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Garçon de café ou serveuse

Simple gagne-pain ou carrière possible

Un grand nombre de professionnels, aujourd'hui parfaitement installés, à la tête de très beaux établissements, ont commencé comme garçons de café. Un métier qui s'apprenait sur le tas et qui permettait de très belles évolutions de carrière. Qu'en est-il aujourd'hui des motivations qui poussent les jeunes à s'orienter vers la limonade ? Qu'en est-il de ce métier ?

Sylvie Soubes

Cette branche de l'hôtellerie n'est pas académique, même s'il existe un CAP café-bar-brasserie. Beaucoup y entrent par hasard, dans l'unique optique de boucler les fins de mois. Péjoratif comme constat ? Ça se discute. Lorsque les Auvergnats ou les Savoyards montaient à Paris, il n'y a pas si longtemps, ce n'était pas pour visiter la tour Eiffel ou se prélasser dans les jardins des Tuileries. C'était pour travailler et l'une des filières les mieux organisées était, en ce qui les concernait, celle du bistrot. "On démarrait petit, témoigne l'un d'eux. Il n'était pas question d'horaires. Ce qu'on voulait, c'était gagner des sous. Alors on acceptait tout ce qu'on trouvait mais, au début, on ne restait jamais longtemps au même endroit. Trois mois ici, six mois ailleurs jusqu'à ce qu'on déniche une place rentable qui nous convienne et qui nous permette surtout d'envisager de prendre une affaire." Le service s'apprenait sur le tas et comme le résume cet ancien professionnel, le premier objectif était d'engranger suffisamment d'argent pour devenir à son tour patron. En effet, la limonade était un secteur prospère et ceux qui acceptaient de "trimer" pouvaient faire carrière. La notion est importante. Etre garçon de café (à Paris comme ailleurs) ouvrait des portes à ceux qui s'en donnaient les moyens.
L'utilisation de l'imparfait est volontaire, malheureusement. La limonade n'est plus un secteur florissant. Si les autres branches tirent leur épingle du jeu, retrouvent une réelle dynamique, les contraintes sociales et administratives qui touchent aujourd'hui le bistrot freinent les bonnes volontés. S'il existe toujours des affaires qui marchent, les établissements sont moins nombreux et l'activité a changé.

D'un professionnalisme à un autre
Les serveurs ont un profil différent de leurs aînés. Pour Christian Navet, président de l'Union patronale des CHRD d'Ile-de-France, être garçon de café "reste un métier" mais "les critères d'embauche" et la "manière de travailler" ont énormément évolué. Tout comme les mentalités. Pour comprendre cette évolution, il faut également avoir en tête la distinction entre les services limonade et brasserie, qui, aussi proches et complémentaires soient-ils compte tenu des plages horaires, n'attirent pas et ne s'adressent pas (ou plus) aux mêmes individus. On voit par exemple de plus en plus de femmes servir dans les établissements travaillant essentiellement la brasserie à l'heure du déjeuner et en semaine.
Quelles sont les motivations des personnes qui servent en l'an 2000 dans un bistrot ? La notion de rentabilité est toujours fondamentale, mais l'ambition de prendre sa propre affaire n'est plus une priorité, comme le confirme Vincent, jeune serveur à Lille : "Je ne veux pas gâcher ma vie perso à cause de mon boulot. Je veux pouvoir aller au cinoche le samedi avec ma copine. Tenir une affaire, c'est trop de responsabilités, je n'ai pas envie de me prendre la tête avec ça." La réflexion est courante. Si on fait une enquête dans les établissements pratiquant le temps partiel, on s'aperçoit aussi très vite que le personnel qui tourne est tout sauf professionnel. "J'ai des jeunes femmes qui font du théâtre, d'autres qui font des études et veulent se faire un peu d'argent, précise un directeur parisien. Ces serveuses ont souvent l'avantage d'être plus sympas avec les consommateurs que certaines professionnelles. Elles savent qu'elles ne vont pas faire ça toute leur vie alors elles sont plus décontractées, plus souriantes. Je préfère des serveuses, ou serveurs souriants à quelqu'un qui connaîtrait parfaitement le service, mais qui serait désagréable avec le client."

Sourire
Les critères d'amabilité sont à l'heure actuelle recherchés, ce qui n'était pas aussi systématique il y a dix ou vingt ans. "Les quatre critères essentiels du service sont désormais l'accueil, la qualité du contact, la rapidité et la capacité à savoir vendre, insiste ici Christian Navet. Un serveur est reconnu aujourd'hui comme un prescripteur. Si une certaine technicité est nécessaire, elle n'est plus essentielle. Les clients vont préférer un serveur qui parle de la bière, qui puisse également les renseigner sur des événements locaux ou touristiques. Il ajoute : Je crois que les patrons vont devoir entreprendre une réflexion profonde sur l'embauche des serveurs. Quand on demande à quelqu'un de correspondre aux standards de l'établissement, peut-être faut-il aussi les former à cela ?" Bonne question, sachant qu'un des points d'achoppement du CAP café-bar-brasserie porte sur la difficulté à trouver un nombre suffisant d'entreprises formatrices. Un CAP dont le référentiel est en cours de refonte et qui fonctionne plus ou moins bien selon les régions... "Vous savez, termine Christian Navet, le problème avec ce CAP, c'est qu'on ne peut pas, compte tenu de la loi, prendre des apprentis mineurs dans un café. On nous avait promis un décret, mais il n'est toujours pas sorti. Nous avons récemment relancé la secrétaire d'Etat à l'enseignement professionnel, Nicole Pery, à ce propos mais nous ne savons pas où le dossier est bloqué. Jusqu'ici nous avons marché au coup par coup avec des dérogations, mais ça ne peut plus durer ainsi. Je souhaiterais enfin que le principe de l'agrément soit réactivé pour ce secteur. Ce qui permettrait de garantir l'apprenti sur la formation qu'il va recevoir sur le terrain."

Mme Boué propriétaire avec son mari Joseph de La Rotonde Bastille à Paris


Mme Boué aux côtés de Christian Navet, président de l'Union patronale des CHRD d'Ile-de-France.

"A La Rotonde, c'est un service traditionnel. Lorsque nous recherchons un serveur, nous passons généralement par les bureaux de placement. Malheureusement, peu de jeunes tournent avec ces bureaux. Je trouve regrettable que ceux-ci ne se préoccupent pas de savoir pourquoi ça n'a pas marché avec telle ou telle personne. Ça leur arrive de nous envoyer des serveurs pour faire la nuit alors qu'ils ont leur dernier train à 1 h du matin. On ne peut pas les garder. Ce n'est pas ici une question de compétences mais une question pratique. En fait, ces jeunes qui recherchent un emploi viennent souvent se présenter spontanément. Mais combien de fois ils le font en plein service. Ce qui fait que nous n'avons pas le temps de nous occuper d'eux. Je remarque également qu'ils n'osent pas dire qu'ils n'ont pas d'expérience lorsque c'est le cas. C'est dommage parce qu'en définitive, ce n'est pas forcément l'expérience que l'on recherche. Ça fausse les cartes dès le début. Au lieu de les mettre à l'essai sur un poste, on les ferait commencer ailleurs et on pourrait mieux les juger. L'autre problème du porte-à-porte, c'est le manque de fiabilité des personnes. Ils viennent travailler un jour, deux jours puis ils ne reviennent pas et on ne sait pas pourquoi. Autre difficulté importante de nos jours : les jeunes ne veulent plus travailler le week-end !
Dans notre métier, il faudrait avoir des équipes qui s'entendent. Ça aussi c'est difficile. A La Rotonde de la Bastille, nous avons réussi à en avoir une qui a bien fonctionné pendant presque dix ans. Mais l'un s'est marié, l'autre a déménagé, le troisième a pris son affaire... C'est la vie !"

 

André, 55 ans, a démarré dans le métier à 18 ans

"Mes parents étaient dans l'agriculture et moi j'ai un brevet de maçon-carreleur. J'étais en Auvergne et on ne gagnait pas grand-chose dans la maçonnerie. Mon oncle tenait un café à Paris et c'est comme ça que j'ai démarré. Je suis resté dans le métier parce qu'on gagnait plutôt bien sa vie et qu'il y avait un côté indépendant qui me convenait bien. J'ai beaucoup tourné jusqu'à 35 ans, puis je me suis stabilisé. La première fois que j'ai travaillé à La Rotonde Bastille, c'est il y a 21 ans. Mais cela fait 4 ou 5 ans que j'y suis régulièrement. L'atmosphère est bonne. Vous savez dans l'ensemble, quand on est correct avec les gens, ça se passe bien. Ce que je pense du métier ? Pour moi, d'ici quelques années il n'existera plus. Bien sûr, il y aura toujours des serveurs, mais les jeunes n'ont plus les mêmes objectifs de travail. Ils ne veulent pas faire autant d'heures. Ce seront des gens qui travailleront huit heures par jour et qui auront une paye fixe. Ce qui n'a rien à voir avec ma génération."

 

Valérie Mulot, 29 ans, a démarré comme serveuse et vient de prendre la direction d'un restaurant La Criée

Un BTS diététique en poche, suivi d'une spécialisation "sport et santé", Valérie s'est lancée dans la profession par hasard. Un job de serveuse, une expérience chez Pizza Hut, celle-ci "n'avait rien à perdre" mais tout à gagner lorsqu'elle a postulé au poste d'assistante à La Criée (chaîne de restauration axée sur le poisson). "J'ai été prise, non pas pour mes connaissances en gestion, se rappelle-t-elle, mais parce que j'aimais le contact avec la clientèle. Le relationnel avec le client est un critère important pour La Criée. J'ai débuté à La Criée Montparnasse. Je faisais notamment les fiches de caisse, les bons de livraison... Il fallait pouvoir prendre un rang quand un serveur ou une serveuse était absent. J'ai ensuite fait l'ouverture de l'établissement de Chambourcy, je suis revenue à Montparnasse et j'ai travaillé ensuite plusieurs mois à La Criée de Neuilly. J'ai pris la direction de La Criée Notre-Dame le 1er décembre 1999. Ce qui a changé ? Eh bien, c'est la notion de responsabilités qui change du tout au tout. On ne se rend pas compte de ce que c'est quand on n'est pas responsable... Désormais c'est sur vous que repose la bonne marche de l'établissement. Qu'est-ce qui m'a permis d'obtenir cette promotion ? Entre autres, une vie personnelle stable. Je vais me marier cet été et c'est important d'être bien dans sa tête pour être efficace dans son travail. Si c'est facile pour une femme de tenir ce genre d'établissement ? La femme est plus sensible et plus à l'écoute des personnes, en général. La sensibilité féminine est un avantage, je pense, pour le contact avec la clientèle. Etre une femme permet aussi de gérer l'équipe différemment. Quand il y a un problème, une femme va plus facilement se confier à une autre femme. Un homme va aussi plus facilement se confier à une femme... Bien sûr, il faut savoir affirmer sa personnalité, sans être ni trop gentil, ni pas assez. Mais ce n'est pas spécifique à la femme, non ?"


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L'HÔTELLERIE n° 2657 Spécial Formation 16 Mars 2000

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