Les hôteliers martiniquais contre les compagnies aériennes
Vous vous apprêtez, comme
nous, à célébrer dans 4 mois notre entrée dans le IIIe millénaire : chacun d'entre
nous a l'ambition légitime d'assurer à son entreprise une entrée en fanfare en l'an
2000, et de lui promettre un XXIe siècle radieux.
Mais alors, pourquoi avez-vous décidé, pour marquer l'événement, de faire à votre
clientèle ce qu'elle ressent comme une grande injustice ? Imaginez-vous ainsi, en
doublant presque vos prix pendant la période des prochaines fêtes de fin d'année,
remercier ceux qui depuis des années vous accompagnent par leur fidélité ?
Avez-vous donc décidé de démontrer aux clientèles captives des Iles Caraïbes, comme
aux centaines de milliers de touristes qui, sur vos appareils, rêvent de s'y rendre, que
vous n'avez cure du budget de la plupart d'entre eux ? Verrons-nous, comme par
enchantement, leur pouvoir d'achat doubler à la veille de Noël, quand d'un seul coup de
votre baguette magique, le prix des vols en direction des Antilles s'envolera ?
Il n'est pas de jour sans que chaque hôtelier de cette île reçoive des appels
désemparés de clients, de familles entières qui découvrent que, dans la pénurie de
tarifs abordables savamment organisée, il ne subsiste sur le marché que des billets à 6
500 F, 7 000 F ou 8 000 F l'aller/retour. Ceux-là désespèrent de pouvoir réaliser leur
projet, mais se souviennent qu'il y a un an, chacun pouvait retrouver les siens... ou le
soleil d'un bout à l'autre de l'Atlantique pour environ 4 000 F.
Quelle justification à cette brusque inflation ? Quelles prestations exceptionnelles
offrirez-vous donc sur vos appareils pour expliquer pareille différence ?
Vous donnez l'impression d'avoir pris cette décision sans véritablement tenir compte de
la réalité des prix de l'hôtellerie antillaise, de mettre en uvre une politique
de prix haut de gamme, en oubliant que la plus grande capacité d'hébergement aux
Antilles appartient à la gamme moyenne... Mais vous ne pouvez vous passer de la
clientèle moyenne pour remplir vos appareils ! Avez-vous oublié qu'il existe un rapport
entre le budget séjour et le budget transport d'un visiteur ? Lorsqu'une famille de 3
personnes a choisi pour son séjour un studio à 3 500 F la semaine, pensez-vous qu'elle
puisse consacrer 20 000 F à son transport aérien ? Bien pis ! Songez que ce
réveillon-là, des milliers de familles ont rêvé de le partager, en réunissant pour
ces quelques jours magiques ceux que la vie quotidienne sépare. Avez-vous calculé le
budget de cette famille où grands-parents, parents, frères, surs, et
petits-enfants, se réjouissaient de fêter tous ensemble ce 31 décembre : 70 000 F pour
le seul transport ! Croyez-vous qu'ils seront nombreux à accepter d'être ainsi
pénalisés ?
Le nombre des désistements que nous enregistrons jour après jour est pour nous une
réponse éloquente. En ces premiers jours de septembre, bien des hôtels de la Martinique
sont vides pour la fin de l'année, ou peu s'en faut : aujourd'hui seuls tirent leur
épingle du jeu ceux qui peuvent maîtriser leur approche aérienne ou se passer de la
clientèle hexagonale. Mais personne ne peut prédire avec certitude ce que seront les
ventes de l'automne. Et nous ne voulons pas courir avec vous le risque d'une politique
tarifaire que nous ne jugeons pas opportune.
Nous pensons qu'il est encore temps de témoigner de votre souci de ne pas aggraver les
difficultés de l'activité touristique en Martinique, en prenant garde de ne pas
décourager nos clients - les vôtres - à une période traditionnellement faste, alors
même que l'ensemble de la profession hôtelière de l'île a fait globalement le choix
raisonnable de maintenir ses prix habituels.
Et nous sommes convaincus que la bonne santé de l'économie de la Martinique est tout
autant votre préoccupation que la nôtre.
Les hôteliers de la Martinique
L'HÔTELLERIE n° 2631 Hebdo 16 Septembre 1999