Paris
La rumeur prend de l'ampleur. François Delahaye, directeur général du palace de l'avenue Montaigne, et Alain Ducasse ont effectivement dîné en tête à tête mardi 25 avril. De là à penser que les deux hommes aient conclu un accord, il n'y a qu'un pas... D'autant que Le Régence, restaurant gastronomique de l'établissement, vient de fermer ses portes pour une durée indéterminée.
A en croire les intéressés,
rien n'est encore définitivement arrêté. Les deux protagonistes admettent en fait
volontiers entretenir de bonnes relations et discuter actuellement d'une éventuelle
collaboration. "Il est certain qu'avoir Alain Ducasse au Plaza Athénée est l'un
de mes vux les plus chers, c'est pour moi une décision d'entreprise",
avoue volontiers François Delahaye. Et d'ajouter : "Je pense véritablement qu'il
constitue un atout formidable pour notre établissement. En attendant, nous n'avons pas
encore trouvé un terrain d'entente mais nous travaillons avec ses avocats pour trouver un
accord. Nous avons besoin de son savoir-faire, de son nom, en un mot, de la machine
Ducasse pour apporter à Eric Briffard ce qui lui manque aujourd'hui, du fait de sa
jeunesse. Il est un cuisinier d'une grande compétence, d'un réel talent, mais il se doit
maintenant de passer à la vitesse supérieure, en matière de gestion, d'organisation et
c'est en profitant des conseils de professionnels hautement compétents qu'il peut le
faire." Un principe sur lequel Eric Briffard a, semble-t-il, changé de position
depuis l'obtention de sa seconde étoile en mars dernier. Ancien élève de Joël
Robuchon, il avait voici quelques mois refusé l'idée qu'avait François Delahaye de
prendre Joël Robuchon comme conseiller au Plaza Athénée. "Il évoquait le
besoin de couper le cordon vis-à-vis de son maître, explique François Delahaye. Faire
appel à Alain Ducasse lui paraissait alors une éventualité intéressante, mais il a
radicalement changé d'avis à la sortie du Michelin."
Du côté de l'homme de l'avenue Raymond Poincaré, on s'abstient de tout commentaire. Et
pour cause ! Alain Ducasse est tout d'abord sous contrat avec le groupe Accor jusqu'en
juin prochain. Ensuite, il mène tambour battant sa carrière au sein de la Société des
Bains de Mer (SBM) à Monaco et ne cesse de développer ses propres adresses (Spoon à
Paris, à l'Ile-Maurice...). Son nom s'affichera en outre d'ici deux mois dans New York.
Autant dire que le cuisinier, devenu un véritable chef d'entreprise, ne manque pas
d'activité.
Ce contexte d'incertitude sème, bien entendu, le trouble au sein des cuisines de l'avenue
Montaigne mais aussi et surtout au sein de l'ensemble du personnel. "J'ai la
responsabilité de 400 salariés, explique François Delahaye. Ni Eric Briffard, ni
moi-même n'avons à prendre de décisions par rapport à notre ego, nous devons trouver
les meilleures solutions pour l'entreprise, tant sur le plan humain que financier et
commercial." Alors qu'une pétition en provenance d'une partie de la cuisine
circule dans tout Paris, pétition dans laquelle les auteurs affirment que "personne
ne souhaite aujourd'hui les services de ce cuisinier virtuel" (en parlant d'Alain
Ducasse), le comité d'entreprise s'empare du dossier et dénonce l'attitude de la
cuisine, mettant en avant les investissements considérables effectués en restauration
ces dernières années "financés en partie par l'intéressement de tous les
salariés de l'hôtel", le nombre de couverts en constante baisse depuis 3 ans,
le déficit de 10 millions de francs en restauration en 1999. Mais surtout, "un
turn-over infernal en cuisine où la mauvaise réputation du Plaza nous handicape pour
trouver du personnel, une déréglementation sociale totale, un non-respect délibéré de
l'accord de travail à 35 heures... des excès qui risquent de nous faire perdre le
bénéfice des aides de l'Etat (14 millions de francs sur 5 ans) remettant en cause 40
emplois créés et la garantie de maintien des effectifs pendant 2 ans." D'une
manière unanime donc, l'ensemble des représentants syndicaux FO, CGT et CFDT ont pris
position, soutenant la proposition de François Delahaye qui consiste à s'adjoindre les
conseils d'Alain Ducasse.
Il ne s'agit pas d'une simple incompatibilité d'humeur entre un directeur et son chef de
cuisine. "Eric Briffard est un fabuleux cuisinier gastronomique", ne
manque pas en effet de déclarer François Delahaye. Reste que la gastronomie n'a jamais
nourri son homme. L'activité restauration du Plaza, qui dispose de cuisines
surdimensionnées et englobe différentes formules (Le Régence, le Relais-Plaza, le bar,
le room-service et les banquets), perd effectivement quelque 10 millions de francs par an.
"Or, j'ai été embauché pour redresser la barre ! Autrement dit, Le Plaza doit
désormais passer la vitesse supérieure", précise François Delahaye.
Locomotive internationale
Diplômé de l'Ecole supérieure d'hôtellerie de Saint-Cergue (Suisse) et du Community
College de New York, le quadra estime la présence "d'une locomotive
internationale" indispensable pour l'avenir de son établissement. Ce qui ne
signifie pas qu'il veuille se séparer d'Eric Briffard. "Nous ne souhaitons le
départ de personne. Eric Briffard se consacrera au restaurant gastronomique tandis qu'un
conseiller culinaire, Alain Ducasse, je l'espère, chapeautera l'ensemble du département
restauration, indique le directeur du Plaza. Il manque encore 14 personnes en
cuisine au Plaza, autant dire que même si l'équipe d'Alain Ducasse rejoint celle du
Plaza, il y a de la place pour tout le monde."
Face à la guerre acharnée que se livrent les palaces de la capitale, Le Plaza Athénée
tente, en réalité, de se faire une place au soleil. Après avoir investi 250 millions de
francs dans des travaux de rénovation, le propriétaire du palace de l'avenue Montaigne,
le prince Jeffri, frère du sultan de Bruneï, n'a assurément pas envie de perdre sa part
du gâteau. Or la concurrence est rude ! Les palaces flambants neufs de la capitale
veulent en effet faire exploser la place de Paris. Adossé à la chaîne Four Seasons, le
George V dispose ainsi d'une force de frappe commerciale colossale et d'une excellente
image en matière de restauration avec un chef de renommée internationale. Attractivité
de grandeur analogue pour Le Meurice, qui s'apprête à rouvrir ses portes au public. Le
Crillon, Le Bristol et Le Ritz n'ont eux aussi plus grand-chose à prouver... Autant dire
que François Delahaye a du pain sur la planche et veut réussir le challenge de
rentabiliser le palace qu'il dirige avec les meilleures équipes.
En attendant, afin de calmer les esprits, sachant qu'Eric Briffard occupe désormais un
poste de délégué syndical et attaque l'établissement concernant la non-prise de ses
congés payés, le patron du Plaza a mis tout le petit monde du gastro en vacances. Le
Régence est ainsi aujourd'hui fermé pour une durée indéterminée. "On ne
laisse pas impunément les gens ne pas prendre de congés", conclut François
Delahaye.
C. Cosson
Il manque encore 14 personnes en cuisine au Plaza, autant dire que même si
l'équipe d'Alain Ducasse rejoint celle du Plaza, il y a de la place pour tout le monde.
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L'HÔTELLERIE n° 2663 Hebdo 27 Avril 2000