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A la loupe
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Monsieur Louis

Un parcours atypique

Pour l'état civil, il se nomme Gérald Louis Canfaïlla. Mais pour la profession, il reste à jamais Monsieur Louis, directeur du restaurant Lasserre depuis janvier 1982.

Le CV de Monsieur Louis est vite lu. Son parcours professionnel tient en quelques lignes et un seul nom revient : Lasserre. Il y est entré pour une mission d'intérim en comptabilité et n'en est jamais sorti. L'affaire doit beaucoup à Lucette, sa belle-mère, qui conseilla à son gendre, au sortir d'un service militaire écourté, de faire quelques missions temporaires pour se remettre dans le bain en comptabilité.
Un peu aussi à Pierre Messmer, ministre des Armées en 1969 et qui, à ce titre, parapha le document renvoyant dans ses foyers après douze mois au lieu de seize un appelé chargé de famille.
Voilà comment, libéré le 4 janvier 1969, Gérald Louis Canfaïlla poussa, quelques jours plus tard, la porte d'Opéra Intérim qui lui confia une mission chez Lasserre. Le 1er février, il franchit pour la première fois le seuil de la célèbre maison de l'avenue Franklin-Roosevelt. Pour Monsieur Louis, le destin était en marche.
"Pour mon premier emploi, je devais remplacer un comptable qui s'était cassé le bras. J'ignorais tout de l'univers de la grande restauration." Chez Lasserre, qui emploie alors 95 salariés, les trois étoiles brillent depuis 1962.
Chargé de boucler l'exercice en cours, Gérald Louis Canfaïlla travaille bien. Cela plaît à René Lasserre qui lui propose une embauche le 1er avril 1969. L'intéressé ne croit pas à une blague et accepte. Il fera les bilans jusqu'en 1981 où le destin lui fait un nouveau clin d'œil : Monsieur Pierre, directeur du restaurant, veut s'installer à Villefranche. René Lasserre propose le poste à son chef comptable qui oubliera désormais son nom de famille : la carrière de Monsieur Louis est avancée.
"Vous connaissez la maison dans tous ses détails et vous ne présentez pas trop mal. Est-ce que cela vous tente, m'a-t-il dit. Et puis il trouvait que Louis sonnait bien. C'est une tradition de la grande restauration : les directeurs sont appelés par leur prénom. Jusqu'en décembre 1981, je n'avais aucun contact avec la clientèle, mais la proposition était de celles que l'on ne peut refuser. Au départ, c'était donc comme au poker, pour voir. Je ne me sentais pas toujours très à l'aise, mais monsieur Lasserre m'a épaulé pendant deux ou trois ans, puis il m'a laissé seul."
Titularisé en janvier 1982, Monsieur Louis découvre petit à petit toutes les facettes de son nouveau poste. "C'est comme l'entrée sur une scène de théâtre : chaque représentation est différente et c'est fascinant. Pour moi, rien n'était prémédité et tout est vraiment dû au hasard. C'est ce que j'ai dit un jour à Pierre Messmer, alors Premier ministre et qui déjeunait dans un salon."
S'il se penche sur son parcours, Monsieur Louis rend fatalement hommage à René Lasserre, à "sa force, sa volonté et son sens de la perfection". "Il y avait chez lui un acharnement à ce que tout soit parfait. C'était l'époque des grandes maisons - Maxim's de Vaudable, la Tour d'Argent de Terrail, Taillevent de Vrinat et Lucas-Carton d'Allegrier - et il voulait que la sienne soit encore mieux que les autres. Qu'il n'ait pas été cuisinier n'a jamais posé problème. Il était chef d'entreprise avec des connaissances en cuisine où, sans savoir exécuter, il savait très bien ce qui se passait."
Pour analyser son métier, Monsieur Louis a le sens de la formule. "Je suis le tampon et l'ambassadeur de la cuisine auprès du client, une sorte de messager. Je suis aussi le dépositaire de tout ce que m'a appris René Lasserre. Il m'appelle tous les jours, s'inquiète du nombre de clients, me demande qui est venu... Même si le restaurant ne lui appartient plus légalement, c'est toujours son enfant."
Vendu à des financiers, Lasserre veut rester Lasserre et l'arrivée de Michel Roth au piano a donné un nouveau souffle à la cuisine de la maison. "Que les grands restaurants demeurent ne dépend pas de leur volonté, mais de l'économie des prochaines années qui doit être très forte pour qu'ils se portent bien. Nous avons besoin de vivre avec un éventail économique important, mais nous sommes menacés à court terme. Lasserre va avoir soixante ans et il est difficile de garantir qu'il durera encore autant d'années."
L'esprit en tout cas perdure et Monsieur Louis en est le garant. "Même si nous dérogeons à la règle du port de la cravate au déjeuner, elle reste obligatoire le soir. Nous avons une série de blazers, de chemises et de cravates de toutes tailles pour les clients. C'est aussi une question de respect : on vient chez Lasserre pour une cuisine de prestige servie par des gens en habit ou en frac."
Bien sûr, Monsieur Louis admet volontiers que la "nouvelle génération" a du mal à accepter les horaires à rallonges, l'absence de jours fériés et les salaires "moins alléchants qu'autrefois". Mais il pense malgré tout qu'il y a de belles opportunités.
Son métier, son parcours, sa réussite ? "Il faut avoir le sens d'un certain dévouement, de la politesse, de l'affabilité, de l'élégance et de la réserve. Se montrer aimable et souriant, modeste et efficace. Si l'on ajoute de la mémoire et une bonne dose de psychologie, on fait le tour de la question. Je n'ai eu aucune formation à ce métier et j'ai fait le saut entre deux professions sans m'en rendre compte. Si l'on a un bon sens des choses, l'apprentissage sur le tas n'est pas un handicap."
J.-F. Mesplède


Monsieur Louis (à gauche) aux côtés de Michel Roth, qui a su donner un nouveau souffle à la cuisine de la maison.

Les dates

14 juin 1946 : Naissance à Soucy dans l'Yonne le 1er février
1969 : Mission d'intérim en comptabilité chez Lasserre

1er avril 1969 : Titularisation au service comptabilité du restaurant Lasserre
2 janvier 1982 : Nomination au poste de directeur du restaurant Lasserre


Marié, père de famille et grand-père... en photo sur les murs de Paris pour la campagne de prévention contre les risques d'accidents domestiques.


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L'HÔTELLERIE n° 2665 Hebdo 11 Mai 2000


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