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Critique gastronomique

Jusqu'où peut-on aller ?

Jugeant les propos d'un chroniqueur gastronomique diffamatoires, un restaurateur du Rhône n'a pas hésité à l'attaquer en justice. Avec succès dans un premier temps même si le directeur de publication a fait appel du jugement.

C'est à l'origine une simple chronique gastronomique comme il en paraît des centaines chaque année dans la presse. A ceci près que le critique de Lyon Mag n'y va pas avec le dos de la cuillère. Depuis quelques numéros, un certain Xavier B. met sur le gril 4 ou 5 établissements par mois. Inconnu du milieu journalistique, cet ancien restaurateur tenait un établissement renommé, Les Chandeliers, à Elbeuf en Normandie.
Curieux donc qu'il ait choisi de quitter le métier pour juger ses anciens confrères d'une façon acerbe. Tenant compte de plusieurs critères précis (accueil, service, choix proposé, qualité des produits, cuisine, propreté et prix), il note les établissements visités sur 20. "Au-dessus de 15, il s'agit d'un bon établissement. La moyenne se situe à 12. En dessous de 9, il faut éviter", précise Lyon Mag.

Visite à Alix
En juin 1998, Le Vieux Moulin, à Alix, à la limite du Beaujolais, figure parmi les cibles. Et le restaurant se voit attribuer une note de 7,5 assortie de commentaires très durs : "Dès la première assiette, la descente aux enfers commence" ; à propos de la terrine "c'est insipide et servi avec ces exécrables petits légumes vinaigrés", "ça continue avec des grenouilles congelées, puis une pintade trop sèche, accompagnée d'une sauce en boîte et d'un gratin dauphinois au goût assez bizarre. Bref, tout cela est immangeable" et "ce n'est que pour mieux assener le coup final avec une tarte Tatin congelée". Surprenant. Pourtant dans la région, l'établissement où Annie et Gérard Umhauer sont installés depuis 23 ans jouit d'une bonne réputation dans les guides. Et le Lyon Gourmand d'André et Christian Mure lui attribue un lion signifiant une "cuisine de qualité". Dès la parution de l'article - l'un des derniers de Xavier B. qui disparaîtra des colonnes de Lyon Mag deux mois plus tard - l'émotion est grande chez les Umhauer. Et le chef a du mal à accuser le coup.
Dans un courrier adressé au journal, Annie Umhauer s'indigne et s'interroge : "Comment une seule personne qui n'est même pas fidèle et habituée de notre restaurant peut se permettre par son seul jugement de démolir une réputation ?" Elle précise, entre autres, que la sauce n'est pas en boîte puisque faite à base de produits frais, que la tarte Tatin a toujours été fraîche, que la terrine est fabriquée de la même façon depuis 23 ans, que la recette du gratin dauphinois n'est autre que celle de Fernand Point transmise à Edouard Umhauer et, enfin, que 200 kg de grenouilles fraîches ont été livrées au mois de mai 1998, date de la visite du chroniqueur.
Elle précise aussi que 22 000 clients annuels sont fidélisés et qu'elle contactera dès le lendemain un avocat afin de demander réparation pour préjudice moral et financier. "Que le repas n'ait pas été au goût de ce monsieur, soit. Mais se permettre d'écrire de telles inepties et de telles méchancetés infondées qui engagent sa responsabilité, non."

L'affaire prend forme
Quelques extraits de la longue lettre paraissent dès le mois suivant dans Lyon Mag, mais la partie concernant les justificatifs sur les produits est passée sous silence. Par contre sont publiées les félicitations d'un lecteur qui souligne qu'il n'est "pas besoin de termes diplomatiques quand c'est franchement mauvais".
Pour les Umhauer qui ont reçu de nombreuses manifestations de soutien de clients, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Un avocat de Villefranche-sur-Saône est chargé de saisir la justice en demandant, "les faits étant contraires à la réalité", des dommages et intérêts à hauteur de 400 000 francs et la publication du jugement dans Lyon Mag et Le Progrès.
Le 26 novembre 1999, le tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône rend un verdict sans équivoque :
"Attendu qu'en droit, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer..."
"Attendu que les très nombreuses critiques gastronomiques produites aux débats par les consorts Umhauer font apparaître leur établissement comme étant de qualité à tous points de vue..."
"Attendu que les termes utilisés par le critique gastronomique (sont) d'un style à l'emporte-pièce et dépourvu de toute nuance..."
"Attendu que si une critique peut-être sans complaisance et aller jusqu'à l'éreintement de la cuisine servie, encore faut-il qu'elle demeure informative..."
"Attendu qu'en l'espèce Xavier B. et Lyon Mag n'ont procédé à aucune vérification et analyses de leurs dégustations et impressions, le tribunal dit et juge que Xavier B. et Lyon Mag ont commis une faute engageant leur responsabilité et les condamne à payer aux époux Umhauer 40 000 francs de dommages et intérêts - il a été précisé que la réputation et la solidité de l'établissement n'apparaissent pas avoir été atteintes dans des proportions considérables et ordonne la publication du jugement."

Lyon Mag fait appel
Le 8 décembre, Lyon Mag décide de faire appel du jugement. "Je défends un principe : la liberté de critiquer est le droit des journalistes. Au cas particulier, celui-ci a collaboré avec nous durant une période d'essai que nous n'avons pas souhaité prolonger et nous nous sommes séparés d'un commun accord. Il a émis une critique qui peut être contestable comme toute autre critique, mais il y a eu droit de réponse et je suis étonné que l'on veuille se faire de l'argent sur notre dos", précise le fondateur de Lyon Mag, Philippe Brunet Leconte, avant de préciser que "la critique est assez légitime et si tous les restaurateurs portent plainte en diffamation, [il] ne voi[t] pas de solution".

Annie Umhauer réagit
Fatalement, Annie Umhauer est blessée. Elle nous avoue qu'elle et son mari auront du mal à voir ressurgir cet épisode "qui nous a démoli le moral et la santé". "Mon mari ne s'est jamais remis de ces calomnies et c'est pour lui que j'ai décidé de porter plainte. Ses maîtres lui ont donné les bases qui lui permettent de pratiquer une cuisine traditionnelle et classique, honnête et sincère à base de bons produits frais... Si nous n'avions pas été aussi loin de l'âge de la retraite nous aurions vendu... Quand nous parlons avec nos confrères qui ont eu de mauvaises critiques, on se rend compte que nous en sortons tous meurtris, que nous n'exerçons plus nos métiers avec le même plaisir et que nous vivons avec la hantise d'être de nouveau jugés sans avoir la possibilité de nous défendre", dit-elle enfin.
J.-F. Mesplède


Gérard Umhaeur sur la terrasse ombragée par un tilleul bicentenaire au Vieux Moulin à Alix.


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L'HÔTELLERIE n° 2663 Hebdo 27 Avril 2000


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