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"Tu ne seras pas hôtelier mon fils..."

De plus en plus, les enfants d'hôteliers ne veulent plus reprendre l'affaire familiale. Ce qui entraîne dans beaucoup de cas, le désespoir de leurs parents. La cause : taxation prohibitive, perte de rentabilité des affaires, mais surtout dévalorisation et désintérêt pour le métier.

Comme les tendances changent. Jusque dans les années 1960, près de huit exploitants hôteliers sur dix, ayant des descendants, pouvaient compter sur la reprise de leur entreprise par leurs enfants. C'était normal, c'était habituel, cela allait de soi. Aujourd'hui, on estime qu'il n'y a plus environ que 15 % des enfants d'hôteliers prêts à reprendre le flambeau, alors qu'une étude datant de 1993, commandée par le ministère du Tourisme, précisait que 47 % des exploitants de l'hôtellerie homologuée exprimaient le souhait de transmettre leur affaire à leurs enfants. Dans un secteur comme celui de l'hôtellerie, où l'entreprise à caractère familial reste encore majoritaire, c'est la débandade. Rien de va plus. La mention "hôtelier de père en fils" est en train de disparaître petit à petit. Premier accusé : la rudesse et les contraintes du métier, que la jeune génération connaît déjà et qu'elle n'a pas envie de vivre ou de revivre. "Nous rencontrons, essentiellement en province, beaucoup de professionnels dépités que leurs enfants ne veuillent pas suivre leurs pas. Leurs enfants ont trop vu souffrir leurs parents et n'ont pas envie d'endurer la même chose. Passés la cinquantaine, ces hôteliers, parfois très fatigués, ne voient plus d'autre solution que de vendre, à contrecœur", explique Christelle Rousseau, de Christie & Co, spécialisé dans les transactions commerciales. Pour Ludivine, une jeune fille d'hôteliers, les choses sont devenues tranchées : "Ce n'est que depuis l'année dernière que j'ai eu le courage de dire à mes parents que je ne souhaitais pas prendre leur suite. Cela a été difficile, car ils y ont cru et s'en étaient faits l'idée depuis longtemps. Mais, je ne me vois pas avec tous ces problèmes sur le dos et une vie de famille morcelée entre les arrivées de groupes, les absences d'une femme de chambre et le réparateur qu'il faut appeler à minuit."

Ouverture sur l'extérieur
Il arrive aussi que les professionnels encouragent leurs enfants à suivre une autre voie que celle de l'hôtellerie. "J'ai aidé ma fille à devenir avocat parce que je ne voulais pas qu'elle ait la vie que nous avons eue, mon mari et moi, avec notre hôtel", commente, le sourire aux lèvres, Katheryn Wintyeres, hôtelière dans le Sussex. En fait, les difficultés des hôteliers et des restaurateurs à recruter et à garder leur personnel, sont les mêmes que pour motiver leurs enfants à la reprise de l'affaire familiale. Cela semble même plus complexe encore, car les rejetons connaissent l'hôtel de fond en comble et ont souvent mis la main à la pâte. Un enfant d'hôtelier aura moins l'impression de grandir en restant là où il a passé son enfance. En dehors du manque d'allant pour rester dans l'affaire de papa/maman, le fait que les jeunes fassent de plus longues études et la perte de vitesse de l'apprentissage sont devenus des éléments perturbateurs. Il en va de même concernant la désertification des campagnes, que l'on quitte pour vivre en ville. Et puis, les juniors rencontrent plus facilement d'autres jeunes venant d'autres horizons. "Autrefois, on se mariait entre gens du métier. Maintenant, les fils et filles d'hôteliers se marient avec des personnes venues d'ailleurs, qui ne veulent en aucun cas se frotter à l'hôtellerie. C'est comme ça que l'on perd sa fille unique partie vivre en Afrique avec un ingénieur", dit Roland Triscard, du Château de Villetremont. La succession par les enfants est encore moins assurée dans les petites exploitations classées 2 étoiles et moins, qui sont pourtant majoritaires, surtout si elles sont situées à la campagne. Au contraire, dans les hôtels plus grands et dans le plus haut de gamme, l'hôtelier parvient plus facilement à motiver son fils ou sa fille à reprendre l'affaire familiale. C'est le cas de l'hôtel Le Pigonnet à Aix-en-Provence, un séduisant 4 étoiles de 52 chambres. "Avec mon frère, nous reprenons l'hôtel que notre grand-père a créé il y a 75 ans, suivi lui-même par notre père. Il y a quelques années, il était question pour moi de sortir de l'hôtellerie. J'ai donc fait une maîtrise de droit. Mais, sensible à l'esprit de sa pierre, j'ai décidé de revenir à l'hôtel où j'ai grandi et de contribuer à son développement", assure Gilles Swellen, 28 ans, qui aujourd'hui codirige l'établissement avec son frère Yann. Un hôtel qui bénéficie d'une forte activité, y compris saisonnière, a également plus de chance d'intéresser un jeune héritier, qu'une maison vide. "Vous vous imaginez bien qu'un jeune va être plus motivé pour reprendre la direction d'un château-hôtel de luxe qui marche bien, que d'un cabanon qui s'écroule", commente dans une logique terrienne, un responsable d'un syndicat hôtelier du Sud.

Les entreprises familiales et les autres
En fait, l'hôtellerie se découpe schématiquement en deux camps. Les hôtels souvent de grande capacité, gérés par des groupes hôteliers ou des propriétaires immobiliers. Pour ces derniers, il s'agit essentiellement de gestion capitalistique où les problèmes de succession n'ont pas cours. Cela concerne au bas mot près de 3 000 à 3 500 hôtels en France, seulement. A côté de ceux-là, on trouve une masse importante d'établissements plus petits, gérés par des familles ou des personnes physiques, souvent plus concernés par les aspects de la transmission de l'entreprise. Or, un hôtel de petite capacité demande souvent plus de mobilisation par la direction et se montre de toute façon moins rentable, proportionnellement, qu'un hôtel plus gros. "Le métier, notamment dans la partie restauration, est devenu bien plus complexe et plus dur qu'autrefois. Il faut être sur tous les fronts et même en travaillant beaucoup, on n'est pas récompensé. On n'est plus sûr de pouvoir gagner sa vie ; l'activité est devenue trop aléatoire et irrégulière", s'apitoie Georges Letallendier, hôtelier en Lorraine, qui a deux enfants partis pour faire des études autres qu'hôtelières.
Il n'y a pas que le manque de motivation des enfants pour empêcher une bonne succession. Parfois, au contraire, ils y montrent trop d'intérêt ! Un enfant peut vouloir vendre (pour récupérer de l'argent) tandis que l'autre voudra poursuivre la direction de l'hôtel.

Conflits familiaux
Dans d'autres cas, on peut rencontrer des rivalités entre frères et sœurs, voulant se partager la direction de l'affaire. "Nous avons eu de la chance, car nous nous entendons bien mon frère et moi. D'autant plus qu'à deux, nous pouvons nous relayer et être moins dépendants de l'entreprise, explique Gilles Swellen. Mais, je connais une famille d'hôteliers où tout le monde est à couteaux tirés quant à la destinée de leur hôtel." Il y a également les conflits de générations qui sont plus fréquents qu'on ne le croit. Ils peuvent mener tout droit à l'écœurement des parents ou des enfants et parfois à la vente de l'entreprise à un tiers. "Les enfants qui reviennent d'une formation hôtelière pointue, de stages et d'expériences professionnelles vécues ailleurs, ont envie de révolutionner l'affaire familiale à leur retour. Ils y voient aussi, brutalement, tous les défauts qu'ils ne percevaient pas avant. Il arrive que les parents, encore dans la force de l'âge, ne le voient pas du même œil et s'opposent à tout changement en profondeur. On n'a pas trouvé mieux pour faire fuir ses enfants", observe Maître Henrique, notaire à Paris.

Droits de succession élevés
Enfin, outre la baisse de rentabilité des exploitations hôtelières et le désintérêt des jeunes pour la profession, les taxes à la reprise d'une affaire par les descendants directs sont devenues un frein qui bloque et monopolise les esprits. A l'échelle d'un hôtel, les droits de donation ou de succession représentent entre 20 et 40 % de la valeur estimée de l'affaire. Certains jugent les droits de succession franchement confiscatoires. "Cela nous préoccupe, car nous ne faisons que reprendre une affaire dans laquelle nous travaillons déjà. Nous ne sommes pas des rentiers en puissance", s'insurge Gilles Swellen. Bien sûr, il existe des procédés de constitution d'une société à objet commercial, engageant parents et enfants, pour amoindrir les coûts, mais dans l'ensemble, ces démarches apparaissent complexes aux hôteliers, alors qu'il s'agit de leur outil de travail. Bien sûr, l'alarmisme n'est pas de rigueur. L'hôtellerie n'est pas en manque d'entrepreneurs. Les groupes hôteliers et beaucoup de nouveaux investisseurs, venus dans le métier, sont là pour en témoigner. Mais la réticence des jeunes à reprendre l'affaire familiale est quelque part comme un rendez-vous manqué, qui déçoit plus qu'il ne peine.
M. Watkins


A l'hôtel de Dieppe à Rouen, plusieurs générations de Guéret se sont succédé. Michel Guéret prépare la relève avec E. Dupuis, ce qui permet à son petit-fils d'apprendre son métier.


L'HÔTELLERIE n° 2635 Supplément Économie 14 Octobre 1999

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