Parcours
L'un, Frédéric Anton, exerce son métier, à Paris, au prestigieux Pré Catelan avec une brigade de
18 cuisiniers. L'autre, Mathieu Viannay, est propriétaire des Oliviers, à Lyon avec un second et un apprenti en cuisine. Tous deux étaient en finale des MOF
à Strasbourg.
C'est avant tout une affaire de passion qui les a
poussés à s'inscrire au concours. Mûrement réfléchi pour Frédéric Anton fort de
l'exemple de ses pairs - Robuchon à Paris, Bardot à Lille. Plus improvisé pour Viannay
qui a choisi la date limite pour traverser la rue et déposer son dossier à la chambre
des Métiers, en face de son restaurant lyonnais.
Tous deux évoquent cependant cette "intéressante remise en cause", les
poussant à déserter leur cuisine habituelle pour se river à un piano strasbourgeois
pendant plus de quatre heures.
Mathieu Viannay, lointain parent du célèbre curé d'Ars - cousinage du côté des
arrière-grands-parents -, admet que sa préparation à la finale ne fut pas une
sinécure. "Je me suis entraîné tôt le matin, l'après-midi et durant le
week-end puisque le restaurant est fermé. Il fallait se familiariser avec les produits,
s'habituer au timing, produire un travail le plus beau possible." Plus facile
dans une grosse brigade ? "Patrick Sicard m'a permis de m'entraîner, de me mettre
dans de bonnes conditions, mais il y avait quand même le travail de tous les jours",
rétorque
Frédéric Anton.
Le sujet de la finale a été connu très peu de temps à l'avance, difficulté
supplémentaire pour Mathieu Viannay. "C'est une question de moyens. Je n'ai pu
acheter que 50 grammes de caviar et Patrick Henriroux (La Pyramide) a eu la gentillesse de
me dépanner avec un canard. Ensuite, j'ai réfléchi au choix des recettes. Tout est venu
petit à petit en fonction de ce que j'aimais et de ce que je savais faire. Je voulais
sortir des plats correspondant à ma personnalité. Je n'ai décidé de l'entrée (pomme
de terre soufflée en surprise avec caviar et uf) que le mardi. J'étais
prêt dans ma tête. J'ai fait mon choix en fonction de ce que je savais faire, une sorte
de synthèse de tout ce que j'avais appris et qu'il me semblait intéressant à réaliser.
Avec des sujets donnés six jours avant la finale, tout le monde est pratiquement dans les
mêmes conditions. Je n'ai pu m'entraîner qu'en hachures."
A Strasbourg, le moment d'entrer en cuisine est plus délicat. "Le petit discours
de Paul Bocuse et de Joël Robuchon permet de relativiser pour que la pression
retombe", dit Mathieu Viannay. "On est déjà dans son concours avec bien
sûr une petite appréhension qu'il faut faire en sorte d'évacuer", souligne
Frédéric Anton.
Devant le piano, timing à portée de vue, il faut se battre avec le temps. "Il
faut tout oublier pour ne penser qu'à son travail et démarrer dans les meilleures
conditions possibles. On ne se bat que contre soi-même avec le souci d'être bon",
témoigne Frédéric Anton. Au final, Viannay s'admet "heureux d'en avoir terminé
et satisfait à 80 %". A trois postes de travail de là, Frédéric Anton est
"content d'avoir envoyé dans les temps".
En piste le jeudi, tous deux sont désormais logés à la même enseigne et doivent
attendre le vendredi soir pour être fixés sur leur sort : favorable à Frédéric Anton,
pas à Mathieu Viannay. On croit pourtant voir quelques larmes s'égarer sur les deux
visages. Pas pour la même raison...
"C'est un rêve de gosse qui se réalise", lâche Frédéric Anton après
avoir téléphoné la bonne nouvelle à sa mère. "C'est une énorme satisfaction
et je sais que je dois beaucoup à Joël Robuchon d'y être arrivé." "On
y croit toujours, mais c'est vrai que se préparer sans perturber tout le reste n'est pas
évident. Bien sûr une fois devant le piano, le jour de la finale, nous sommes tous à
égalité. Mais avant, dans une grosse brigade, on peut mettre davantage de monde à
contribution", avait confié Mathieu Viannay au soir de sa prestation.
Après, il saura dissimuler son amertume, serrer sportivement la main de son voisin de
piano et le féliciter de sa bonne fortune. Revenir ? "Peut-être, je ne sais pas.
Je n'en fais pas une fixation."
Devant le piano, timing à portée de vue, il faut se battre avec le temps.
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L'HÔTELLERIE n° 2666 Hebdo 18 Mai 2000