Traditions et Qualité
Jean-Claude Vrinat,
président de Traditions et Qualité, affirme que "tout est rentré dans l'ordre".
Sans doute, mais cela n'a, visiblement, pas été sans mal. En fait, l'affaire débute le
29 octobre dernier lorsque Paul Bocuse, dans un premier courrier à Jean-Claude Vrinat,
s'étonne que quatre jours plus tôt, lors d'une réunion de Traditions et Qualité, la
mise sur la touche de Roger Vergé ait été à l'ordre du jour !
"Pourquoi chaque nouvelle candidature doit-elle être soumise à l'approbation des
membres lors des assemblées générales, alors qu'une radiation peut s'effectuer sans
consultation de l'ensemble des membres et être remise à la seule appréciation d'une
majorité soi-disant dirigeante ? Y aurait-il une politique à deux vitesses dans cette
noble institution qu'est Traditions et Qualité ? Ce qui reviendrait à dire que la
tradition est bafouée et la qualité bien médiocre !"
Despotisme
L'objet du litige : le choix du bureau de radier désormais les établissements qui n'ont
plus deux ou trois étoiles au guide Michelin... ce qui ne figure aucunement dans les
statuts. C'est aussi ce que remarque Michel Guérard, outré par cette "surprenante
et brutale décision dont Roger Vergé et Charlyne Bise n'ont pas été préalablement
informés. A titre personnel, je ne puis me résoudre à une telle décision despotique
qui me choque et me consterne tant elle me paraît violente, arbitraire et inéclairée",
écrit-il à son tour à Jean-Claude Vrinat.
"Je suis scandalisé, confie-t-il à L'Hôtellerie. Une telle
décision ne peut que nuire à une unité que l'on sait fragile dans notre milieu. C'est
une question de déontologie et un coup fourré de ce genre ne sert pas le métier.
Traditions et Qualité est avant tout une assemblée de copains où nul n'a à rougir de
son état, que l'on ait une, deux ou trois étoiles. Nous rassemblons des maisons
mythiques qui représentent bien la France et ce qui nous réunit est quelque chose de
profond qui ne s'accroche pas uniquement au fait des étoiles."
Rester indépendants
En fait, tant pour Michel Guérard que pour Paul Bocuse, le fond du problème est là :
les choix ne doivent pas être dépendants de celui d'un guide, aussi fiable et crédible
soit-il.
A l'évidence, la décision du comité directeur ne touche pas que la "génération
Vergé". Ainsi, Olivier Rllinger, ravi d'avoir été admis au sein de
Traditions et Qualité avec le parrainage de Joël Robuchon, s'élève lui aussi contre
cette décision inique. "Je n'ai jamais eu de maître d'apprentissage ou de
formateur et j'ai la plus grande admiration pour nos aînés qui ont permis de positionner
la cuisine française au plus haut niveau. Je trouve regrettable que l'on puisse envisager
de se séparer d'un homme comme Roger Vergé au sein d'un club qui reste le dernier lieu
où les cuisiniers peuvent se retrouver en toute amitié. Je ne connais pas beaucoup
monsieur Vergé, mais j'ai éprouvé un réel bonheur d'entrer à Traditions et Qualité
où cette génération a tant à nous donner. Dans mon esprit et celui de beaucoup
d'autres je crois, Traditions et Qualité s'est toujours identifiée à travers des
établissements d'une certaine caste, l'idée d'un certain faste, celui d'une belle table
culinairement parlant certes, mais servie dans un lieu magique où tout semble pensé pour
le plaisir de l'esprit et des sens. Elle n'a pas pour vocation unique, que je sache, de
n'être qu'un recueil d'étoilés."
"Notre rôle n'est pas d'être juge et partie. Les Relais Gourmands des Relais et
Châteaux l'ont bien compris et ne tiennent plus compte de l'appréciation des guides
qu'ils soient français ou étrangers ; je suis persuadé que ce sont eux qui sont dans le
vrai", insiste Paul Bocuse. "Traditions et Qualité doit se situer
au-delà de ces considérations, trouver sa définition moderne, dynamique, compétitive,
son style propre et l'imposer plutôt que de rester inféodée à d'autres.
(...) On comprendrait mal aujourd'hui l'obscur et indéfendable motif qui la pousserait
à répudier ceux qui n'ont cessé d'être l'image mythique, internationalement reconnue
de l'art et du savoir-vivre à la française", renchérit Michel Guérard.
Implication des membres
Dès lors, tout a changé. En date du 12 novembre, le comité directeur a lancé une vaste
consultation auprès de ses membres, leur proposant de les associer étroitement à la
rédaction de nouveaux statuts et sollicitant leur avis sur la question brûlante : "Seuls
peuvent devenir membres les établissements titulaires d'au moins deux étoiles dans les
pays où le Guide Michelin attribue deux ou trois étoiles."
Le verdict tombera à la fin de l'année... mais Jean-Claude Vrinat affirme : "Afin
de conserver la cohésion et le climat d'amitié qui, depuis quarante-cinq ans, ont
toujours prévalu au sein de notre association, le comité directeur a décidé, à
l'unanimité lors de sa réunion le 9 novembre, de ne pas donner suite à ces exclusions."
Pour le sondage, les documents ont été transmis à un huissier et "nous
attendons le résultat de la consultation. Le bureau décidera alors ce qu'il convient de
faire, malgré la petite manifestation épidermique de certains", dit-il encore
avant de conclure sur cette phrase sibylline : "Ceux qui braillent le plus fort
(sic) n'ont pas impressionné les autres."
Cela peut laisser sous-entendre que l'idée d'un "grand ménage" n'est
peut-être pas définitivement abandonnée. Surprenant non ?
J.-F. Mesplède
Composition du comité directeur :J.-P. Haeberlin, J.-C. Vrinat, G. Blanc, A. Westermann, P. Depée, P. Wynants, B. Pacaud et G. Boyer. |
Roger Vergé, l'un des membres qui a bien failli perdre sa place.
Une partie des membres de Traditions et Qualité, dont Jean-Claude Vrinat, président
(au 1er rang, aux côtés
de Georges Blanc).
L'HÔTELLERIE n° 2644 16 Décembre 1999