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Débat

Sur un tabouret à trois pieds

Un ancien ministre de l'Education, aujourd'hui Premier ministre, déclarait lors de la création des IUFM : "Un professeur ne peut pas seulement être amoureux d'une discipline, il doit être un professionnel de l'éducation." En effet, à l'encontre d'une idée que nous voyons fleurir chez certains collègues, nous considérons qu'un professeur technique d'hôtellerie-restauration ne peut plus se contenter d'être un hôtelier ou un restaurateur émérite.

Les générations de professeurs d'hôtellerie-restauration qui nous ont précédés ne savaient-elles donc pas enseigner ? Certainement pas. On sait combien le charisme de l'enseignant est un facteur important pour motiver les élèves, même en l'absence de toute réflexion didactique. Mais n'oublions pas que les premiers professeurs techniques devaient 50 heures de "présence" par semaine. Dans ces conditions, ils appliquaient la méthode qu'ils avaient expérimentée dans la profession pour transmettre leur savoir : démonstration, exécution, correction, évaluation. Ils ont œuvré à une époque où le "qui-peut-le-plus-peut-le-moins" était peut-être encore vrai. Leurs expériences dans la restauration gastronomique ou l'hôtellerie de luxe leur permettaient de faire face.

Mais aujourd'hui, compte tenu de la diversité des formules d'hôtellerie-restauration, il faudrait plusieurs vies pour avoir une vision complète du secteur des CHR. Quel est donc le profil idéal pour devenir enseignant en lycée hôtelier ? Faut-il disposer d'une belle expérience dans les CHR, comme nous l'entendons deci delà ? Remarquons que ceux qui s'arc-boutent sur cette idée ont eux-mêmes plusieurs années d'expérience professionnelle. Tant il est vrai que tout un chacun voudrait que les autres lui ressemblent. Mais ne vaut-il pas mieux recruter des personnes capables de s'ouvrir à toutes les formes d'entreprises et de s'adapter aux évolutions à venir des CHR, parce qu'elles disposent d'outils pédagogiques pour les analyser ?

On a pu constater, en quelques années, une évolution du diplôme minimum requis pour enseigner : autrefois un CAP et des années d'expérience suffisaient. Aujourd'hui, une licence est nécessaire. Et à l'IUFM de Toulouse, les étudiants diplômés d'une maîtrise sont de plus en plus nombreux. Nous tentons même la gageure de former des étudiants frais émoulus de BTS qui deviennent - après tout de même trois ans d'études supplémentaires - professeurs titulaires. D'aucuns en sont choqués. Cela signifie-t-il que la formation ait si peu de valeur en BTS hôtellerie-restauration ?

Ne nous y trompons pas, le professeur technique est aujourd'hui assis sur un tabouret à trois pieds :

- c'est un spécialiste de l'hôtellerie-restauration ;

- il s'appuie sur des connaissances scientifiques ;

- c'est un professionnel de l'enseignement capable d'affronter ses élèves tels qu'ils sont.

Spécialiste de l'hôtellerie et de la restauration, nous allons chercher en entreprise nos études de cas, nos exemples et nos anecdotes. D'où la nécessité d'un contact continu avec les entreprises et de retours réguliers en formation sur le terrain. Les professeurs techniques disposent désormais, par leur formation, de connaissances scientifiques dans des domaines variés : systèmes de production en HR, analyses de gestion et financières, économie d'entreprise, marketing, GRH, sciences appliquées, œnologie, psychopédagogie... Cela favorise le dialogue avec les collègues d'économie et gestion et ceux d'enseignement général. Les actions pluridisciplinaires doivent se multiplier. Il n'y a plus d'un côté des manuels, repliés sur des techniques parfois surannées, et de l'autre des intellectuels.

L'enseignant est aussi un professionnel capable de passer du savoir savant au savoir enseigné (1). La maîtrise des techniques pédagogiques, des supports et des différentes modalités d'évaluation, le souci de l'animation de la classe et la capacité d'autoévaluation permanente font donc partie du bagage indispensable du professeur technique.

Et que l'on ne vienne pas dire que la pédagogie ne concerne que les élèves en difficulté dans les classes de niveau V. Tous nos élèves et étudiants sont concernés. Sinon, comment expliquer que de grandes écoles scientifiques et de commerce aient recours à des techniques d'enseignement très innovantes ? Seule l'université continue - pour des raisons économiques - à vouer un culte au cours magistral. Mais pour combien de temps encore ?

Les propos (2) du directeur du groupe ESCF-Ferrandi prouvent que, pour l'instant, certains CFA ont quelque retard par rapport aux lycées hôteliers. Il se vante d'avoir des "professeurs techniques qui ont au moins dix ans d'expérience". Mais suffit-il d'être champion olympique de saut à la perche pour être un bon professeur d'EPS ?

Y. Cinotti - IUFM de Toulouse

(1) La Transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné de Yves Chevallard et Marie-Alberte Joshua, Ed. La Pensée Sauvage (1991).

(2) L'Hôtellerie n° 2591.


L'HÔTELLERIE n° 2629 Hebdo 2 Septembre 1999

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