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Contre la TVA à 20,60% et la loi Aubry

Toques et casseroles dans la rue

Le 11 octobre dernier, place de la Concorde à Paris, près de 3 000 professionnels ont répondu à l'appel des associations de restaurateurs et des organisations syndicales. Tous les partis politiques leur ont ouvert leurs portes, mais les gaz lacrymogènes et les arrestations laisseront des traces.

Les professionnels voulaient se faire entendre et ils ont réussi. Cette démonstration de force sera-t-elle suivie d'effet ? Les manifestants en toques blanches obtiendront-ils des politiques une baisse sensible du taux de TVA ou des charges sur les salaires ? Il est bien trop tôt pour le dire. En revanche, côté couverture médiatique, c'est une réussite incontestable. Radios, télés, presse écrite, ils étaient tous là pour couvrir l'événement. Et quand les retombées médiatiques abondent, les politiques prêtent l'oreille...
La manifestation nationale unitaire lancée par les associations professionnelles (Maîtres cuisiniers de France, chambre syndicale de la Haute cuisine française, Jeunes restaurateurs de France et Euro-Toques France) en collaboration avec les syndicats (Confédération, FAGIHT, UMIH) a été particulièrement bien suivie. Pour tous, un seul slogan : "Donnez-nous les moyens d'appliquer la loi Aubry." La réduction du temps de travail et les fameuses 39 heures que les professionnels voient arriver à grands pas, il faut pouvoir y faire face. Au-delà des différents engagements et appartenances, dans une belle unanimité, tous réclament une réduction du taux de TVA et des charges sur les salaires assortie de la création d'un code APE spécifique. Pour les restaurateurs, impossible d'appliquer la loi Aubry et de réduire le temps de travail des salariés dans l'état actuel "d'injustice fiscale".
A 9 h 30, place de la Concorde à Paris, on commence un peu à s'impatienter. Près de 2 500 personnes d'après les renseignements généraux, près de 3 000 disent les organisateurs, forment un cortège bien sage et minutieusement organisé, chacun sous sa bannière. Au pied de l'Obélisque chapeauté d'or, c'est une forêt de toques blanches qui se dresse fièrement. Dans les rangs, une franche convivialité et une détermination sans faille dominent. Ils sont venus de toute la France. Certains en car affrété par leur organisation professionnelle ou syndicale, d'autres en train ou en roulant toute la nuit. Ils sont là pour défendre les intérêts de toute une profession.

CRS et gaz lacrymogènes
Le cortège s'ébranle enfin et entame son parcours vers son but ultime, l'Assemblée nationale et ses députés dont chacun espère le soutien. Sur leur passage, les badauds s'interrogent. "Pourquoi vous ne faites pas de bruit ?", s'enquiert une passante visiblement étonnée. "Nous sommes des amateurs, madame", lui répond tout sourire un manifestant. C'est dans cette ambiance bon enfant que petit à petit les manifestants se rapprochent inexorablement du palais Bourbon. Et pourtant c'est peine perdue.
Sur le trajet, les CRS font leur apparition bien décidés à ne pas les laisser atteindre la chambre des députés. A chaque barrage, les professionnels bifurquent, cherchant une solution tout en évitant l'affrontement. Et pourtant, sur la place Herriot, arrêtés cette fois par un impressionnant déploiement de CRS derrière des barrières, le ton monte. Dans la foule, un œuf fuse en direction des forces de l'ordre. Au premier rang, les esprits s'échauffent et quelques-uns empoignent les barrières qu'ils secouent fortement. Puis, une pluie d'œufs s'abat sur les CRS et la réponse ne tarde pas à venir : une bombe lacrymogène explose au milieu des professionnels totalement aveuglés par la fumée. Les yeux pleurent, les gorges piquent, il faut bien reculer pour sortir des émanations, le tout dans une immense vague de panique. Il est 11 h 30. C'est le choc, aux cris de "Aubry aux fourneaux", scandés dans la bonne humeur succèdent les "Aubry démission". Dans les rangs, c'est la stupéfaction. "On n'est pas des casseurs. On a apporté des œufs symboliquement. On n'a jamais voulu en arriver là", dit une restauratrice. "Ils ne sont même pas durs, sinon ça aurait fait mal", ironise son voisin. "Bon d'accord, ils ne sont pas très frais, ajoute un troisième, mais de là à nous balancer une bombe lacrymogène, c'est inconcevable !" Premier bilan, cette rencontre musclée a fait des blessés légers des deux côtés : 3 chez les restaurateurs, 7 chez les CRS. "C'est une révolte des gens du feu, dit Emile Jung, du Crocodile à Strasbourg qui réussit enfin à s'extraire du nuage de gaz étouffant. Ce n'est pas pour rien qu'on arrive à ce degré d'implication et à ce niveau de colère. On réclame la parité des charges au niveau européen. La France ne nous donne pas les moyens d'être performant."

Reçus par les partis politiques
Déçus, en colère, les professionnels marchent alors sur le siège du parti socialiste rue de Solférino. Une délégation est reçue par Stéphane Lefol, directeur du cabinet de François Hollande. Dans le même temps, d'autres délégations se rendent aux sièges des autres partis politiques. Toutes seront reçues. Les organisateurs invitent les restaurateurs à rejoindre le Pont-Neuf où deux bateaux les emmèneront jusqu'au ministère des Finances à Bercy. Sur place, autour du ministère, des cars de CRS les attendent de pied ferme. Mais les bateaux n'accostent pas. Seulement quelques minutes d'immobilisation devant le fief de Dominique Strauss-Kahn pendant lesquelles les professionnels crient leurs revendications avant de retrouver leur point de départ au Pont-Neuf. Pour certains, qui comptaient bien débarquer à Bercy, ce n'est pas assez. Ils ne veulent pas en rester là. Or, comme pour toute manifestation légale, le parcours est balisé, l'autorisation de se rassembler pour protester doit-être obtenue et l'heure de la fin est prédéterminée. Au-delà, les manifestants encourent les foudres des forces de l'ordre.

28 interpellations musclées
A 14 h 45, au Pont-Neuf, Jean Biron prend le porte-voix et annonce la fin de la manifestation demandant à tous de rejoindre dans le calme les cars place de la Concorde. Les participants prennent alors le chemin indiqué mais c'est au milieu de la chaussée, banderole au vent, qu'ils entament le retour aux cars interrompant à nouveau la circulation. Au niveau des jardins des Tuileries, les choses se gâtent. Les policiers veulent les disperser et la colère monte. Excédés, certains restaurateurs brûlent leurs toques au milieu de la rue. Quelques minutes plus tard, les cars de CRS font à nouveau leur apparition arrivant à la charge. Les restaurateurs sont alors refoulés dans les jardins, dispersés et les interpellations se succèdent. 23 hommes et 5 femmes sont alors arrêtés et regroupés manu militari par les CRS qui les encadrent fermement. Interloqués de se retrouver dans cette situation, les restaurateurs n'en restent pas moins dignes et calmes. Deux heures plus tard, ils sont embarqués pour le commissariat du Ie arrondissement où leur identité sera vérifiée avant d'être relachés. "C'est une honte. Je suis horrifiée, crie une restauratrice. On n'a rien fait. Si c'est ça la démocratie...".
N. Lemoine


Chaude atmosphère rue de l'Université, après la riposte des CRS aux lanceurs d'œufs.


La Haute cuisine était fort bien représentée.


L'expression d'un sentiment général de la profession en quête de reconnaissance.


Manifestation enflammée.


Autour de Francis Attrazic, la délégation sort du siège du PS.


André Daguin, Guy Obozil, Fernand Mischler et un frère Pourcel suivis d'une foule déterminée.

 

Les professionnels prennent la parole

André Daguin, président de l'UMIH :
"Aujourd'hui, c'était un défilé pour se compter et pour que les délégations soient reçues par les partis politiques. Le but, c'était pas de lancer des œufs mais d'obtenir des accords. Maintenant, on a le soutien écrit du PC, du MDC et des Verts. Pour l'opposition, RPR, DL et UDF, c'était déjà fait avant. Quant au Parti socialiste,
on va rencontrer François Hollande et on a aussi rendez-vous à l'Assemblée nationale. Cette manifestation nous a ouvert les portes et c'est ce que nous voulions. Elle nous a donné des armes et le ton n'est déjà plus le même rue de Solférino. On va chercher les députés un par un pour obtenir leur soutien. Moi, président,
je ne reculerai jamais", s'exclame-t-il, rappelant qu'il a par ailleurs le soutien de la FNSEA.

François Effling, restaurateur à Pornic :
"On est les seuls à créer des emplois. Il faut qu'ils baissent les charges s'ils veulent qu'on continue à en créer. C'est pourtant pas compliqué et s'ils ne savent pas compter, qu'ils viennent nous voir. Nous, on sait et on va leur expliquer. En plus, nous dépendons d'au moins dix ministères et chacun se renvoie la balle. On doit avoir affaire à un seul ministère qui chapeaute tout ce qu'on représente.

Bernard Fournier, président d'Euro-Toques France :
"On n'est pas des financiers, c'est notre argent qu'on investit. Si aujourd'hui, on pousse un coup de gueule, c'est parce qu'on remet en cause l'artisanat. Ils veulent qu'on finisse au Musée Grévin".

Patrick Fulgraff, président des Jeunes restaurateurs d'Europe :
"On est trop pénalisés. Si on veut nous envoyer vers les 39 heures, il faut nous aider. Dans l'état actuel des choses, c'est impossible.
Il faut que les politiques en prennent conscience !"

Michel Garrigou, président de l'UMIH 24 :
"Paris, c'est beau, mais on en a "ras-la-toque"! Nous, les restaurateurs traditionnels, on est le trait d'union entre le luxe et le fast-food et on nous oublie. On est trop taxés. Il faut qu'on nous donne les moyens de prendre soin de notre clientèle et de nos employés."

Roland Magne, président de la CFHRCD :
"On est la seule profession à supporter entre 38 et 48 % de masse salariale sur le chiffre d'affaires contre 10 % dans l'industrie. On est les plus taxés au point de vue de la main-d'œuvre et on ne peut plus payer. Nous, on n'est contre rien. Ce qu'on veut, c'est vivre ! Le professionnel, c'est avec ses bras et son travail. Il ne gagne son argent à la corbeille lui ! Les Jeunes restaurateurs d'Europe, les Maîtres cuisiniers de France, toutes les associations sont derrière la Confédération et c'est très bien d'être tous unis."

Fernand Mischler, président des Maîtres cuisiniers de France :
"On achète les produits à 5,5 % et on doit les revendre à 20,6 %. Ça veut dire qu'on est taxés 15 % de plus que les fast-foods. Est-ce normal alors que nous défendons l'art de vivre à la française".

David Van Laer, restaurateur à Paris :
"Avec l'arrivée des 39 heures, j'envisage de fermer le lundi matin, période la plus creuse de la semaine, pour compenser. Ceci dit, j'ai pour voisine Martine Aubry. Si jamais elle vient manger chez moi, je prendrai quelques minutes pour lui parler et lui proposer de voir mes comptes. J'aimerais bien qu'elle me dise comment je dois faire pour y arriver avec les charges et la TVA qui nous assomment".

 


Epuisement de Jean Biron qui tente de convaincre les restaurateurs de la fin de la manifestation.


Gilbert Daumas (FAGIHT) et Roland Magne, étaient au rendez-vous.


Bernard Fournier, secrétaire général d'Euro-Toques, expose les raisons de la colère des restaurateurs.


Colère des manifestants embarqués pour Bercy sans jamais pouvoir accoster.


L'HÔTELLERIE n° 2635 Hebdo 14 Octobre 1999

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