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Entretien entre le ministre de l'Education nationale et Jacques Le Divellec sur la formation professionnelle

Pour Claude Allègre, "L'important dans la formation professionnelle, c'est le métier"

Rôle des professionnels dans les écoles hôtelières, dans la détermination des programmes, âge des premières expériences en entreprise, formation des professeurs techniques, organisation des périodes de stages sont autant de sujets qu'ont abordés pour les lecteurs de L'Hôtellerie, Claude Allègre, ministre de l'Education nationale et Jacques Le Divellec qui, à travers ses interventions, se faisait le porte-parole d'un très grand nombre de restaurateurs et d'hôteliers. Un débat riche d'idées qui révèle un ministre particulièrement concerné, impliqué par les problèmes de formation en hôtellerie-restauration, très ouvert aux remarques des professionnels.

Patricia Alexandre Le Naour


Jacques Le Divellec : "Les jeunes m'intéressent "
Claude Allègre : "Moi aussi les jeunes m'intéressent, c'est même l'essentiel de mon engagement "

Jacques Le Divellec prévient dès le début du dîner : la formation est quelque chose qui lui tient à cœur ; il a été, voici 30 ans, le défenseur du projet de création de l'école hôtelière de La Rochelle. Il s'est impliqué des années durant au sein des commissions paritaires pour l'établissement des programmes et il continue de se battre aujourd'hui pour la création d'une maîtrise d'hôtellerie-restauration au lycée de La Rochelle. Autant dire que les problèmes de formation, il les connaît et les prend à cœur. "Il faut préparer les jeunes à savoir s'adapter au terrain. Dans toutes les entreprises du secteur, nous rencontrons les pires difficultés pour recruter", explique-t-il.

Claude Allègre : L'hôtellerie-restauration est de toute évidence un secteur qui attire insuffisamment les jeunes. En matière de formation, nous y rencontrons des difficultés : nous n'avons pas assez de candidats dans nos écoles hôtelières, certains établissements pourraient accueillir davantage d'élèves ! Pourtant, quand on voit les possibilités d'évolution des jeunes qui choisissent ces formations, c'est incroyable ! J'étais dernièrement dans un de ces lycées professionnels à Paris et j'y ai rencontré des élèves qui avaient tous fait un stage à l'étranger et qui, en préparation de bac pro, avaient déjà plusieurs propositions de poste particulièrement intéressantes ! Je peux vous assurer qu'ils étaient particulièrement heureux et épanouis. Ils n'avaient pas encore passé le bac pro et ils discutaient avec moi pour m'expliquer toutes les offres qu'ils avaient, comment ils allaient choisir ! Il faut que ça se sache, l'hôtellerie-restauration recrute et offre des possibilités de carrière particulièrement dynamiques pour ces jeunes. Aidez-moi à le faire savoir, je suis prêt à faire une campagne avec vous pour attirer les jeunes en formation d'hôtellerie-restauration. Il faut se mobiliser ensemble, Education nationale et professionnels, et leur dire "allez vers les métiers de l'hôtellerie et de la restauration". Je sais lire les chiffres : la première richesse de la France, c'est le tourisme. Il faut que vous alliez dans les collèges parler aux jeunes, accompagnés de jeunes salariés, et qu'ensemble vous vous adressiez à eux pour leur expliquer en quoi ces métiers peuvent les séduire et leur permettre d'avoir de belles évolutions de carrière. Le ministère est prêt à vous accompagner dans cette démarche. En matière de formation professionnelle, ce qui est important, c'est le métier. Mon ami Michel Vauzelle, ancien maire d'Arles et président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur, voulait créer un IUT à Arles, eh bien j'ai insisté pour qu'il y ait aussi une section IUT d'hôtellerie-restauration. Sachez que dans la région de Marseille, qui est sur le plan touristique très importante, il n'y avait rien de ce niveau. Ça n'est pas normal, la profession devrait avoir une carte de France de l'implantation des formations hôtelières et nous faire savoir là où il y a problème. Nous ne devons pas être seuls à décider de ces implantations. Mobilisez-vous au niveau des professionnels, impliquez-vous, nous sommes tout à fait disposés à étudier ces problèmes en partenariat avec vous.


Claude Allègre : "Il faut que les professionnels viennent, je le répète, dans les collèges pour parler des métiers de cuisinier, de serveur, aux élèves"

Jacques Le Divellec : Oui mais encore faut-il dans nos écoles hôtelières, qu'on leur apprenne, quand ils suivent des formations supérieures, qu'il faut savoir s'intéresser aux postes les plus bas. Quand on sort de l'école hôtelière de Lausanne, après 4 années d'études très coûteuses, on commence au stewarding, c'est-à-dire à la plonge et là, on y apprend beaucoup de choses. Un restaurant, c'est un endroit où il se passe tout le temps quelque chose et où, quand on en assume la responsabilité, il faut savoir intervenir seul. Quand une machine ne marche plus en plein service, il faut être capable de retrousser ses manches et de faire la réparation. Il faut aussi leur donner cet état d'esprit dans les écoles hôtelières, pas seulement les faire travailler sur le droit social et la mise en place de la loi sur les 35 heures.

C. A. : Tout est là : le véritable problème dans l'enseignement professionnel, c'est le professionnalisme, c'est le métier. Dans le passé, on a fait trop souvent cette erreur et l'on a formé des gens d'une manière trop intellectualisée. Dans les remarques que vous faites, vous êtes au cœur même de la réforme que nous mettons en place au sein de l'enseignement technique. C'est ce que nous appelons l'enseignement professionnel intégré. C'est ça aussi la mission de notre ministère.

J. L.-D. : Moi aussi je suis un homme de convictions, je me bats pour que les jeunes travaillent et je suis ravi de voir que de votre côté, Monsieur le ministre, vous avez les mêmes objectifs, mais je n'ai jamais entendu parler de cette réforme et de cet enseignement professionnel intégré. Alors qu'est-ce qui va changer avec votre enseignement intégré dans la vie des professionnels, des professeurs et des élèves ?

C. A. : Beaucoup de choses et surtout un état d'esprit. Nous voulons que la profession soit plus impliquée à tous niveaux, au sein de la formation. Tous les lycées professionnels aujourd'hui doivent signer des contrats, soit avec une chambre de commerce, une entreprise ou avec une organisation professionnelle pour que les choses se décident et s'assument, en matière de formation, d'un commun accord. C'est très différent de l'ancienne formule de la formation en alternance où quand les élèves sont dans l'entreprise, c'est le chef d'entreprise qui décide seul de tout mais inversement, quand le même jeune se retrouve à l'école, son maître de stage n'a plus rien à dire sur la manière dont on le forme à l'école.

L'enseignement professionnel intégré, c'est faire en sorte que les professionnels interviennent dans le cadre des décisions qui vont être prises à l'école mais quand le jeune est en formation dans l'entreprise, que les enseignants puissent le suivre et intervenir pour qu'il ne soit pas perdu et qu'il sente cette continuité et cette complémentarité entre entreprise et école. Au-delà du quotidien de l'élève, la collaboration doit aller encore plus loin, sur l'utilisation des équipements qui, hors périodes scolaires, sont inutilisés dans les écoles et qui pourraient être mis à la disposition des professionnels par exemple. Mais beaucoup de choses peuvent être imaginées, en fonction des métiers, des écoles, rien n'est figé, tout repose sur les hommes et les femmes dans un cadre défini et très large. C'est un appel aux professionnels que je fais, c'est important que vous vous impliquiez auprès de jeunes ! C'est essentiel qu'en plus des enseignants, ils puissent avoir à l'école des professionnels en face d'eux pour leur parler de leur métier bien sûr mais aussi pour les former, c'est un complément à la formation qu'ils reçoivent dans le cadre de leur scolarité actuelle. C'est la raison pour laquelle je viens de créer des postes de professeurs associés ouverts aux professionnels qui vont venir enseigner, un tiers-temps ou un mi-temps. Mais pour que cette réforme soit réussie, il faut en même temps que les restaurateurs acceptent d'accueillir les enseignants dans les entreprises. Des enseignants qui sont pour la plupart de très grande qualité et très dévoués à leurs élèves. On ne peut plus rien faire les uns sans les autres, la balle est dans votre camp maintenant, venez dans nos lycées professionnels ! Vous les apprécierez car ils sont excellents. Il suffit de prendre contact avec les proviseurs, avec le rectorat. Au fur et à mesure, nous allons faire évoluer ce système pour améliorer ces mesures, en fonction des secteurs, des métiers. Plusieurs conventions ont déjà été signées avec des entreprises, Accor, Sodexho, Sol Melia et bien d'autres encore. A ce jour, tout ce qui a été réalisé est concluant.


Claude Allègre, entouré d'Alain Geisman et de Jacques Le Divellec.

J. L.-D : Il faudra alors que dans les écoles, on écoute un peu plus les professionnels. On nous prend du temps pour assister à des commissions pour donner notre avis sur les programmes, sur l'organisation des examens et l'on ne tient compte de rien, nous n'avons que des voix consultatives. Autant dire que c'est particulièrement démotivant et qu'on n'y va plus !

C. A. : Vous avez parfaitement raison ! Et je suis particulièrement atterré de voir qu'aujourd'hui vos instances professionnelles envoient un directeur de CFA ou un salarié d'un syndicat professionnel pour parler au nom des restaurateurs ! Autant dire qu'ils ne peuvent pas apporter grand chose de plus au débat. Eh bien là encore, ce sujet trouve sa place dans le cadre de l'enseignement professionnel intégré. Jusqu'à cette année, les commissions étaient systématiquement pilotées par nos inspecteurs généraux, aujourd'hui, je suis tout à fait décidé à prendre aussi des professionnels pour devenir chefs de projet pour peu qu'ils s'en trouvent pour accepter cette responsabilité. Trouvez-nous de vrais professionnels, nous sommes prêts à leur confier la responsabilité du projet de rénovation des CAP, des BEP.

J. L.-D : Quand les enfants sont scolarisés dans les lycées professionnels, il faudrait tout de même qu'ils aient en face d'eux des professeurs de cuisine, de restaurant, qui enseignent en dominant totalement l'aspect technique de leur métier. Il faut qu'ils aient un vécu qui leur permette de motiver les gamins, de les sensibiliser à ce qu'il y a de bien, d'épanouissant dans nos métiers. Il faut qu'ils puissent avoir de la passion à transmettre.

C. A. : Vous savez pour moi, les mains n'existent pas sans la tête. Si les artisans ont du talent quand ils réalisent quelque chose avec leurs mains, c'est parce qu'ils savent faire travailler aussi leur intelligence. Je veux combattre l'uniformité, et faire admettre l'idée qu'il est aussi important d'être bon en musique qu'en mathématiques. La seule chose qui compte aujourd'hui, c'est d'être bon ! Quand vous faites un métier, peu importe comment vous y êtes arrivé, quels diplômes vous avez passés, ce qui est important c'est ce que vous êtes, ce que vous faites. A partir de là, nous avons complètement intégré le fait que les élèves devaient avoir en face d'eux des professionnels pour découvrir les matières techniques. Nous avons parlé des professeurs associés tout à l'heure, mais sachez que depuis deux ans maintenant, dans les lycées professionnels, nous recrutons des gens qui, avec un CAP et 7 ans d'expérience, ou avec un bac pro et 5 ans d'expérience, sont autorisés à passer le concours de Professeur de lycée professionnel. Un système de validation de l'expérience professionnelle, que nous simplifions pour qu'il puisse intéresser davantage de gens, permet à des personnes qui n'ont pas de diplômes de faire valider leur expérience et d'obtenir des titres ou diplômes. Ce sont autant d'avancées qui nous permettent aujourd'hui de professionnaliser encore plus l'enseignement technique. Où, je vous signale, nous avons déjà de très bons enseignants, tant dans les matières d'enseignement général que dans les matières techniques. Mais nous voulons encore aller plus loin, faire mieux pour que les élèves soient plus proches de la vie professionnelle, mieux préparés à la réalité de leur métier.

J. L.-D : Vous avez eu raison Monsieur le ministre, et je vous en remercie, d'avoir fait remarquer tout à l'heure que le tourisme était la première richesse de la France, mais que fait-on pour les langues vivantes ? J'avais demandé à l'école hôtelière de La Rochelle qu'il y ait une alternance de cours en français et en anglais, que la gestion, le service de salle, la cuisine soient aussi enseignés en anglais ! De ce côté là, on n'a pas beaucoup avancé. Il faut aller plus loin.

C. A. : Je suis totalement d'accord avec vous ! C'est ce que font certains lycées hôteliers, c'est le cas de Dugny qui a un accord de partenariat avec une chaîne hôtelière en Grande-Bretagne ce qui permet d'avoir des enseignants anglais qui sont des professionnels et aux élèves de faire des échanges, autant dire que c'est formidable pour les élèves. Mais si je suis convaincu de ce besoin, ce n'est pas pour autant que je peux le satisfaire. Malheureusement, ça ne suffit pas d'être ministre et d'avoir la volonté de faire pour y arriver... j'ai aujourd'hui 1 500 postes d'assistants anglais qui sont vacants ! Autant dire que, malgré la détermination que nous avons, nous ne pouvons pas faire grand chose sans avoir les gens compétents en face des élèves. Aussi, faut-il trouver d'autres solutions, et savoir innover et motiver les proviseurs pour qu'ils arrivent, à l'image du proviseur de Dugny, à trouver les formules qui s'adaptent le mieux à leur établissement. Il faut laisser les gens libres, autonomes, ils trouveront les solutions pratiques.


Claude Allègre : "Les mains n'existent pas sans la tête"

J. L.-D : Les jeunes m'intéressent et c'est la raison pour laquelle je suis ulcéré de savoir qu'entre 14 et 16 ans, l'âge le plus difficile pour les garçons qui ne font rien à l'école, il nous est impossible de jouer un rôle. Ils tombent dans la délinquance pour certains et quand on les récupère à 16 ans comme apprenti, il est trop tard, ils ne savent même pas encore lire et écrire ! C'est du gâchis, notre métier est un fabuleux ascenseur social.

C. A. : Moi aussi les jeunes m'intéressent, c'est même l'essentiel de mon engagement. Il faut leur faire confiance et leur donner leur chance parce qu'ils sont ambitieux. Alors bien sûr, ils vont faire des erreurs et alors ! Ils évolueront. Il faut mettre en place tous les éléments qui leur permettront d'évoluer. Je fais partie des gens qui pensent que la vie n'est pas décidée à 20 ans; il faut savoir arrêter ses études assez tôt mais pouvoir continuer plus tard grâce à la formation continue. Dans le monde dans lequel nous vivons, il faut être capable de s'adapter. Je suis contre l'idée même d'ascenseur social : l'ascenseur, c'est vous faire aller très vite à un palier et vous y restez après parce que l'ascenseur est parti ! Moi, c'est de l'escalier social dont je veux parler, parce que l'escalier, c'est continuer tout le temps à marcher, à avancer, à grimper. Et vos métiers, grâce à leur richesse, à la variété de leurs tâches, permettent à des quantités de jeunes de pouvoir commencer très bas et d'arriver, grâce à leur travail, à des niveaux très élevés. Alors je suis tout à fait ouvert à ce que l'on adapte encore mieux le système pour ces jeunes entre 14 et 16 ans mais attention, n'allons pas à contre-courant Monsieur Le Divellec. L'école est obligatoire jusqu'à 16 ans, nombreux sont ceux qui se sont battus pour cette avancée sociale, n'essayons pas de revenir dessus, tentons de trouver les solutions autre part, je vous mets en garde : un contrat d'apprentissage, c'est un contrat de travail, donc pas question de l'établir avant 16 ans mais il y a d'autres solutions en dehors de l'apprentissage ! Par exemple, l'enseignement professionnel intégré.

J. L.-D : Comment arriver alors à faire venir ces gamins de 14 à 16 ans dans des entreprises pour leur permettre de découvrir que si le monde de l'école ne leur convient pas, tout n'est pas foutu pour eux, le monde du travail en fera des hommes ! Il faut leur donner leur chance à eux aussi.

C. A. : Nous allons y travailler, mais en restant dans la scolarité à 16 ans. Permettre aux enfants de trouver leur voie, c'est ce que l'on essaye de faire chaque jour avec l'enseignement professionnel intégré. Maintenant, vous posez le problème de savoir s'il faut commencer l'enseignement professionnel intégré dès le collège ! Il faut réfléchir et aller doucement, pour trouver quelque chose de parfaitement adapté ; n'allons pas créer quelque chose de plus pour nous dédouaner, je ne serais pas d'accord. Ce que vous voulez c'est permettre à ceux qui veulent choisir plus tôt, dès 14 ou 15 ans, de pouvoir le faire tout en permettant à ceux qui veulent prendre leur temps, de faire leur choix plus tard. Je suis d'accord sur le principe, il faudrait imaginer une solution au niveau du collège. Nous allons en parler avec Ségolène Royal. Mais moi, je crois qu'il y a un autre problème qu'il faut savoir prendre en main, c'est l'orientation : il faut que des professionnels viennent, je le répète, dans les collèges pour parler des métiers de cuisinier, de serveur aux élèves ! C'est un appel aux professionnels que je lance : rapprochons-nous pour faire un meilleur travail, pour permettre aux jeunes de trouver leur voie et d'avoir un métier où ils pourront s'épanouir.

Sur l'Ecole hôtelière de Paris dont la convention entre l'APHRL, (Association propriétaire composée du SFH et du SNLRH) et le ministère de l'Education nationale a été dénoncée par l'APHRL.
"On va faire quelque chose, il faut absolument sauver cette école : l'école hôtelière de Paris c'est un nom ! Si la profession est d'accord pour faire un partenariat, moi je suis ouvert à toutes les discussions."

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L'HÔTELLERIE n° 2657 Spécial Formation 16 Mars 2000

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