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Les franchisés et leur clientèle

Le feuilleton continue !

Un arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 février 1996 avait jugé que le franchisé, contraint de respecter les normes de son franchiseur, n'avait pas de clientèle propre et autonome, qu'il n'était donc pas propriétaire de son fonds de commerce, la clientèle en constituant l'élément essentiel. Par conséquent, il n'avait pas droit au renouvellement de son bail et devait libérer les lieux, sans indemnité d'éviction, et à défaut être expulsé "au besoin avec l'assistance de la force publique".

Aussi paraît-il utile de faire le point de la jurisprudence intervenue depuis lors. La Cour de cassation ne s'étant, pour l'instant, toujours pas prononcée sur la propriété de la clientèle dans les contrats de franchise, on constate que les tribunaux apprécient au cas par cas le rôle rempli respectivement par le franchiseur et le franchisé dans la formation du courant de clientèle.

Il en résulte une jurisprudence totalement contradictoire dans des affaires quasiment similaires. Certains tribunaux ont en effet considéré que le franchisé n'était pas propriétaire de sa clientèle, et d'autres qu'il l'était.

Le franchisé n'est pas propriétaire de sa clientèle

Dans la droite ligne de l'arrêt de la cour de Paris du 6 février 1996 précité, un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 octobre 1997 a dénié également à un franchisé la propriété de la clientèle. Pour ce faire, il a examiné les obligations résultant du contrat de franchise pour déterminer le degré d'autonomie du franchisé. Il a considéré que la clientèle était captée par l'enseigne du franchiseur, le chiffre d'affaires du franchisé ayant baissé lorsque le franchiseur avait lui-même des difficultés. De plus, le franchisé n'exploitait pas préalablement à la signature du contrat de franchise son fonds de commerce. Un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 30 octobre 1998 a également considéré qu'un franchisé Jean-Louis David n'avait pas de clientèle propre et autonome et lui a donc dénié la propriété de son fonds de commerce et le bénéfice du statut des baux commerciaux. Analysant les clauses du contrat, le tribunal a déduit que le franchisé disposait d'une marge de manœuvre quasi inexistante. Le franchisé devait exercer son activité dans les limites de l'image Jean-Louis David "en concédant au franchiseur le bénéfice exclusif des innovations qu'il pourrait apporter, innovations diffusées au réseau au détriment du fonds de commerce qui en perd l'exclusivité et donc la clientèle."

Le franchisé est propriétaire de sa clientèle

Par un arrêt du 8 mars 1996, la cour de Paris a jugé que le franchisé, qui effectuait des prestations par un système télématique à l'échelle nationale, était propriétaire de sa clientèle. Elle a considéré dans cette affaire qu'il y avait dualité de clientèle : une clientèle nationale au niveau de la marque et du propriétaire du centre serveur qui appartenait au franchiseur, et une clientèle locale au niveau des utilisateurs et bénéficiaires des services en cause qui s'adressaient au franchisé. Par un autre arrêt du 22 avril 1998, la cour de Montpellier a reconnu à juste titre au franchisé Marcelle Griffon de Rodez la propriété de la clientèle. La cour a considéré que le franchisé était un commerçant juridiquement indépendant immatriculé au registre du commerce et des sociétés, qu'il accomplissait des actes de commerce pour son propre compte et que si la clientèle pouvait suivre une marque, elle était surtout attachée aux qualités personnelles de l'exploitant. La clientèle est attirée par l'emplacement du point de vente, "d'ailleurs il est régulièrement observé que pour la même marque, la clientèle n'est pas aussi importante d'un franchisé à un autre, ce qui démontre que les qualités propres du franchisé, son savoir-faire, l'emplacement de son point de vente, sa façon de commander les articles, sont pour une très grande part dans la réussite ou non de la vente des articles émanant du contrat de franchise". La cour en a conclu que la clientèle, même en cas de contrat de franchise, est bien la propriété du commerçant.

Les tribunaux doivent trancher

S'il est incontestable que la marque et l'enseigne du franchiseur contribuent à la création de la clientèle du franchisé, il ne s'agit à ce stade que d'une clientèle virtuelle, potentielle, théorique. Il appartient, non pas au franchiseur mais au franchisé, de la capter, de la fidéliser grâce à ses qualités personnelles de vendeur, c'est-à-dire de transformer cette clientèle virtuelle en clientèle réelle.

Dès lors, les tribunaux doivent choisir :

soit ils considèrent que le franchisé est indépendant, a une clientèle propre et autonome et est donc propriétaire de son fonds de commerce, bénéficiant du droit au renouvellement de son bail ou à défaut d'une indemnité d'éviction ;

soit ils estiment que l'autonomie du franchisé est à peu près réduite à néant ; mais, dans ce cas, au lieu de s'arrêter au milieu du gué, se contentant d'affirmer que le franchisé n'a pas de clientèle propre et autonome, ils doivent aller jusqu'au bout de leur raisonnement et requalifier le contrat de franchise en contrat de travail.

Dominique Baschet - docteur d'Etat en droit, avocat à la cour de Paris, membre du Collège des experts de la fédération française de la franchise

Comment prévenir cette incertitude ?

Dans l'attente, soit d'une modification de la législation sur les baux commerciaux relative à la franchise, soit d'un arrêt de la Cour
de cassation qui devrait clairement affirmer que le franchisé est propriétaire de sa clientèle, afin d'éviter aux franchisés de vivre,
en fin de bail, dans l'angoisse que leur bail ne soit pas renouvelé
et ce, sans versement d'une indemnité d'éviction, on ne peut que leur conseiller pour l'instant la solution suivante :

demander à leur bailleur, lors de la négociation du bail de leur local, d'insérer une clause par laquelle il reconnaît expressément que
le franchisé locataire est propriétaire de sa clientèle.

Affirmer par la suite le contraire relèverait d'un numéro de cirque auquel de nombreux bailleurs refuseront certainement de se livrer.


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L'HÔTELLERIE n° 2654 Hebdo 24 Février 2000

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