Jonathan Pujol
Sur les quais du petit port de Cassis, un tout jeune homme surprend les clients qui s'attablent pour la première fois à la Vieille Auberge par son bagout et son professionnalisme. Jonathan Pujol a presque 15 ans. Mais le service est pour lui un jeu ! Et pour rien au monde il ne ferait autre chose !
Son premier poisson, Jonathan
l'a découpé à six ans, sous le regard attentif de son grand-père, et il en est très
fier ! A cet âge-là, dans les cuisines de la Vieille Auberge, il aidait aussi à trier
les légumes et les pommes. A 11 ans, au retour de l'école, il se précipitait pour tenir
le bar ; et à douze ans il se régalait lorsqu'il pouvait remplacer un commis absent ou,
mieux encore, donner un coup de main au service ! Aujourd'hui, Jonathan a bientôt 15 ans.
Et le feu sacré. Il ne peut envisager la vie autrement que dans un restaurant. "C'est
normal, je suis né là-dedans. Mon père dirigeait la salle et ma mère s'occupait du bar
le soir ; alors, je venais manger ici. J'étais copain avec tous les serveurs et dès que
j'avais un moment de libre, je les imitais. Ça m'amusait et ça me faisait un peu
d'argent de poche !" Et puis, l'école, bof ! Jonathan ne voulait plus y
retourner. "J'ai redoublé la sixième mais j'ai continué à ne rien faire et à
m'amuser. Alors, depuis la rentrée, je suis en CAP, deux semaines à l'école, deux
semaines ici. C'est bien..."
C'est désormais Patrick, son père, qui, dans le cadre d'une société familiale, gère
la Vieille Auberge, un restaurant de 70 couverts dont la clientèle est à 80 % locale et
qui tourne avec seulement 5 personnes, plus des extras en été. Voyant son fils aussi
déterminé, il s'est laissé convaincre. "Au moins, il fait ce qu'il aime et il
ne perd pas son temps. Sa mère aurait aimé qu'il continue encore un peu. Mais il est
comme moi, c'est pas son truc ! C'est pas la peine d'essayer de le changer ! Alors on a
fait un contrat de stage et il continuera comme ça jusqu'à 16 ans." Depuis,
Jonathan est aux anges. Il peut servir les clients autant qu'il veut. Et il est
responsable à part entière de son carré. "Des fois, je fais la terrasse tout
seul : jusqu'à 40 couverts. Et pour aller de la cuisine à la terrasse, c'est long !"
Du coup, pour limiter les déplacements, il s'est entraîné à porter quatre assiettes
pleines sur une seule main, dont une grâce au petit doigt ! "Il en bat plus d'un,
reconnaît son père. Les clients se régalent, ils le connaissent tous... Et puis, il
arrive toujours à l'heure, prend déjà des initiatives auxquelles les autres ne pensent
pas. Quand il est là, je n'ai pas peur de m'absenter... Oui, c'est vrai, je suis fier de
lui !" Etre en salle, Jonathan adore. Même si les clients l'agacent parfois en
lui demandant son âge, car il est encore fluet et paraît plus jeune qu'il ne l'est.
"C'est systématique : dès que je sers des inconnus, j'ai droit à la question !
Alors, maintenant j'anticipe et je le leur dis d'entrée !" C'est qu'il est
malin, Jonathan ! Et qu'il a la tête sur les épaules et les idées bien claires.
Lorsqu'on lui demande par exemple pourquoi il aime tant le service, il répond que c'est
pour le contact, bien sûr, "parce qu'on plaisante avec les clients, que tout le
monde est content", et parce que "entre deux coups de bourre, il y a des
pauses, alors qu'en cuisine on travaille tout le temps". Mais, il ajoute ensuite
un peu hésitant : "Il y a une autre raison aussi mais je sais pas si je vous la
dis... C'est à cause des pourboires. On gagne plus d'argent."
"La géographie, j'aime ça car je veux partir dans les îles..."
Et ma foi, Jonathan n'a pas honte de dire que l'argent lui plaît. Cela permet de sortir
le soir, de s'amuser, d'acheter peut-être un jour une moto. Et de voyager surtout.
Jonathan en rêve. Il rêve des îles. Et il économise déjà pour aller à l'île
Maurice, où il a passé un jour des vacances avec ses parents. Mais il pense aussi aux
Maldives, à la Polynésie... "J'ai toujours travaillé ici, mais j'ai envie de
voir du pays. C'est pour ça que je m'intéresse à la géographie. A l'école, c'est
cette matière qui me remonte." Quand ? Lui, il partirait bien se frotter à
d'autres réalités dès la fin de la deuxième année de CAP. Mais son père, s'il est
d'accord sur le principe, le trouve encore bien jeune pour voler ainsi de ses propres
ailes. "Je suis un peu trouillard, reconnaît-il. Et je n'ai pas envie
qu'il parte avant qu'il ait 17 ans. Alors, je le pousserai... Pour l'instant, il a encore
des choses à apprendre. Je l'emmène avec moi au marché, l'habitue à faire les
achats..." Cependant, Jonathan pourra commencer à se dépayser en allant faire
des stages chez son oncle, Serge, qui a monté un restaurant en Angleterre. Dans cette
perspective, il apprend l'anglais, autre matière scolaire qui lui plaît. "L'anglais,
c'est drôlement important ! affirme-t-il. Je sais déjà dire toute la carte et
accueillir les clients." Car Jonathan brûle d'envie d'apprendre. Les vins par
exemple. "J'ai fait un stage dans un restaurant gastronomique de Cassis, à la
Presqu'île, où j'étais en salle dès le premier jour. J'avais une chemise blanche, un
nud papillon, un gilet provençal... c'était classe. J'aimais bien les serveurs.
L'un d'eux, âgé de 18 ans, faisait des études de sommelier. On a beaucoup discuté. Ça
me plairait bien de choisir le vin pour le client, de l'assembler avec les mets...
Maintenant, quand on me demande un vin sec, je sais ce que c'est. Mais je ne sais pas
encore bien reconnaître au goût les vins secs et les vins fruités. Alors, je
m'entraîne..." Et Jonathan s'en va desservir ses tables, après avoir fait faire
quelques pirouettes à son plateau.
L. Casagrande
"J'ai toujours travaillé ici, mais j'ai envie de voir du pays",
déclare Jonathan, aux côtés de son père.
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L'HÔTELLERIE n° 2657 Hebdo 16 Mars 2000