Du côté des prud'hommes
La rédaction d'un protocole transactionnel requiert une technique maîtrisée et une grande attention. A défaut, le juge pourra l'annuler et il ne produira plus aucun effet. C'est ce qui dernièrement a bien failli arriver à l'une de ces fameuses brasseries parisiennes.
La petite histoire
L'employeur qui nous intéresse aujourd'hui exploite une brasserie du quartier
Saint-Michel. Il occupe habituellement une vingtaine de salariés. Il y a 10 ans de cela,
il a embauché le salarié en cause sous contrat à durée indéterminée en qualité
d'officier. Malheureusement, les relations de travail se sont dernièrement dégradées
entre les deux parties.
L'employeur reproche au salarié de refuser d'exécuter des tâches lui incombant ainsi
que de porter une tenue vestimentaire des plus négligées. Il a décidé de procéder au
licenciement du salarié.
Il le convoque à un entretien préalable, par lettre remise en mains propres contre
décharge. A la suite de cet entretien, il notifie au salarié son licenciement pour cause
réelle et sérieuse par lettre recommandée avec accusé de réception. Le salarié
exécute son préavis de 2 mois. A son terme, il perçoit le solde de ses salaires et
congés payés, son indemnité de licenciement ainsi que les documents lui revenant de
droit. Dès le lendemain de la signature du reçu pour solde de tout compte, le salarié
conteste son licenciement et demande que lui soient versés des dommages et intérêts à
hauteur 8 mois de salaire environ. Il affirme de façon péremptoire qu'il a fait l'objet
d'un licenciement abusif.
Un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès
L'employeur, de son côté, sait qu'en cas de contentieux il n'est pas à l'abri d'une
condamnation. En effet, le salarié avait 10 ans d'ancienneté au moment de son
licenciement, et il n'avait jusqu'alors fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire.
"Un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès" lui souffle un ami
magistrat. Des négociations s'engagent donc entre la société et le salarié. Elles
aboutissent, quelques jours plus tard, à la signature d'un protocole transactionnel.
L'employeur verse une indemnité transactionnelle, forfaitaire, globale et définitive
équivalant à 3 mois de salaire. L'affaire est terminée, c'est ce qu'il pense.
Malheureusement, le salarié ne l'entend pas ainsi. Après réflexion, il considère que
l'indemnité qui lui a été versée par son employeur est insuffisante. Il décide de
saisir le conseil de prud'hommes de Paris, afin d'obtenir qu'il condamne l'employeur à
lui verser des dommages et intérêts équivalant à 8 mois de salaire (déduction faite
des 3 mois déjà versés).
L'employeur invoque un argument de procédure
Arrivé devant le conseil de prud'hommes, l'employeur, par l'intermédiaire de son
conseil, va demander à prendre la parole en premier. Il appartient en effet au demandeur
de toujours plaider en premier. Mais l'employeur soulève, ici, une exception de
procédure.
Avant tout débat sur le bien-fondé du licenciement, il entend soulever une fin de
non-recevoir afin de faire déclarer irrecevable la demande du salarié. Il affirme pour
cela qu'un protocole transactionnel a été valablement conclu entre la société et le
salarié, et qu'il a pour effet de rendre impossible toute poursuite du salarié devant la
justice.
Et l'employeur d'entamer la lecture de ce précieux document : "En contrepartie
d'une indemnité transactionnelle, forfaitaire, globale et définitive de 3 mois de
salaire, le salarié se désiste formellement de toutes actions et instances présentes et
futures à l'encontre de la société et concernant le contrat de travail qui le liait à
la société n'ayant plus aucun droit à faire valoir."
Et l'accord transactionnel de préciser : "Cet accord règle entre les parties
définitivement et sans réserve tout litige né ou à naître relatif à l'exécution et
la rupture du contrat de travail qui liait le salarié à la société et emporte
renonciation à tous droits, actions, instances et prétentions présents ou futurs."
Enfin : "Le présent accord constitue une transaction globale, forfaitaire et
définitive dans les termes des articles 2044 et suivants et notamment de l'article 2052
du Code civil."
Aussi, le protocole transactionnel signé "réglant tous litiges entre les parties
nés du contrat de travail en cause, ayant autorité de la chose jugée en dernier ressort
au sens de l'article 2052 du Code civil, c'est-à-dire à force même d'un jugement pour
lequel tout délai de recours aurait expiré, et entraînant désistement d'action et
d'instance réciproque".
Le conseil de prud'hommes ne peut, selon l'employeur, que déclarer irrecevables l'action
et l'instance introduites par le salarié à l'encontre de la société. L'employeur
invoque, ici, l'article 122 du Nouveau Code de procédure civile.
Le protocole ne doit pas être vicié
Et l'employeur de poursuivre que le salarié ne saurait aujourd'hui valablement contester
le protocole transactionnel qu'il a signé.
Pour ce faire, le salarié devrait, sur le fondement de l'article 2053 du Code civil,
démontrer que son consentement a pu être vicié lors de la signature du protocole
transactionnel. L'employeur préfère anticiper. Il sait que le salarié entend notamment
affirmer qu'il ne sait ni lire, ni écrire et qu'en conséquence sa signature en bas d'un
protocole transactionnel n'a aucune valeur.
L'employeur réplique par avance et démontre que le salarié sait parfaitement lire le
français et l'écrire. Il produit, aux débats, pas moins de 7 attestations de salariés
qui tous témoignent de ce que le salarié sait lire et écrire notre langue. L'un des
employés précise même qu'il arrivait souvent à son collègue de lire le journal !
D'ailleurs, ajoute l'employeur, l'écriture du salarié sur le protocole transactionnel
n'est en aucun cas une écriture difficile ou heurtée. La signature de ce protocole par
le salarié est parfaitement valable.
D'autre part, l'employeur entend anticiper sur une éventuelle contestation du protocole
transactionnel par le salarié aux motifs, d'une part qu'il n'aurait pas pour objet de
régler un litige survenu entre les parties, d'autre part qu'il ne comporterait pas de
concessions réciproques.
Une réel motif de licenciement
Aussi l'employeur réaffirme qu'il avait bien un motif lui permettant de procéder au
licenciement. En effet, il reprochait au salarié de refuser d'exécuter un certain nombre
de tâches relevant de ses attributions et de porter une tenue vestimentaire des plus
négligées.
L'employeur prend même le soin de produire aux débats des preuves tendant à démontrer
la réalité des griefs retenus à l'encontre du salarié. Il explique que c'est sur la
base de ces griefs qu'il a convoqué le salarié à un entretien préalable et que par la
suite il a procédé à son licenciement. Il ajoute que la lettre de licenciement comporte
l'énoncé de ces motifs. Le protocole transactionnel intervenu avait donc bien pour objet
de régler un litige, il n'avait pas vocation à organiser une rupture à l'amiable entre
les parties.
L'employeur avait, en effet, préféré verser au salarié une indemnité transactionnelle
pour clore toute contestation.
Le salarié avait d'abord perçu à l'occasion de son licenciement le solde de ses
salaires et congés payés ainsi que l'indemnité légale de licenciement lui revenant. Il
lui avait été remis les documents afférant à la rupture de son contrat de travail :
bulletin de paie, attestation pour l'Assedic, certificat de travail. Il avait même signé
un reçu pour solde de tout compte. Ce n'est que le lendemain, à l'occasion de la
dénonciation de son reçu pour solde de tout compte, qu'il avait exigé des dommages et
intérêts à hauteur de 8 mois de salaire.
Des négociations étaient alors intervenues aux termes desquelles la société et le
salarié avaient convenu au prix de concessions réciproques de mettre un terme au litige
les opposant et de signer un protocole transactionnel : la société acceptait de verser
au salarié 3 mois de salaire en plus des sommes déjà versées, le salarié acceptait de
réduire ses prétentions de 8 mois à 3 mois de salaire.
Il faut des concessions réciproques
A cet égard, l'employeur ajoute que si la Cour de cassation exige des concessions
réciproques, elle n'impose pas une stricte proportionnalité de celles-ci comme une
condition de validité d'une transaction (Cass soc 13/05/1992 : il suffit que la
transaction comporte des concessions réciproques qu'elle que soit leur importance
relative).
Le salarié ne saurait donc aujourd'hui prétendre qu'il n'y a pas eu de concessions
réciproques entre les parties pour remettre en cause le protocole transactionnel qu'il a
signé.
L'employeur de conclure en demandant au conseil de prud'hommes de juger irrecevables
l'action et l'instance introduites par le salarié.
Le salarié invoque la nullité de la transaction
Le salarié se doit de répondre à cette argumentation. Si le conseil de prud'hommes
donne raison à l'employeur, son action se terminera là, sans même que le licenciement
ne soit jugé. Si le conseil de prud'hommes retient ces éléments, le débat pourra
s'ouvrir sur le fondement du licenciement. L'enjeu est donc de taille.
Le salarié va devoir démontrer au conseil de prud'hommes que la transaction dont
l'employeur faisait état est nulle et de nul effet. Pour lui, cette transaction ne
remplit ni les conditions de forme, ni les conditions de fond dégagées par la
jurisprudence de la Cour de cassation.
Le salarié affirme tout d'abord qu'il n'a jamais donné son consentement au protocole
transactionnel de façon libre et éclairée. A ce titre, l'avocat du salarié explique
que ce dernier, de nationalité tunisienne, n'a pu comprendre le contenu et apprécier les
conséquences de la transaction. Il ne sait ni lire, ni écrire le français. Il invoque
une jurisprudence de la Cour de cassation en vertu de laquelle il y a absence de
consentement et annulation de la transaction dès lors que le salarié ne sait pas lire la
langue dans laquelle la transaction est rédigée. L'avocat de conclure en demandant
l'annulation pure et simple de la transaction.
Il poursuit en expliquant que cette transaction ne comporte en tout état de cause aucune
concession réciproque. Il insiste surtout sur le fait que la concession de l'employeur
est particulièrement insuffisante eu égard aux indemnités dont le salarié aurait pu
bénéficier.
En effet, selon lui, l'employeur ne fait état d'aucun grief concret à l'encontre du
salarié à l'occasion du licenciement. Les motifs ne peuvent justifier le licenciement du
salarié. Celui-ci est manifestement abusif. Le salarié justifiant d'une ancienneté de
plus de 2 ans et la société employant moins de 11 salariés, il était en droit
d'obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne pouvant
être inférieure à 6 mois de salaire (article L 144-14-4 du Code du travail).
Dans ces conditions, la concession de l'employeur qui ne verse que 3 mois de salaire est
disproportionnée par rapport aux indemnités dues au salarié. La transaction doit être
considérée comme nulle et non avenue.
Les prud'hommes valident la transaction
Après avoir entendu les plaidoiries des parties, le conseil de prud'hommes de Paris a
décidé de suspendre immédiatement l'audience afin de se retirer pour délibérer. Le
jour même, il a déclaré irrecevable l'action et l'instance introduites par le salarié.
En rendant cette décision, le conseil de prud'hommes de Paris renvoie en fait les parties
au protocole transactionnel qu'elles ont signé entre elles. Il donne toute valeur à ce
contrat. Il en rappelle, à cette occasion, les conditions de validité :
l La première
est que le protocole transactionnel est destiné à clore ou à prévenir un litige né de
la rupture du contrat de travail. Le juge se place ici à la date de la signature du
protocole afin de vérifier la réalité du litige opposant les parties.
Autant dire que le licenciement à l'origine du litige et de la signature du protocole
transactionnel doit être motivé et que la procédure doit être respectée. Cela est
essentiel pour déterminer les droits reconnus au salarié lors du licenciement puis
déterminer l'existence (ou non) de concessions réciproques.
l La deuxième
est que la signature d'un protocole doit se faire en toute liberté et en toute
connaissance de cause. Aucune contrainte, aucune pression ne doit être exercée sur l'une
ou l'autre des parties.
l La troisième
est que le protocole doit comporter des concessions réciproques des parties afin de
mettre un terme au litige. "La transaction a pour objet de clore le litige par le
biais de concessions réciproques", rappelle le conseil de prud'hommes.
La transaction doit donc décrire dans quelles mesures l'employeur et le salarié ont
chacun abandonné leur position initiale pour trouver une solution amiable au litige les
opposant : reconnaissance de droits en sus de ceux initialement concédés au salarié,
versement de dommages et intérêts pour l'employeur et acceptation de droits et autres
indemnités inférieurs à ceux préalablement revendiqués pour le salarié.
Dès lors que la transaction remplit ces conditions, le conseil de prud'hommes ne peut que
lui reconnaître l'autorité de la chose jugée en dernier ressort et interdire au
salarié toute action ou instance.
La rédaction d'une transaction nécessite donc une extrême attention. Il s'agit d'un
exercice de style qui requiert désormais l'assistance de techniciens. Le conseil de
prud'hommes de Paris vient de le rappeler. Aux éventuelles parties intéressées de s'en
souvenir.
F. Trouet, SNRLH
Comment déterminer les concessions réciproques ?Afin d'apprécier la validité d'une transaction, le juge s'intéresse d'abord à la
nature du licenciement qui a été prononcé par l'employeur. Afin de déterminer les
droits reconnus au salarié à cette occasion, il va comparer ces derniers à l'indemnité
transactionnelle versée par l'employeur puis déterminer s'il y a bien eu concessions
réciproques entre les parties. Faute lourde : Faute grave : Faute : Absence de motif : |
Modèle de transactionAttention ! Ce modèle ne constitue qu'un exemple qu'il convient d'adapter à chaque situation. Entre : La société...... Adresse...... Représenté par Monsieur X agissant en qualité de..... Et Monsieur Y........ Adresse....... Il est rappelé les faits suivants : M. Y a été embauché le...... en qualité de...... ; Par lettre en date du ....., M. Y a été convoqué à un entretien préalable de
licenciement qui s'est déroulé le...... en présence de M. X (l'employeur) ; M. Y (le
salarié) et M. Z (représentant du salarié qui n'est pas obligatoire). Objet de la transaction M. Y reconnaît avoir été informé que le versement d'une indemnité supérieure à l'indemnité légale de licenciement entraîne un différé d'indemnisation au chômage. En application des articles 2044 et suivants du Code civil, le présent accord constitue une transaction globale, forfaitaire et définitive qui règle le différend intervenu entre les parties, et revêt l'autorité de la chose jugée en dernier ressort. Fait à ...., le.... Signature Signature Employeur Salarié (Ce document doit être établi en double exemplaire et remis à chacun des signataires). |
L'HÔTELLERIE n° 2644 16 Décembre 1999