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Insertion et restauration

La concurrence peut-elle se cacher derrière la solidarité ?

Les professionnels grognent parfois à propos de la concurrence qu'ils devinent cachée sous l'image inattaquable de la solidarité et de l'insertion. Des organismes à but non lucratif agissent dans la restauration ou l'hébergement. Quelques exemples pour découvrir l'envers du décor.

A Moulins dans l'Allier, La Passerelle occupe les locaux d'une ancienne pizzeria. C'est un restaurant associatif, ouvert depuis septembre 1997. Mais le parallèle s'arrête là. Pas de paracommercialisme à l'horizon. "Notre seul but est de proposer une structure, la plus normale possible, pour l'insertion sociale des handicapés mentaux", explique Elisabeth Perrève, directrice de la Croix Marine dans l'Allier. D'où l'initiative de "recréer" une ambiance restaurant en centre-ville. Tous les repas, servis à table, proviennent des cuisines du centre hospitalier qui "prête" aussi du personnel infirmier. "Chacun doit faire l'effort de réserver son repas, trois jours à l'avance au minimum, de venir le prendre ici et de régler l'addition soit 35 F, café compris", poursuit la directrice. Mais le lieu n'est pas ouvert à tout le monde. Il reste réservé à des malades en cours d'insertion, à des gens sous tutelle. "Il nous faudrait vingt repas par jour pour couvrir les frais de personnel, de chauffage, etc. Mais nous ne recevons qu'une douzaine de patients pour une capacité de 25 places", souligne Elisabeth Perrève. Toujours dans le même département, l'ouverture des Ecluses, en 1994, dans la zone industrielle de Montluçon, avait jeté quelques inquiétudes chez les restaurateurs. "Mais cela n'a pas duré, se souvient Jean-Pierre Bujard, responsable de la Fédération des industries hôtelières dans cette ville, nous avons tout de suite mis les choses au point avec les responsables."

400 repas par jour
Pourtant Les Ecluses servent quotidiennement entre 80 à 100 repas en self-service et une vingtaine de couverts en restauration classique. Mais cela ne représente qu'une faible part de l'activité. Chaque jour, entre 320 et 350 repas sont réalisés, en liaison froide. Ils partent ensuite dans deux Centres d'aide par le travail (CAT) et d'autres établissements gérés par l'APEAH (Association des parents d'enfants et d'adultes handicapés), qui supervise aussi Les Ecluses. "De toute façon, nous sommes trop limités pour représenter la moindre concurrence. Nous ne sommes ouverts que le midi, du lundi au vendredi. Nous pouvons réaliser des prestations extérieures mais jamais le soir ou les week-ends. Des petits buffets, oui, mais pas question d'assumer une communion ou un mariage", souligne Alain Périchon, un des trois cuisiniers-moniteurs des Ecluses. "Nous avions une activité cuisine dans le Centre d'aide par le travail de Prémilhat", expliquait André Triboulet, directeur du CAT, quelques mois après l'ouverture du self. Mais matériel et locaux ne correspondaient plus aux normes, d'où l'idée de poursuivre cette activité dans des bâtiments neufs, hors du CAT, pour favoriser l'ouverture sur l'extérieur des handicapés.
Et si les cuisines peuvent permettre de réaliser jusqu'à mille repas par jour, "il n'est pas question d'en arriver là. Nous n'en avons pas le potentiel humain, précise Alain Périchon. Nous ne sommes pas là pour faire de la production." La tâche des moniteurs est aussi d'aider les travailleurs handicapés mentaux à se réaliser dans leur travail, à leur remémorer les gestes simples qu'ils ont tendance à oublier.
Même son de cloche au domaine de Marand, près de Saint-Amant -Tallende (Puy-de-Dôme). Dans un ancien château, un cadre bucolique avec un auditorium de 350 places construit en 1995, le domaine possède des atouts de poids pour organiser séminaires, communions ou autres repas de famille. Quinze jeunes en difficulté travaillent en cuisine et douze en salle. Fragilisés, ils ont tous connu des échecs tout au long de leur vie familiale, scolaire, professionnelle, avec des séjours en hôpital psychiatrique. "Nous essayons de les replacer dans des conditions proches de la réalité, explique Jean-Claude Bonnard, chef cuisinier. Mais nous ne pouvons pas suivre le rythme des "vrais restaurants". Si nous organisons un mariage important, nous consacrons la veille à la mise en place et le lendemain à la remise en ordre. Et nous ne prenons aucune réservation le dimanche, sauf pour les communions au mois de mai."
La tâche est aussi simplifiée pour le service. Les menus sont choisis à l'avance, donc pas de commande, pas d'addition ni de monnaie à rendre. "Notre objectif numéro un : que les jeunes soient reconnus dans ce qu'ils font. Et nous avons le temps de leur laisser le temps. Il y a le cas d'une jeune fille qui a attendu un an avant de pouvoir passer en salle, aller au con-tact du public", se souvient Jean-Claude Bonnard. "D'ailleurs les handicapés ont autant le droit de travailler que les autres. Et, n'oublions pas qu'une journée en hôpital psychiatrique revient entre 1 800 et 2 000 F à la société, soit dix fois plus cher que notre centre d'adaptation professionnelle par l'artisanat", soutient avec force Suzanne Landon, directrice du domaine des Marand. Elle ajoute que d'autres sections existent comme les espaces verts ou la lingerie.

Pas de publicité
Pour éviter des malentendus, "nous avons ouvert notre établissement à la commune de Saint-Amant-Tallende ; nous avons organisé le repas du troisième âge ; et nous sommes ouverts à toutes visites de professionnels pour leur montrer comment nous fonctionnons", ajoute-t-elle. Ici, comme pour Les Ecluses, pas de publicité bien entendu. Tout se passe par le bouche à oreille. "D'ailleurs notre planning est réservé d'une année sur l'autre, notamment pour les mariages. De plus, nous travaillons beaucoup avec Michelin. L'entreprise nous a aidés à mettre en place notre auditorium et elle organise de nombreux séminaires au domaine", souligne Jean-Claude Bonnard. Quant aux tarifs pratiqués, "ils se trouvent dans la moyenne haute", selon la directrice. Les entrées vont de 39 F à 79 F (Gourmandine de homard frais). Les poissons coûtent de 42 F à 61 F (Pavé de turbot aux girolles) ; les viandes de 45 à 72 F (Demi-pigeonneau farci au foie gras) ; le plateau de fromage plus salade verte revient à 25 F ; les desserts de 35 à 45 F. Sur la carte des vins, les rouges s'échelonnent de 51 F, le Côtes d'Auvergne, à 138,50 F, le saint-estèphe. Pour les séminaires de 15 à 80 personnes, la journée est facturée 170 F ; au-dessus, et avec l'utilisation de l'auditorium, la prestation fait l'objet d'un devis.
Aux Ecluses, les prix du self tournent aux environs de 10 F pour les entrées et les desserts ; 22 F pour le steak haché ; 40 F pour la bavette ; 38 F pour le menu du jour, etc.
Globalement, les tarifs restent compétitifs dans des cadres plutôt agréables pour des prestations de qualité. Mais la concurrence en elle-même reste limitée, du fait même des capacités et des buts poursuivis par les associations d'insertion des handicapés.
P. Boyer


Le restaurant Les Ecluses avec ses cuisines spacieuses et fonctionnelles pour réaliser 300 repas par jour destinés aux divers foyers et établissements gérés par l'association des parents d'enfants et d'adultes handicapés (APEAH).


Elisabeth Perrève, directrice de la Croix Marine dans l'Allier, avec deux "clients" et un infirmier du centre hospitalier de Moulins.


L'ancienne pizzeria de Moulins est devenue La Passerelle, restaurant associatif pour la réinsertion des handicapés et de personnes sous tutelle


Le domaine de Marand possède deux salles à manger de 76 et 50 places, plus un salon.


Suzanne Landon, directrice du domaine de Marand : "Si nos prestations ne sont pas valables, les clients n'ont pas d'état d'âme ; ils ne reviennent pas."


Jean-Claude Bonnard : "Tous ceux qui travaillent dans l'encadrement sont des professionnels."

 

Emmaüs dans l'hôtellerie

L'hôtellerie attire Emmaüs. La communauté a ouvert une auberge près d'Aigueperse (Puy-de-Dôme). Avec un confort minimum et une pension complète à 140 F par jour.
C'est en quelque sorte une diversification vers les services. Le secteur de la récupération devient en effet trop concurrentiel et attire de plus en plus d'entreprises industrielles.
Mais l'Auberge a été fermée quelques mois plus tard. "Nous effectuons des travaux de mise aux normes pour un montant de 2,5 millions de francs", explique José Tisserand, responsable du projet au sein d'Emmaüs,
D'ici la fin de l'année, l'hôtel pourra accueillir une trentaine de personnes, avec 27 chambres, un restaurant de 50/60 couverts et, en plus, une chapelle pour une centaine de fidèles. "Nous voulons nous ouvrir à tous les publics, poursuit José Tisserand, organiser des séjours à thème sur le jardinage biologique par exemple ; des séminaires... Et intégrer dans un même lieu les plus démunis et ceux qui les soutiennent."

L'Auberge est située dans un ancien couvent légué à la communauté Emmaüs, sur un terrain de 2 hectares.


L'HÔTELLERIE n° 2639 Hebdo 11 Novembre 1999

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