Le Mas d'Aigret aux Baux-de-Provence
Qui devait effectuer les
travaux pour consolider la falaise jugée dangereuse par la commission de sécurité
départementale ? La commune, à qui appartient le sommet, ou bien le propriétaire du Mas
d'Aigret dont le terrain arrive au pied de la falaise ?
C'est à cause de ce différend, encore en discussion devant la justice, que le gérant de
l'hôtel a dû cesser d'exploiter son établissement pendant presque quatre ans et le
laisser à l'abandon, puisqu'il n'avait pas même le droit de rester sur les lieux. A la
suite d'une première expertise, la commune a fini par faire réaliser les travaux
nécessaires, avec l'aide de L'Etat (le site est classé), de la Région et du
Département, et a donc produit un arrêté de réouverture en... juin 1999.
Frédéric Laloy a ainsi redémarré son activité en juillet dernier, après avoir remis
2 MF sur la table. Il a passé un bon été, grâce au surplus de touristes que lui ont
envoyé des hôteliers solidaires. Mais il doit maintenant se reconstituer sa propre
clientèle.
6 MF investis en 1988
En 1988, Frédéric Laloy, 23 ans, arrive de Paris et achète, avec l'aide sa famille et
des banques, le fonds de commerce du Mas d'Aigret, un hôtel 3 étoiles des
Baux-de-Provence de 16 chambres, qui réalise péniblement un chiffre d'affaire de 2 MF.
Il rénove la partie hébergement, ouvre un petit restaurant de 50 couverts, qui
fonctionne midi et soir et qui obtient 16 sur 20 au Gault et Millau en 1992, crée le
jardin en y aménageant des restanques à la provençale et des petites terrasses... Soit
un investissement total de l'ordre de 6 MF. L'affaire, qui emploie 16 salariés, marche
bien. "En 1995, le Mas d'Aigret affichait un taux d'occupation annuel de 95 % sur
ses dix mois d'ouverture et un chiffre d'affaires total de 8 MF, explique Frédéric
Laloy. Et, selon l'expertise que nous avons fait faire au moment de la fermeture, le
fonds de commerce était estimé à 12 MF."
Mais, patatras : en 1995 des rochers tombent de la falaise. Le 1er novembre de cette
année-là, la commune prend un arrêté municipal de fermeture et engage une première
tranche de travaux qui s'étale sur six mois mais que la commission de sécurité
départementale juge insuffisante. C'est alors que l'affaire se corse : la commune estime
que la verticalité de la falaise appartient au propriétaire du Mas d'Aigret. Les deux
parties entament donc une bagarre juridique à tiroirs, ce qui gèle toute poursuite des
travaux...
Dépôt de bilan de la SARL
Mais que devient le gérant dans l'histoire ? "Pendant les six premiers mois, j'ai
continué à honorer les échéances prévues pour la location des murs (240 000 F
annuels) en les finançant sur mes fonds propres. Mais ensuite, cela m'est devenu
impossible et j'ai dû déposer le bilan de la SARL Mas d'Aigret que j'avais constituée
et qui a été liquidée en 1998. Du coup, le propriétaire a résilié mon bail..."
Comble de malheur : Frédéric Laloy ne peut pas engager de poursuites contre qui que ce
soit pour demander des dommages et intérêts. "Dans la législation française,
explique-t-il, une personne physique ne peut pas prendre le relais d'une personne
morale, même si elle en est actionnaire majoritaire. L'action que j'avais entamée en 95
en tant que SARL du Mas d'Aigret est donc tombée en désuétude lorsque la SARL a été
liquidée, puisque je ne pouvais pas la reprendre à mon compte."
Fin 1998, un premier rapport d'expertise, demandé par le tribunal, est favorable au
propriétaire. Le jugement n'est pas rendu mais la commune se décide à engager de
nouveaux travaux...
"Le propriétaire a accepté de me reprendre comme exploitant mais j'ai dû
racheter le droit au bail (environ 0,50 MF), payer deux ans de loyers non versés, et
accepter qu'il double son loyer pour l'avenir..." Pour ce faire, Frédéric Laloy
crée une nouvelle société d'exploitation avec l'aide d'un associé, Vincent
Missistrano. Elle doit investir 1,70 MF pour remettre en état un établissement laissé
à l'abandon depuis trois ans. Seule la partie hébergement est remise en service.
Un intermède à Paris
Car, entre-temps, Frédéric Laloy est remonté à Paris pour gagner sa vie et a emprunté
de l'argent pour créer un petit restaurant de 45 couverts sur les Champs-Elysées, le
Bistro de l'Olivier. "Il marche bien, dit-il, et m'a permis de réinvestir.
Mais, du coup, je n'ai pas le temps de m'occuper du restaurant ici. On verra plus
tard."
Les deux associés ont également besoin de toute leur énergie pour relancer le Mas
d'Aigret qui a tout à la fois perdu sa clientèle, son label de Château et Hôtel de
France (qu'il retrouvera cependant dès l'an prochain), son inscription dans les guides
nationaux et internationaux.
"J'avais une clientèle internationale à 70 % avec un prix moyen chambre +
petit-déjeuner à 900 F TTC et un ticket moyen pour le restaurant de 450 F TTC. Nous
allons reconstituer un fichier, recontacter les tour-opérateurs et les agences de voyages
avec lesquels nous travaillions... Nous espérons faire un TO annuel de 40 % en l'an 2000,
de 60 % en 2001 et de 80 % en 2002."
L. Casagrande
Au pied du château des Baux, l'une des chambres disséminées dans le jardin. Il
ne s'agit pas ici de la falaise incriminée.
Le Mas d'Aigret... retrouvera dès l'an prochain son label Château et Hôtel de
France.
L'HÔTELLERIE n° 2634 Hebdo 7 Octobre 1999