. Quelques ombres fantomatiques circulent. Regards ensommeillés et
conversations feutrées. Paul Bocuse et Joël Robuchon mobilisent les troupes. Cap sur le
lycée hôtelier d'Illkirch pour accueillir les premiers candidats. Les membres du jury
cuisine emboîtent le pas pour préparer les lieux.
6 h 00, lycée hôtelier Alexandre Dumas. La première vague de candidats débarque. Six,
pour qui le grand jour débute : contrôle des pièces d'identité, émargement de la
feuille de présence, briefing du duo Bocuse-Robuchon.
"Vous êtes peut-être stressés, mais nous sommes là pour vous aider à faire de
bons MOF. Vous avez du bon matériel et vous êtes dans une bonne école. Bon courage et
bonne chance", lâche Paul Bocuse qui ne cessera - comme Joël Robuchon - de
louer le parfait accueil reçu dans les lieux.
"N'oubliez pas que vous ne devez pas apporter de préparations. Tout doit être
listé et seul le caviar est fourni. Nous sommes très exigeants sur le gaspillage. Une
fois entré en cuisine, il n'y a plus de tolérance. Vous devez débrancher vos
téléphones portables, puisque vous êtes désormais coupés de l'extérieur. Vous
disposez de 4 heures 30 pour réaliser les trois plats dont le premier devra être envoyé
après 3 heures 30, puis les deux autres toutes les 30 minutes. Soyez bien à l'heure car
il y a un contrôle très strict en cuisine", complète Joël Robuchon,
sollicitant les éventuelles questions des candidats. "Ne vous faites pas de
souci, tout va bien se passer. Il n'y a aucun quota de lauréats imposé par
l'organisateur. Pour une fois, ce sont les cuisiniers qui décident", rassure
Paul Bocuse.
Pendant 6 h 30, en cuisine, Paul Bocuse et Joël Robuchon passent le relais à Georges
Pouvel, et son équipe. A partir de ce moment, personne n'est autorisé à pénétrer en
cuisine (1). Et il n'existe désormais aucune passerelle avec la salle de dégustation.
Tirage au sort de l'ordre de passage et du poste de travail, vérification du matériel,
conformité du bon d'économat. Désormais le candidat n'a de contact qu'avec ses deux
commis désignés par tirage au sort. Le marathon commence.
7 h 00 au piano. Le premier candidat d'une longue série attaque le travail. Il devra
envoyer l'entrée à 10 h 30, le plat à 11 heures, le dessert à 11 h 30... mais il sera
bloqué en cuisine jusqu'à 13 h 20, et l'envoi du plat final du dernier des douze
candidats du matin. Au même moment, et avec les mêmes mots rassurants, la deuxième
vague de concurrents est accueillie.
9 h 00, à proximité de la salle de dégustation. Paul Bocuse, Joël Robuchon et Roger
Vergé, président du jury ont réuni leurs jurés. Consignes et recommandations,
explications des feuilles de notation et rappel : la plus haute et la plus basse note
seront éliminées. "Comme en patinage artistique", s'amuse Paul Bocuse.
10 h 30, salle de dégustation. La première entrée est présentée aux six jurés. Dans
la journée, chacun jugera 24 plats. De quoi faire une overdose de caviar ici, de canard
et de fraises à côté. Chacun avec sa méthode, prend sa tâche à cur. Silence
religieux dans la salle avec très peu d'échanges entre jurés. La concentration est de
rigueur. L'un note une première fois au crayon, l'autre hume et regarde longuement avant
de faire son choix. Emile Jung appuie sa réflexion par un croquis de chaque plat. Le
"croquer" de son plat permet de se familiariser avec la prestation de l'autre.
C'est une manière de mieux l'appréhender pour mieux le noter.
11 h 30, loge de repos des candidats. Le premier en a terminé. Yeux cernés, traits
tirés et visage gris, épuisé. "Je fais des sorties de 150 km à vélo, là
c'est pire." Au fil des minutes, ses collègues le rejoignent. Grapillage au
buffet et bière pression pour récupérer. Mots échangés. "J'ai bien envoyé
dans les temps. Je suis content." "Mon canard est parti avec six minutes
de retard", lâche celui-ci, le regard perdu. Certains ne disent rien et
remâchent leur amertume. Jour avec ou jour sans ? Ils le sauront, plus tard.
14 h 00, salle à manger. Courte pause pour Paul Bocuse qui grignote avant d'aller
accueillir la troisième vague de finalistes. Le concours et le travail quotidien ? "Rien
à voir avec l'habituel d'une brigade. C'est très dur. Il faut tout avoir dans la tête,
minute après minute et savoir ce que l'on va faire. C'est comme en Formule 1, il faut
enchaîner totalement."
"Il faut puiser au fond de soi-même et tout donner. J'ai mis un an et demi à
récupérer", confie Philippe Legendre, MOF 96, aujourd'hui de l'autre côté de
la barrière.
15 h 00 en cuisine. Le cycle reprend, la même effervescence. Chez certains, timing à
portée du regard, les gestes sont fluides. D'autres semblent plus brouillons, mais c'est
le résultat qui compte. Il faut composer avec la tension du moment et la température
saharienne qui règne sur Strasbourg : 31° à l'extérieur, plus de 40° en cuisine. Au
fil des heures, la pression monte et la fatigue se fait parfois sentir.
22 h 00, devant le lycée. Derniers mots lâchés pour le rendez-vous du dîner. Beaucoup
font l'impasse et préfèrent aller dormir. Paul Bocuse et sa "garde
rapprochée" s'offrent une choucroute chez Yvonne, maison familière d'Helmut Kohl et
Jacques Chirac.
00 h 30, hôtel Libertel-Strasbourg. Les silhouettes fantomatiques se dirigent vers les
ascenseurs. Les réveils sont réglés sur 4 h 30. Demain, on recommence !
(1) Hormis la presse, dont L'Hôtellerie, pourmédiatiser le concours et témoigner de son parfait déroulement.
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MOF maîtres du service de la table Ils étaient troisMichel Scheer, Jean-Claude Pernette et Philippe Standaert ont été couronnés MOF.
Depuis 1993, la première édition de ce concours, ils sont désormais 13 à pouvoir se
targuer d'avoir été distingués... |
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L'HÔTELLERIE n° 2666 Hebdo 18 Mai 2000